Intervention de Gisèle Biémouret

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGisèle Biémouret, coprésidente de la MECSS, rapporteure :

Après plusieurs mois de travaux, je vous présente aujourd'hui les conclusions de mon rapport d'information sur le thème de l'endettement hospitalier. La Cour des comptes a été sollicitée pour apporter son expertise. Sa communication sur l'endettement des établissements de santé se situe dans le prolongement des travaux qu'elle a menés sur les emprunts toxiques contractés par les collectivités locales, et sur son analyse de la faillite de Dexia.

Avant de parler des principaux constats de la Cour des comptes et des travaux de la MECSS sur des questions financières très techniques, j'évoquerai les moyens de conforter les hôpitaux publics dans leur mission alors qu'ils connaissent une situation financière et un endettement très préoccupants.

Au cours de mes déplacements en région, j'ai été frappée par le pragmatisme des équipes pour réussir à soigner tous les patients sans aucune sélection des risques, tout en faisant le maximum pour que les établissements continuent à se moderniser. Les choix au quotidien sont parfois douloureux. Ce constat a conforté mon souci de soutenir l'hôpital public, qui présente la spécificité de devoir relever sans cesse le défi d'être à la fois un service à la pointe de la médecine et un lieu où l'on accueille n'importe quel patient, fût-il en situation précaire et sans couverture sociale. Il faut reconnaître à l'hôpital public cette force de savoir concilier les contraintes contradictoires auxquelles il est soumis.

Mes déplacements m'ont aussi permis de rencontrer des équipes qui, tout en traversant des périodes de crise parfois très graves, ont réussi à poursuivre leur mission. J'ai entendu des inquiétudes sur les risques d'obsolescence de l'hôpital public qui, incapable de financer des équipements de pointe, perd des praticiens, découragés de devoir se battre au quotidien pour avoir les moyens d'offrir une médecine de qualité. Des choix importants doivent être faits pour financer la modernisation hospitalière et éviter que le poids de la dette ne compromette le futur, tant il est vrai qu'endettement et financement des investissements sont étroitement liés.

Longtemps, l'endettement hospitalier n'a pas été un sujet de préoccupation, car l'idée prévalait que les pouvoirs publics devaient dégager les moyens pour moderniser l'hôpital public. Depuis 2009, le niveau d'endettement de celui-ci et les dangers présentés par les emprunts structurés dits « toxiques » très concentrés sur certains établissements ont fait l'objet d'une prise de conscience. La Cour des comptes a donné des repères chiffrés très parlants : de 2003 à 2012, la dette hospitalière a triplé, passant de 9,8 milliards d'euros courants à 29,3 milliards. Elle a encore progressé d'un milliard d'euros en 2013. Durant une période particulièrement dynamique entre 2006 et 2009, elle a crû en moyenne de 16 % par an. Ce rythme s'est sensiblement infléchi, revenant à une hausse moyenne annuelle de l'ordre de 10 % dans les années récentes, et de 6 % aujourd'hui. Deux raisons expliquent cet emballement jusqu'en 2009.

La première est l'effort d'investissement considérable auquel les hôpitaux ont été appelés dans le cadre des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, qui ont couvert respectivement les périodes 2002-2007 puis 2007-2012. Ces deux plans, qui répondaient à un besoin de modernisation des hôpitaux publics, ont été financés non par des apports en capital ou par des subventions, comme prévu initialement, mais de plus en plus largement par des appels à l'emprunt, des dotations de l'assurance maladie couvrant les charges d'intérêts. Ces plans se sont caractérisés par une relance considérable des investissements hospitaliers qui sont passés de 3,6 milliards d'euros en 2003 à 6,7 milliards en 2009, puis à plus de 6 milliards en 2010 et en 2011, avant de revenir à 5 milliards annuels en 2012 et 2013.

Ce dynamisme de l'investissement hospitalier a été entretenu par l'abondance des projets présentés par les établissements eux-mêmes. Les risques d'un recours massif à l'emprunt ont été ignorés. La période était à l'optimisme, car le regain d'activité des hôpitaux était source de recettes supplémentaires et devait permettre de rembourser ces emprunts.

La seconde raison de l'emballement constaté a été le désarmement progressif des contrôles de l'administration des stratégies de dette des hôpitaux. Jusqu'en 2005, ces derniers devaient soumettre leurs emprunts à leur conseil d'administration, donnant à l'agence régionale d'hospitalisation (ARH), saisie des délibérations du conseil d'administration, la possibilité de réagir. Or une ordonnance de 2005 a modifié ce régime en donnant davantage de latitude aux établissements dans la souscription de leurs emprunts. La loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) du 21 juillet 2009 a encore élargi cette marge d'autonomie en donnant aux directeurs des hôpitaux une compétence pleine et entière en la matière.

La perspective d'un surcroît d'activité lié à l'entrée en vigueur de la tarification à l'activité (T2A) a facilité le recours à l'emprunt. La Cour des comptes a souligné qu'à de nombreuses reprises, les choix d'investissement n'avaient pas été guidés par un souci d'efficience et que l'on avait construit des établissements surdimensionnés par rapport à la réalité de leur activité. Les pouvoirs publics ont réagi tardivement, et la crise financière a révélé les risques des emprunts structurés qui paraissaient à court terme intéressants.

