Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, il y a maintenant trois semaines, nous nous sommes rendus à Athènes, avec les membres du bureau de notre commission et des collègues sénateurs, afin de mieux appréhender la situation économique et sociale de la Grèce.
J’en reviens, pour ma part, avec la conviction que, alors que l’économie grecque est à l’arrêt et la société hellène exsangue, l’avenir de la Grèce est bien dans la zone euro et dans la solidarité européenne, mais également dans la conduite de réformes ambitieuses pour moderniser ce pays, ainsi que vous l’avez réaffirmé, monsieur le Premier ministre.
Ne nous voilons pas la face : alors que la dette grecque représente 177 % de la richesse du pays, une nouvelle restructuration de cette dette est indispensable. Elle pourrait reposer sur la prolongation de la durée des prêts et la diminution des taux d’intérêt. Il s’agirait ainsi d’offrir à nouveau une perspective de stabilité à long terme aux Grecs ainsi qu’à l’ensemble des États de la zone euro.
Nous savons tous, en outre, que s’il y a un défaut de paiement de la part de la Grèce, nous serons tous totalement perdants puisqu’il n’y aura plus aucun remboursement. Un Grexit coûterait bien plus cher qu’une restructuration rapide. Dès lors, des discussions sur les modalités de cette restructuration de la dette apparaissent inévitables. De tous côtés s’élèvent des voix puissantes pour la demander : Jacques Delors, Pascal Lamy, Thomas Piketty ou Dominique de Villepin.
Par ailleurs, alors que les Grecs ont très majoritairement voté « non » au référendum, montrant ainsi leur défiance vis-à-vis des institutions européennes, il est plus impératif que jamais que cette solidarité européenne les rassure. Soulignons d’ailleurs qu’en étant solidaires avec les Grecs, nous sommes solidaires aussi avec les autres Européens qui souffrent : jeunes qui vivent un chômage massif, précaires, classes moyennes qui se paupérisent.
Le président Juncker a évoqué la mobilisation de 35 milliards d’euros en faveur de la Grèce, mais il s’agit principalement de moyens financiers déjà programmés. Nous devons donc aller plus loin et mettre en place un véritable plan d’investissement, à même de soutenir la reprise de l’économie grecque.
Cette solidarité européenne risque toutefois d’être vaine, si elle ne s’accompagne pas d’une volonté nette de la part de la Grèce de se réformer. Les interlocuteurs grecs que nous avons rencontrés ont été unanimes dans l’autocritique : l’économie et la société grecques souffrent de l’existence d’un système historiquement fondé sur le patronage, le clientélisme, l’osmose entre les élites politiques et économiques, le mépris de la légalité et une méfiance forte à l’égard de l’État.
Ce système se traduit par le poids de l’économie souterraine, qui représente de 30 à 35 % du PIB. Il se caractérise par l’absence de justice fiscale – les plus riches et certaines castes, comme les armateurs et l’Église, bénéficient de privilèges ancestraux ou inscrits dans la Constitution – et par l’impossibilité ou l’absence de volonté de collecter l’impôt.
Il est donc impératif que le Gouvernement emmené par Alexis Tsipras, qui présente comme atout de n’avoir jamais été aux affaires et de n’être lié à aucun intérêt établi, réforme en profondeur ce système, en particulier en modernisant l’État et l’administration et en mettant en place un système fiscal juste et efficace.
Mais on ne peut pas lui demander de faire en un an des réformes que ses prédécesseurs n’ont jamais faites en 40 ans !
J’appelle donc le Gouvernement français à redire clairement qu’il s’engage pleinement pour le maintien de la Grèce dans la zone euro et s’oppose avec force à toute stratégie visant à sa sortie ; qu’il est prêt à ouvrir les discussions en vue d’une restructuration de la dette grecque ; qu’il s’oppose à de nouvelles mesures d’austérité visant la population grecque de manière aveugle ; qu’il est prêt à accompagner le Gouvernement grec dans les réformes nécessaires pour une fiscalité plus juste et une lutte renforcée contre la corruption ; qu’il s’engage à appuyer la mise en oeuvre d’un grand plan d’investissement européen destiné à financer l’économie réelle, incluant la transition écologique, dont la Grèce serait l’un des premiers bénéficiaires.
Nous ne pouvons laisser la Grèce tel Sisyphe, qui, pour avoir osé défier les dieux – en l’espèce les institutions européennes –, a été condamné à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui redescend chaque fois avant de parvenir au sommet.
Il faut construire une nouvelle espérance européenne, pour tous les peuples européens. Prenons garde à ne pas les désespérer une fois de plus. Ni l’Allemagne ni la Grèce ne peuvent uniquement parler à leurs opinions publiques mais chaque gouvernement doit prendre en compte l’intérêt général de l’Union. La construction européenne ne s’est pas faite à coups d’ultimatums. Comme l’a dit d’ailleurs Matteo Renzi, l’Europe doit redevenir une « maison des valeurs », une maison des choix stratégiques et pas seulement des chiffres.
Je veux relever pour finir l’annonce d’une véritable consultation parlementaire en cas d’accord au sommet de dimanche : elle est indispensable au renforcement démocratique des questions européennes.
L’avenir de l’Europe passe aujourd’hui par celui de la Grèce, par les chances d’un compromis raisonnable et durable entre l’ensemble des parties prenantes. L’Europe est, ne l’oublions pas, née en Grèce. Ne prenons pas le risque, par un Grexit, de renvoyer cette Europe à un simple mythe.