Intervention de Yann Capet

Réunion du 9 juillet 2015 à 10h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYann Capet :

Monsieur Jacques Gounon, notre commission connaît bien le groupe Eurotunnel puisqu'elle a la charge, sous l'autorité du président Chanteguet, de la question des transports. Dans le cadre des réformes ferroviaires, elle a eu à défendre très régulièrement votre groupe que je soutiens à titre personnel, comme je l'ai démontré à plusieurs reprises dans vos différents projets, au regard du rôle économique fondamental que vous jouez aujourd'hui dans la région Nord-Pas-de-Calais.

Vous avez décrit la position ubuesque des autorités britanniques de la concurrence. Vous soulignez qu'elle a pu évoluer au cours des différentes procédures qui ont eu lieu ces dernières années. Oui, il y a incontestablement de la part des Britanniques une volonté de protectionnisme, une forme d'acharnement. Mais je ne peux pas laisser croire que tout cela s'est déroulé dans l'indifférence. Dès l'origine, il y a eu une mobilisation de toutes les sensibilités politiques de notre commission pour vous soutenir dans vos démarches.

Je suis convaincu que le tunnel et le port ne peuvent s'opposer. Ils représentent les deux poumons économiques majeurs de ce territoire et j'ai toujours considéré qu'ils se renforçaient l'un et l'autre. Vous le savez, nous avons des projets de développement importants – Calais Port 2015 – qui doivent nous permettre d'aller encore un peu plus loin dans la convergence parce que la voie de la rivalité est à la fois stérile et dangereuse pour l'ensemble du territoire.

C'est l'avenir de MyFerryLink qui nous occupe ce matin. Cette compagnie maritime sous pavillon français a trouvé aujourd'hui un équilibre économique au-delà même des scénarios les plus optimistes qui ont été élaborés il y a quelques années. Elle aurait dû d'ailleurs engranger des bénéfices dès la fin de cette année si la situation n'avait pas été celle que l'on connaît aujourd'hui. Vous soulignez des déficits et des pertes d'exploitation de l'ordre de 70 à 80 millions d'euros, mais vous avez fait le plus dur ces trois dernières années, puisque, aujourd'hui, la marque est installée, les parts de marché ont été trouvées et l'entreprise fonctionne. Nous devons son succès à l'investissement des salariés qui ont consenti de nombreux sacrifices, qui ont renoncé à des primes supra-légales lors de la liquidation de SeaFrance pour les réinvestir dans la SCOP.

Cette compagnie s'est trouvée menacée dans son développement par l'autorité britannique de la concurrence qui souhaitait lui interdire d'accoster à Douvres, ce qui fonde votre décision. Mais vous n'avez pas évoqué la décision de la cour d'appel de Londres du 17 mai dernier, qui fait l'objet d'analyses parfois divergentes. Le Gouvernement s'est d'ailleurs exprimé sur le sujet. Cette décision a suscité l'espoir, dans la mesure où elle supprimait l'interdiction et ouvrait la possibilité de continuer l'exploitation, de préserver le pavillon français et des emplois.

Sans doute répondrez-vous qu'un recours a été engagé devant la Cour suprême, ce qui confirme l'acharnement britannique, très probablement dans un souci de protectionnisme. Mais, nous le savons, les délais pour ce recours sont extrêmement longs. Les délais de jugement ajoutés aux périodes d'exécution pouvaient vraisemblablement laisser du temps pour consolider encore la compagnie, asseoir les parts de marché qui ne cessaient de progresser depuis le début de l'année et offrir des solutions plus favorables à la fois à la garantie du pavillon français et au maintien d'un maximum d'emplois.

Vous avez engagé un processus de cession avec l'objectif de défendre l'emploi. Différentes manifestations d'intérêt sont intervenues. À un moment donné, Stena Lines a pu apparaître comme une offre privilégiée dans la mesure où elle permettait vraisemblablement – nous avons très peu d'informations sur le contenu des offres – de préserver un maximum d'emplois. Vous avez évoqué également P&O ou encore la SCOP SeaFrance à laquelle la porte semblait récemment encore ouverte. Je tiens à préciser que personne ici n'est faiseur de faux espoirs. Quant à la région, elle a proposé, dès 2012, de participer financièrement en créant une société d'économie mixte – il en existe deux en France qui exploitent des compagnies maritimes. Tous ces acteurs ont fait part de leur légitime incompréhension de ne pas être retenus.

Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans le cadre d'une cession d'activité, ni dans une vente, mais dans une location coque nue et dans la poursuite partielle d'une activité fret que vous avez décrite.

Je le répète, vous avez fait le plus dur ces trois dernières années. La décision positive de la cour d'appel britannique pouvait laisser penser qu'une ouverture était possible. Nous pouvions d'autant plus le croire que vous déclariez : « Si la SCOP gagne la procédure qu'elle mène en appel, nous serons très heureux et continuerons avec eux, nous resterons dans le business, nous gardons MyFerryLink. Celui-ci sera à l'équilibre en 2015, avec un an d'avance sur les prévisions, et nous fera gagner de l'argent en 2016 ».

Au cours des dernières semaines, de nombreuses ambiguïtés et interrogations ont entretenu fantasmes et inquiétudes. Comment interpréter le refus de communiquer les contrats avec DFDS, alors que le tribunal de Boulogne-sur-Mer a prononcé une astreinte de 30 000 euros par jour ? Il est difficile, d'un côté, d'en appeler à la justice et, de l'autre, de refuser de s'y soumettre. Par ailleurs, comment expliquer que les tarifs de DFDS aient récemment augmenté de 13 %, alors que la compagnie est réputée pour sa politique low cost ? On pourrait s'interroger sur l'efficacité économique d'un seul navire pour assurer le trafic transmanche. De même, la location des deux navires à DFDS apparaît pour le moins obscure.

Deux rencontres au moins ont eu lieu au mois de juin dernier en sous-préfecture. Celle du 19 juin a révélé que l'intention initiale de DFDS était de conserver un seul navire et de ne reprendre que très peu de salariés, voire aucun si l'on en croit le compte rendu des déclarations. Cela n'incite pas à la confiance ni à l'apaisement. Où en est-on aujourd'hui ? Je vous pose la question, même si je sais que vous ne pouvez pas répondre à la place de DFDS.

Enfin, ce montage permettra-t-il de franchir les obstacles juridiques auxquels vous serez vraisemblablement confrontés ?

Nous avons auditionné hier Guillaume Pepy, qui nous a assuré qu'il s'intéressait de très près à une reprise des valeurs des navires achetés à l'époque à un prix estimé plus bas que celui du marché. J'imagine qu'il fait allusion à une opération qui pourrait s'apparenter à une forme de spéculation.

Je n'imagine pas un seul instant que, en vous permettant de reprendre les actifs de SeaFrance, le tribunal de commerce de Paris ait pensé que vous alliez vous soustraire aux engagements pris devant la justice française, à savoir de ne pas vendre les navires avant le mois de juin 2017 et d'assurer un partenariat social dans la durée.

On peut avoir le sentiment que seule la rentabilité financière à très court terme guide vos choix. Doit-on y voir la volonté d'actionnaires dont les exigences sont fortes, et dont les interventions, par le passé, ont montré qu'ils privilégiaient un modèle qui n'est pas le mien ?

Les politiques ne sont pas des irresponsables. Vous faisiez allusion à la spécificité d'Eurotunnel, société privée qui s'est relevée. Vous avez relevé un pari que d'aucuns considéraient comme impossible à gagner, vous avez permis le développement d'une société qui est le premier employeur privé sur le littoral et qui est indispensable à l'économie de notre territoire. Nous resterons à vos côtés pour faire en sorte que le groupe Eurotunnel puisse poursuivre un développement que l'on peut qualifier d'exemplaire.

Sans la volonté de François Mitterrand, le tunnel sous la Manche n'aurait jamais été creusé. Sans la volonté de l'État, vous ne bénéficieriez pas des infrastructures qui permettent aujourd'hui au tunnel d'être l'une des principales sources de revenus du groupe.

Ma philosophie n'a jamais été la privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes, en passant les conséquences sociales par pertes et profits. C'est d'autant moins acceptable dans un territoire qui voit s'accumuler les difficultés. Je ne verserai jamais dans la démagogie, car ce n'est pas ma philosophie. L'engagement politique retrouve sa noblesse lorsque chacun fait face à ses responsabilités, mais avec clarté.

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