Un décret a été pris à l'automne 2011 pour soumettre à autorisation d'emprunt les établissements les plus endettés ; il ne permet toutefois de réguler qu'une partie de l'appel à l'emprunt, car cette contrainte ne s'exerce que sur les établissements surendettés.

Le niveau d'endettement des établissements publics de santé est devenu critique. Le taux d'endettement, à savoir l'encours de la dette sur le total des produits d'activité, a lui-même doublé en dix ans et avoisine 40 %. Cet endettement élevé compromet le financement des investissements courants de renouvellement des équipements. La part des emprunts toxiques aggrave le phénomène d'endettement, mais il faut bien garder à l'esprit que le taux d'endettement global est trop élevé.

Dans un climat de concurrence exacerbée, les établissements de crédit ont sollicité les hôpitaux pour qu'ils souscrivent des emprunts sophistiqués avec, dans un premier temps, une phase de taux d'intérêt très bas mais, dans un second temps, une indexation les exposant à des risques considérables. Selon l'estimation de la Cour des comptes, les emprunts à risque élevé représentent 2,5 milliards d'euros dans l'encours des dettes hospitalières, soit 9 % de l'encours total des emprunts. Les emprunts particulièrement délétères, dits « hors charte Gissler », représentent, pour leur part, 1 milliard d'euros, soit 4 % des encours. Ces emprunts structurés sont d'autant plus dangereux qu'ils sont concentrés sur un nombre limité d'établissements. Une centaine d'entre eux sont très fortement « chargés » en emprunts toxiques : certains sont de grande taille, comme le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne, d'autres sont bien plus modestes, comme le centre hospitalier intercommunal de Montreuil.

La Cour des comptes a estimé que le coût de sortie des emprunts structurés, c'est-à-dire le rachat des options liées à ces emprunts toxiques, représente, en cas de remboursement anticipé, une dépense de l'ordre de 1,5 milliard d'euros, dont 1 milliard pour certains emprunts parmi les plus risqués. Cette somme ne tient pas compte de l'effet du renchérissement du franc suisse, qui a considérablement fait augmenter le montant des indemnités de remboursement anticipé.

Au début de la crise, certains établissements avaient des difficultés à continuer d'emprunter ou même à obtenir des lignes de trésorerie. Cette situation a été en partie palliée par la montée en puissance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui a dégagé des enveloppes de crédits en faveur des établissements publics de santé, sous réserve que ces crédits soient d'une durée assez longue.

Les premières mesures décidées par le Gouvernement doivent être saluées, mais il faut aller plus loin pour parvenir à désendetter les établissements tout en trouvant des moyens plus diversifiés de financer les investissements.

Les premières mesures adoptées en urgence visant à rendre plus difficile le recours à l'emprunt en le soumettant à une autorisation préalable des agences régionales de santé (ARS) et à interdire la souscription de produits dérivés doivent être confortées. Un amendement en ce sens a d'ores et déjà été adopté dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, à l'initiative des deux coprésidents de la MECSS, pour interdire les emprunts en devises et encadrer au niveau législatif les emprunts à taux variable.

Certaines mesures doivent être adoptées d'urgence afin de sortir des emprunts toxiques. À court terme, il faut accélérer la mise en place effective du dispositif de désensibilisation des emprunts toxiques, dont la dotation devrait être majorée suite à l'aggravation de la situation financière des hôpitaux causée par le renchérissement du franc suisse. Le Gouvernement a annoncé que la dotation serait portée à 400 millions d'euros et que le deuxième volet serait financé par une nouvelle majoration du taux de la taxe de risque systémique payée par les banques. Or celle-ci nécessite une modification législative, qui ne devrait intervenir qu'en fin d'année dans le cadre de la loi de finances. Je trouve dommage que ce deuxième volet ne soit pas opérationnel avant, et je m'interroge sur le dimensionnement du dispositif : la somme de 400 millions d'euros sera insuffisante, ce qui conduira des établissements de taille moyenne à être écartés du dispositif alors que leurs capacités de négociation avec les banques sont faibles.

Parmi nos recommandations, nous indiquons qu'il faut que tous les établissements mènent une stratégie collective homogène de sortie des emprunts toxiques. Les ARS doivent convaincre les directeurs réticents de se désengager, même si certains emprunts toxiques présentent encore des taux favorables. Le risque potentiel est trop grand, et seule une stratégie d'ensemble permettra une démarche globale cohérente et fiable.

Nous demandons aussi qu'un point soit clarifié : les établissements de crédit peuvent-ils opposer aux hôpitaux publics le respect du taux de l'usure dans leurs renégociations de prêt pour passer à des taux fixes ? À titre conservatoire, nous souhaitons que les établissements bancaires écrêtent au niveau du taux de l'usure les taux d'intérêt fixes qu'ils proposent pour sortir des emprunts toxiques.

