Il faut donc trouver des solutions industrielles cohérentes et définir la bonne position pour notre filière nucléaire. L'État s'est engagé à recapitaliser AREVA SA à la hauteur nécessaire pour consolider ses fonds propres : cela paraît exclure l'arrivée d'investisseurs extérieurs, même si je ne suis pas sûr que cette position soit tenable dans la durée. Reste que l'on assiste à la fin du modèle intégré d'AREVA tel qu'il fut édifié en 2001. Nous devons veiller à ce que les impératifs financiers de court et moyen terme, ainsi que la limitation des moyens apportés par l'État, ne pénalisent pas les objectifs économiques et industriels de moyen et de long terme. Le modèle intégré n'est plus opérationnel. Comme l'a suggéré Marc Goua, nous ne remettons pas en cause la reconfiguration envisagée : nous observons seulement qu'elle comporte des risques qu'il convient d'apprécier. La filialisation d'AREVA NP au sein d'EDF, avec la contribution de partenaires extérieurs, est une formule tout à fait recevable ; mais encore faut-il choisir les bons partenariats. Ceux-ci peuvent être conclus avec des investisseurs étrangers – on a beaucoup évoqué, ces dernières semaines, des opérateurs chinois ou japonais –, mais l'on doit se garder de toute précipitation en la matière. La stratégie chinoise, en particulier, ne nous semble guère évidente. La Chine est un marché important pour AREVA NP, mais, compte tenu des transferts de compétences, la majorité des réacteurs construits dans ce pays le seront par les Chinois eux-mêmes. Nous n'ignorons pas non plus l'importance du marché japonais, pour le nouvel AREVA comme pour AREVA NP, notamment au regard des liens avec Mitsubishi Heavy Industries – MHI – pour les réacteurs ATMEA. La décision devra donc être mûrement réfléchie, et elle ne saurait être exclusive : d'autres investisseurs internationaux, et même français, peuvent s'associer à l'opération.
S'agissant précisément des investisseurs français, nous portons un regard défavorable sur la reprise par Engie de l'activité d'entretien de la base installée. Pour autant, nous ne sommes pas fermés à une autre forme d'intervention d'Engie, par exemple au niveau d'AREVA NP : une telle ouverture de capital, y compris à des concurrents d'EDF, pourrait même être une solution au problème que pose la position d'AREVA NP, filiale d'EDF, vis-à-vis de clients potentiels par ailleurs concurrents d'EDF.
J'ai déjà évoqué la fin, ou à tout le moins la limite du modèle dit « Nespresso ». Nous partageons le souci, exprimé par l'exécutif actuel comme par le précédent, d'un renforcement de « l'équipe de France » du nucléaire ; nous avons cependant appelé l'attention de nos interlocuteurs – qui abusent moins de ce discours désormais – sur le fait que l'alignement des intérêts entre un client et son fournisseur – en l'occurrence EDF et AREVA –, parfois dans un lien d'exclusivité, n'avait rien d'automatique et qu'elle ne saurait tenir lieu de stratégie. Un travail considérable reste à faire pour renforcer les synergies entre les deux groupes, en particulier sur la conception, la gestion de projets et la commercialisation des réacteurs : si la déclinaison opérationnelle a pu varier, le principe fait l'unanimité et se serait imposé même sans les difficultés actuelles.
Nous nous interrogeons aussi, je l'ai dit, sur les conséquences de la prise de participation majoritaire d'EDF au sein d'AREVA NP vis-à-vis de certains de ses concurrents également clients d'AREVA NP.
Nous doutons – pour reprendre la litote sur laquelle nous nous sommes accordés – de la place des énergies renouvelables au sein du nouvel AREVA. Dans ce secteur, le groupe s'est déjà partiellement désengagé, et ses investissements ne sont pas des succès. L'économie du secteur, en particulier l'éolien offshore, repose sur un modèle très dépendant de la contribution au service public de l'électricité – CSPE – , et qu'aucun acteur ne juge durable.
Nous soulignons l'importance d'une offre compétitive de produits et de services, du renforcement de l'offre commerciale des produits des deux groupes dans le cadre des restructurations et, au-delà, de la réduction des coûts et de l'effort de compétitivité. Toutefois, celui-ci ne doit pas passer prioritairement par des mesures d'effectifs dont nous comprenons par ailleurs la nécessité. Nous avons en tout cas obtenu d'AREVA l'engagement qu'aucun licenciement n'interviendrait en France, les entorses à ce principe paraissant imputables aux évolutions antérieures à la restructuration actuelle. Quoi qu'il en soit, la réduction des coûts est incontournable pour le groupe.
Nous appelons l'attention sur les incertitudes liées aux anomalies détectées sur la cuve de Flamanville, sur le site duquel Marc Goua et moi nous sommes rendus l'un et l'autre. La réorganisation envisagée et le bouclage financier ne pourront définitivement intervenir qu'une fois connues les conclusions sur le sujet. EDF et AREVA se disent confiantes ; l'Autorité de sûreté nucléaire – ASN –, de son côté, fait part des observations techniques qui relèvent de sa compétence. Si, comme on peut l'envisager, les cuves sont agréées au regard des normes de sûreté, les opérations organisationnelles et financières en cours pourront être bouclées ; si par malheur elles ne le sont pas – ce qui, a priori, n'est pas l'hypothèse la plus probable –, l'ensemble de l'exercice serait remis en cause, et notre filière nucléaire aborderait un autre continent. Il s'agit donc là, on l'aura compris, d'un élément d'incertitude majeur, tout comme les décisions de l'arbitrage qui pèsent sur l'OL3 en Finlande.
AREVA devra également poursuivre ses efforts dans les domaines des services à la base installée et de la fabrication et d'équipements nucléaires afin de fournir une offre compétitive de qualité : ce sera là le travail d'AREVA NP dans sa nouvelle configuration. Au cours des auditions, les conséquences de pertes ou de discontinuités de compétences, en particulier dans le domaine de la globalisation des cuves, ont souvent été évoquées. De fait, les irrégularités et les à-coups dans le programme nucléaire français ont généré des pertes de compétences : le constat fait l'unanimité lorsqu'il s'agit d'évaluer la situation d'AREVA NP et le problème des cuves. Il faudra donc y veiller à l'avenir, y compris dans le cadre de la mise en oeuvre de la future loi de transition énergétique pour la croissance verte.
La valorisation d'AREVA NP est un exercice difficile : des chiffres ont été avancés, sur lesquels les partenaires ne s'accordent pas encore. L'État est à cet égard dans une position inconfortable puisqu'il est à la fois l'actionnaire d'AREVA et celui d'EDF : bien qu'il ait à arbitrer entre ces deux acteurs qui ont des discussions parfois rudes, il sera nécessairement conduit à s'abstenir lors des assemblées générales afin de ne pas se placer en situation de conflit d'intérêts.
La gouvernance d'AREVA a été mise en cause notamment lorsque Mme Lauvergeon assurait la présidence du directoire ; elle reconnaît publiquement sa responsabilité, et sans doute les relations entre le directoire, le conseil de surveillance, les instances de l'entreprise et la tutelle sont critiquables ; mais, s'il n'y a aucune raison d'exonérer la présidence de sa responsabilité prééminente, il serait un peu rapide de la rendre responsable de toutes les déconvenues industrielles du groupe. Les dysfonctionnements n'ont été possibles que parce que l'ensemble du directoire y a consenti. Les difficultés de relations avec le conseil de surveillance posent aussi question, de même que les relations avec l'APE, dont les signaux d'alerte n'ont pas été entendus ou pas suivis d'effets.