Enfin, et cette préconisation sera la plus difficile à mettre en oeuvre, il faut que les pouvoirs publics engagent une négociation avec les établissements bancaires, pour que ces derniers renoncent collectivement à la perception de la totalité ou de la majeure partie des indemnités de sortie des emprunts toxiques. Cette renonciation serait négociée au cas par cas et prendrait la forme d'une transaction avec les établissements emprunteurs. Cela permettrait de partager équitablement le coût de la sortie de ces emprunts car, jusqu'à présent, les banques y ont contribué faiblement malgré leur participation au dispositif de soutien.

Nous devons regarder vers l'avenir. Seule une démarche de négociation globale permettra de sortir rapidement de cette crise et de rétablir la confiance entre hôpitaux et établissements bancaires.

Nous recommandons de réfléchir à de nouvelles formes de financement des investissements. La Mission a entendu de multiples spécialistes qui ont surtout montré la complexité des mécanismes et la nécessité de stabiliser les règles du jeu. Ces dernières années, les modifications des règles de la T2A, l'instabilité des tarifs, ou encore l'évolution très contraignante de l'ONDAM ont profondément déstabilisé les directeurs hospitaliers. Les tarifs doivent, par ailleurs, intégrer le financement de la dotation aux amortissements pour permettre de réaliser les investissements courants.

Pour acter cet objectif de stabilité, la démarche contractuelle doit être renforcée : en contrepartie d'engagements sur des objectifs de productivité ou d'amélioration de l'offre de soins, les hôpitaux doivent disposer d'une visibilité d'au moins trois ans sur les aides à l'investissement dont ils peuvent effectivement bénéficier.

La spécificité des petits établissements contribuant à l'aménagement du territoire doit être réaffirmée, et leur mode de financement doit être adapté, comme cela vient d'être décidé dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

En raison de la crise des emprunts toxiques, les corps de contrôle, tels que l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ou l'Inspection générale des finances (IGF), qui sont chargés de réfléchir à l'évolution des modes de financement de l'hôpital, semblent aujourd'hui peu enclins à des solutions innovantes. Il faut pourtant diversifier les modes de financement en s'inspirant notamment de bonnes pratiques locales. On doit se féliciter que les gros établissements aient été autorisés à émettre des billets de trésorerie.

Il faut aller plus loin et prévoir, par exemple, de mutualiser certaines fonctions ou compétences pour gagner en force de négociation financière. Les établissements constituant un groupement hospitalier de territoire (GHT) doivent pouvoir décider de gérer de manière commune certains aspects de leur politique d'endettement et de trésorerie afin de disposer d'une masse critique plus importante pour accéder aux marchés financiers et négocier avec les banques.

Les auditions ont révélé que les directeurs d'hôpitaux et les cadres des ARS devaient renforcer leurs compétences en gestion financière, aussi bien lors de leur formation initiale que dans le cadre de la formation continue. Il faut inciter à la constitution de groupes de travail entre pairs pour partager les bonnes pratiques et accroître ainsi l'expertise des équipes de direction. Le Centre national de gestion de la fonction publique hospitalière (CNG) et l'École des hautes études en santé publique (EHESP) doivent renforcer leur coopération pour mettre sur pied des formations vraiment proches des problématiques de terrain. Nous recommandons également de développer la pratique du coaching individuel, notamment pour les fonctions les plus délicates des directeurs, et de mieux anticiper certains recrutements, notamment à l'issue des périodes d'administration provisoire, pour susciter des candidatures et assurer que le candidat retenu sera accompagné par un coach ou des référents expérimentés.

Pour répondre à la crise financière des emprunts toxiques, de gros efforts ont été faits pour rationaliser les critères d'investissement et évaluer la pertinence des projets. À ce titre, la mise en place du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (COPERMO) doit être saluée. Cette cellule interministérielle qui instruit les demandes d'aides à l'investissement de plus de 50 millions d'euros a mené un long travail d'instruction des dossiers. Cette procédure manque de transparence. C'est dommage, car il faudrait diffuser les enseignements tirés de l'instruction des dossiers d'investissement présentés.

Il est urgent de trouver une solution équitable pour sortir des emprunts toxiques et des solutions pour diversifier le financement des investissements qui ne peuvent pas seulement reposer sur des emprunts bancaires.

Ce rapport d'information aura aussi le mérite de poser des questions essentielles et pressantes qui sont cependant souvent éludées. Le réseau hospitalier n'est-il pas surabondant ? Ne faut-il pas clairement hiérarchiser les équipements des hôpitaux pour constituer un réseau de soins avec des hôpitaux de proximité, des établissements généralistes et des établissements de haute technicité ?

Il faut aussi changer de regard et éviter de penser à des établissements toujours plus grands alors que la qualité passe aujourd'hui plutôt par des plateaux techniques modernes mais utilisés de manière continue avec des patients rapidement réorientés vers un parcours de soins extra-hospitalier. L'hôpital public doit se moderniser tout en gardant sa vocation d'hôpital de référence pour les techniques de pointe mais aussi d'hôpital ouvert à tous les patients, même sinon surtout les plus vulnérables.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion