Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du 9 juillet 2015 à 10h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu M. Jacques Gounon, président-directeur général du groupe Eurotunnel.

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C'est l'actualité qui m'a incité à organiser en urgence, avant la fin de la session extraordinaire, l'audition de M. Jacques Gounon, président-directeur général du groupe Eurotunnel.

Je rappelle en effet que, en date du 10 avril 2015, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la Société coopérative et participative (SCOP) SeaFrance. Le groupe Eurotunnel ayant pris l'initiative d'un processus de vente de la société MyFerryLink et de deux des navires – le Berlioz et le Rodin – dont il est propriétaire, les administrateurs judiciaires de la SCOP SeaFrance ont sollicité et obtenu, par jugement du 11 juin 2015, la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire. Celui-ci concerne plus de 500 personnes : nombre d'entre elles pourraient perdre leur emploi.

Compte tenu de la complexité du dossier, du contexte social et politique dans lequel il s'inscrit, et ne pensant pas que la présente audition nous permette d'en appréhender tous les tenants et aboutissants, j'ai décidé de demander la création, dans les meilleurs délais, d'une commission d'enquête.

Monsieur le président-directeur général, je vous remercie d'avoir répondu aussi rapidement à notre sollicitation. Je souhaite que vous vous exprimiez sur les raisons qui ont conduit Eurotunnel à modifier sa stratégie en cédant au groupe DFDS les deux navires de passagers, le Berlioz et le Rodin.

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Jacques Gounon, président-directeur général du groupe Eurotunnel

Je vous remercie d'avoir organisé cette audition qui permettra de comprendre un dossier industriel assez classique, dans le cadre duquel nous avons tous le souci de préserver un maximum d'emplois.

La fonction principale d'Eurotunnel est la concession du tunnel sous la Manche. Cette activité représente 4 000 emplois directs et presque autant d'emplois indirects. Le groupe Eurotunnel, qui n'a jamais reçu un centime d'aide publique, compte aujourd'hui un peu moins de 300 000 actionnaires individuels, chiffre significatif pour un groupe privé coté aux Bourses de Paris et de Londres. Ces petits porteurs ont beaucoup donné et beaucoup souffert. Aujourd'hui, après des efforts de restructuration extrêmement douloureux en 2007, ils bénéficient d'un développement raisonnable.

Le tunnel sous la Manche exerce une mission de service public, ce qui, au titre de la concession, nous oblige à garantir une activité permanente de traversée du détroit. Grâce à une politique de maintenance extrêmement vigilante, la disponibilité du tunnel, attestée par les organismes de sécurité ferroviaire, est de 99,7 %. Cependant, nous pouvons connaître des incidents, des incendies, des blocages – comme, récemment, des invasions de migrants ou des manifestations de marins en colère. C'est pourquoi il nous a paru, à un moment donné, qu'un complément d'activité maritime était envisageable.

Il s'est trouvé que, le 9 janvier 2012, le groupe public SNCF a liquidé sa filiale SeaFrance. À l'issue de la procédure, qui a « mis sur le carreau » 880 salariés, le tribunal de commerce de Paris a engagé un processus de mise aux enchères publiques transparentes des actifs de SeaFrance, c'est-à-dire essentiellement les trois navires disponibles à la vente – un quatrième bateau, le Molière, détenu en leasing par SeaFrance, appartenait au Crédit lyonnais, qui l'a vendu ultérieurement à Stena, lequel l'exploite aujourd'hui en mer d'Irlande. Nous avons fait la meilleure offre sur le plan financier, ce qui nous a permis de prendre possession des trois navires. Il nous était cependant imposé une clause d'inaliénabilité : les représentants de la SNCF avaient en effet trouvé surprenant que nous nous portions acquéreurs de ces bateaux – j'imagine qu'ils avaient passé des accords avec d'autres acheteurs – et ils craignaient que nous ne les achetions que pour les revendre aussitôt, comme si la finalité du groupe Eurotunnel était purement financière.

L'exploitation de ferries n'étant pas notre métier, nous avions engagé des conversations avec ceux qui voulaient continuer à exploiter ces navires, d'anciens marins de SeaFrance regroupés au sein d'une SCOP, dont le président du conseil de surveillance était Didier Capelle, décédé depuis. Pour la direction opérationnelle de la SCOP, M. Capelle avait pressenti un ancien dirigeant de Brittany Ferries, Jean-Michel Giguet, qui, lui-même, s'appuyait sur son collaborateur de Brittany Ferries, Raphaël Doutrebente.

La mise en service des trois navires sous l'appellation commerciale MyFerryLink, qui appartient au groupe Eurotunnel, s'est faite à la fin de l'été 2012, c'est-à-dire au plus mauvais moment : tout le monde avait déjà fait ses réservations et nous n'avions aucun client. Nous avons passé des contrats d'affrètement d'une durée de trois ans avec la SCOP SeaFrance. Le schéma commercial était extrêmement simple : nous achetions des traversées pour un prix forfaitaire et la SCOP SeaFrance les effectuait. Certes, si l'exploitation était du type de celle de SeaFrance, nous risquions de perdre de l'argent, mais, si elle était performante – ce qui fut le cas –, elle pouvait en gagner un peu.

La commercialisation était assurée par MyFerryLink, et donc par Eurotunnel, qui assumait tous les risques. Nous payions une traversée prévue pour être utilisée par 100 % de clients, alors que, le premier jour, nous n'avions qu'un seul client. Il a fallu un long travail commercial pour reconstruire une position sur le détroit du Nord-Pas-de-Calais, qui est un marché extrêmement concurrentiel, face à des compétiteurs importants et bien installés : l'Anglais P&O, d'une part, et le Danois DFDS, d'autre part.

En trois ans, le groupe Eurotunnel a perdu 70 à 80 millions d'euros dans cette affaire, indépendamment de l'investissement dans les navires. Il a fallu du temps pour recréer une marque commerciale en partant de rien, mais nous avons relevé le défi et remporté des parts de marché correspondant à l'objectif que nous nous étions fixé, soit 12 % sur l'important marché du camion, et un peu moins sur celui, très volatil, des voitures, avec 6 à 7 %.

Tout était donc pour le mieux. Mais, le jour même où nous obtenions l'autorisation de l'Autorité de la concurrence française, la Commission britannique de la concurrence décida de se saisir du dossier, estimant qu'elle avait à considérer la nouvelle situation créée dans le détroit du Pas-de-Calais. À l'époque, cette commission n'était compétente que pour des fusions-acquisitions, et, pour justifier son intervention dans ce dossier, il lui fallut élaborer une doctrine. Alors que la liquidation de SeaFrance avait été prononcée par le tribunal de commerce de Paris le 9 janvier 2012, et bien que nous ayons racheté ses actifs et les ayons remis en service en août 2012, la commission a jugé que MyFerryLink avait repris le fonds de commerce de SeaFrance, qu'il y avait donc continuité de l'activité et atteinte à la concurrence : en cumulant le tunnel et l'activité maritime, nous risquions de devenir un acteur dominant sur le marché du camion en Grande-Bretagne. Elle a donc prononcé une première interdiction : le groupe Eurotunnel n'avait pas le droit d'avoir une activité maritime dans le détroit du Pas-de-Calais, et nous nous sommes retrouvés dans la situation absurde où les navires de MyFerryLink avaient le droit de quitter le port de Calais, mais pas celui d'accoster à Douvres.

Nous avons fait appel. Ce premier appel a été gagné au motif que la Commission de la concurrence – la Competition Commission, comme elle s'appelait à l'époque – n'avait pas suffisamment justifié son analyse sur la fusion. La Commission britannique a reformulé sa proposition et interdit à nouveau à MyFerryLink d'accoster à Douvres.

Nous avons fait un deuxième appel, qui a été jugé en décembre 2013. Mais la pression politique était si forte, côté britannique, que la cour d'appel de Londres a rendu un jugement que je trouve merveilleux, et que l'on peut résumer ainsi : « MyFerryLink n'a pas tort, mais ses arguments ne sont pas suffisamment convaincants de notre point de vue pour casser une seconde fois la décision hostile de la Commission de la concurrence britannique. »

Devant l'acharnement anti-MyFerryLink de la Commission de la concurrence britannique, et constatant que tout cela se déroulait dans l'indifférence générale, Eurotunnel – groupe industriel qui se soucie du sort de ses actionnaires, notamment des petits porteurs – a pris une décision rationnelle : puisque les Britanniques ne voulaient pas de nous, nous nous retirions de cette activité et la mettions en vente. La décision a été annoncée longtemps à l'avance, le 9 janvier 2015 : personne n'a donc été pris de court.

Le plus triste, dans cette affaire, c'est que, si, jusqu'en avril 2015, la SCOP SeaFrance a accompli un travail de très grande qualité, elle s'est ensuite, soumise à l'insupportable pression britannique, engagée dans des voies déraisonnables et a commencé à se déchirer. Ainsi, les dirigeants opérationnels de la SCOP, MM. Giguet et Doutrebente, ont recherché, avec un acteur maritime connu, le Suédois Stena, une solution de rachat des navires et de reprise de l'activité. Mais telle n'était pas la vision du conseil de surveillance de la SCOP, essentiellement composé de membres du Syndicat maritime Nord – ancien Syndicat maritime Nord CFDT, exclu de la CFDT en 2012 et dont certains des membres font l'objet de procédures pour malversations dans la gestion de SeaFrance.

La SCOP, croyant avoir obtenu des promesses de financement, notamment de la région Nord-Pas-de-Calais, souhaitait poursuivre elle-même l'activité. Il lui fallait en effet racheter les navires et financer l'exploitation, dont je rappelle qu'elle représentait une perte de 80 millions d'euros cumulée sur trois ans. Je regrette que la région Nord-Pas-de-Calais ait pu faire croire qu'elle serait en mesure de se substituer au groupe Eurotunnel, alors qu'elle est soumise à des contraintes réglementaires et que sa seule possibilité d'intervention financière aurait été dans le cadre d'une société d'économie mixte. Ce sujet a défrayé la chronique et occupé les médias locaux pendant quelque temps. Le groupe Eurotunnel a alors rappelé que la Commission britannique de la concurrence lui avait interdit d'être présent dans cette activité maritime, même à titre minoritaire, c'est-à-dire en étant partenaire d'une SEM à majorité publique. On voyait mal, étant donné que la SCOP SeaFrance se déchirait, un industriel investir des dizaines de millions d'euros pour poursuivre une activité dont on pouvait craindre que la Commission britannique de la concurrence continue à l'empêcher de prospérer.

Le processus de vente, engagé de manière professionnelle par le groupe Eurotunnel, avec un conseil extérieur, a conduit au choix de DFDS. Notre stratégie initiale, qui visait à avoir un complément d'activité maritime, subsiste. Lorsqu'il y a des interruptions de service dans le détroit du Pas-de-Calais ou que le port de Calais est bloqué, soit par les ouvriers portuaires, soit par les marins, nous devons assurer la traversée de milliers de camions. Deux des trois bateaux, le Berlioz et le Rodin, sont « mixtes », plutôt destinés aux passagers mais pouvant également embarquer des camions. Le troisième, le Nord-Pas-de-Calais, qui a vingt-cinq ans et commence à être à bout de souffle, est uniquement destiné aux camions. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes retirés du Berlioz et du Rodin, mais avons souhaité conserver le Nord-Pas-de-Calais pour l'activité de fret.

Contrairement à ce que l'on peut lire ici ou là, l'obstination, que je qualifierai de politique, de la Commission britannique de la concurrence n'a pas cessé de s'exercer à l'encontre du groupe Eurotunnel. Le Nord-Pas-de-Calais n'est pourtant qu'un petit navire, qui n'embarque pas plus de camions qu'une seule de nos navettes ferroviaires et vise 3 à 4 % de parts de marché, qui s'ajouteraient aux 36 % de parts de marché camions du tunnel. Ce sont bel et bien les maritimes qui sont très puissants dans le secteur, en particulier le premier d'entre eux, P&O. Malgré la modestie de notre activité, avant-hier, 7 juillet, j'ai reçu une nouvelle demande de la Commission britannique de la concurrence qui, depuis avril 2014, a des compétences élargies, et qui me fait savoir qu'elle n'est pas favorable à ce que j'exploite le modeste Nord-Pas-de-Calais, sauf sous certaines conditions. Encore faudrait-il que je prenne l'engagement de ne pas le faire trop naviguer… (Murmures)

La situation dramatique que nous connaissons aujourd'hui à Calais ne résulte donc pas d'une décision du groupe Eurotunnel. La Commission de la concurrence britannique n'a eu de cesse de défendre le pavillon britannique de P&O pour contrer tout développement ou toute poursuite d'activité sous un pavillon français, telle que nous l'avions démarrée avec MyFerryLink. Je ne crois pas que le Gouvernement français ait pu faire bouger les lignes. Je ne pense pas non plus que votre commission pourra modifier cette donnée fondamentale, que je dénonce. C'est le protectionnisme britannique qui nous fait arrêter cette activité.

Comment pouvons-nous gérer la situation ? Nous recherchons un repreneur. Celui-ci pourrait reprendre les bateaux et des effectifs de la SCOP SeaFrance, à des conditions qui pourraient être celles de la SCOP, car les contrats de travail sont de qualité – la preuve en est que je suis prêt à continuer avec le même système pour le Nord-Pas-de-Calais. Parmi les dossiers qui ont été présentés, on notait celui de P&O, qui attendait en embuscade – la Commission britannique de la concurrence ayant oeuvré pour lui permettre de reprendre ces navires – et qui faisait des promesses qui n'engagent que ceux qui les écoutent, comme disait un homme politique récemment disparu. Il y avait également un compétiteur féroce qui s'acharne, depuis deux ou trois ans, à être présent sur la liaison Calais-Douvres : il s'agit de DFDS, qui a la volonté de se développer, après avoir racheté, fin 2012, l'activité maritime de l'armateur Philippe Louis-Dreyfus.

J'ai considéré que sa part de marché actuelle ne permettrait pas à la Commission britannique de la concurrence de continuer à diriger les navires vers P&O. Il n'était pas raisonnable, de mon point de vue, de renforcer davantage P&O, qui est le leader du maritime. DFDS était un opérateur qui, lui, avait besoin des navires et des salariés, et qui avait déjà repris 350 ou 400 salariés de l'ex-SeaFrance abandonnée par la SNCF. Je crois, d'ailleurs, qu'il est aujourd'hui très satisfait des prestations assurées par ces salariés. On pouvait donc penser qu'il recréait une communauté de travail issue assez largement des ex-SeaFrance et que tout cela pourrait fonctionner de façon harmonieuse.

Comme le tribunal de commerce de Paris n'avait pas prévu que la concurrence britannique nous interdirait d'exercer l'activité maritime, nous sommes toujours soumis à une clause d'inaliénabilité qui, soit dit en passant, ne tient pas juridiquement, dans la mesure où un tribunal de commerce ne peut prononcer des contraintes de cette nature que dans l'hypothèse d'un redressement judiciaire, et que SeaFrance a été liquidée. Cela étant, nous avons accepté la décision et n'avons aucune difficulté à la respecter. Aussi avons-nous loué les navires Berlioz et Rodin à DFDS à partir du 2 juillet dernier, date, annoncée depuis trois ans, de la fin des contrats que nous avions signés avec la SCOP SeaFrance. Mais notre métier n'est pas d'être loueur de navires et, dès lors que le tribunal de commerce de Paris nous autorisera à vendre ceux-ci ou, au plus tard, lorsque la clause expirera en 2017, DFDS les rachètera.

La SCOP SeaFrance ayant elle-même produit une analyse erronée de sa capacité de survie, le Syndicat maritime Nord occupe les navires depuis le 1er juillet. Nous sommes donc dans une situation de blocage, qui, de façon surprenante, a été amplifiée, pour ne pas dire provoquée, par l'attitude assez incompréhensible des administrateurs judiciaires nommés par le tribunal de Boulogne-sur-Mer le 11 juin dernier. Le 7 juin, j'ai annoncé publiquement – toutes les communications d'Eurotunnel, société cotée, sont publiques – que nous louions les navires à DFDS, puis j'ai organisé une réunion entre les administrateurs judiciaires et DFDS pour parler de la reprise des personnels. À ma totale stupéfaction, les administrateurs judiciaires ont déclaré à DFDS que ce n'était pas leur problème, qu'ils ne souhaitaient pas négocier la reprise des personnels, qu'ils n'avaient pas les moyens juridiques pour cela. Dès lors qu'un repreneur, qui veut gérer au mieux ses intérêts, s'entend dire par des administrateurs judiciaires qu'ils ne veulent pas parler emploi, l'examen concret d'un plan social est pour le moins compromis.

Dès lors, de façon encore plus hallucinante, les administrateurs judiciaires de la SCOP SeaFrance ont engagé une procédure en référé pour obliger Eurotunnel MyFerryLink à continuer les contrats d'exploitation qui se terminaient normalement le 1er juillet 2015 – ce qui était connu depuis trois ans. Ils nous ont demandé de poursuivre des contrats qui se terminaient, ce qui, je le déplore, donne de faux espoirs aux salariés, victimes de ces extravagances. Quant au procureur de la République, il s'est livré à un exercice extraordinaire, expliquant qu'il fallait partir en vacances l'esprit tranquille pour mieux revoir le problème à la rentrée, et, donc, proroger les contrats de deux mois. Mais le juge n'ayant pas pu faire en sorte que se poursuivent des contrats qui arrivaient normalement à échéance, il a confirmé que l'exploitation de la SCOP SeaFrance se terminait le 1er juillet : ce fut le début des mécanismes de grève, d'occupation de navires et de mutinerie que nous avons connus.

J'en viens à la question des effectifs, qui est au coeur de nos préoccupations : sur les 470 salariés permanents – 450 ex-SeaFrance et une vingtaine de salariés complémentaires –, on dénombre une centaine de salariés sédentaires, personnels comptables, administratifs et d'accueil. Il reste donc 370 personnels navigants, qui ne sont pas tous des marins, car, sur des navires comme le Berlioz et le Rodin, plus de la moitié des effectifs – 160 à 180 – sont des personnels de service, qui pourraient aussi bien exercer leurs fonctions à terre, comme les cuisiniers, les employés de la restauration et de la boutique duty free – ce sont eux qui, dans leur majorité, forment les commandos du Syndicat maritime Nord. Les officiers et les marins représentent quant à eux moins de la moitié des 370 personnes embarquées, soit, là aussi, 160 à 180 personnes.

Dans le cadre de ce qu'il faut bien appeler un plan social, et malgré le fait que les administrateurs judiciaires refusent de s'en occuper, DFDS avait proposé de reprendre 202 personnes. J'ai cru comprendre que, si cette société pouvait accéder librement au port de Calais et à ses navires, soucieuse de trouver un compromis, elle serait prête à augmenter un peu son offre, peut-être jusqu'à 230 ou 250. De notre côté, pour l'exploitation du Nord-Pas-de-Calais, nous avons besoin des 120 personnes qui, aujourd'hui, font tourner ce navire aussi bien à terre qu'en mer. Nous en sommes donc officiellement au moins à 320 personnes sur 470. Certes, la situation est très désagréable, mais ce plan social est assez modeste si on le compare, par exemple, à celui de l'entreprise de logistique Walon, à Calais, qui licencie 40 personnes, ou à celui de la société chimique Tioxide qui en licencie 160. Il s'agit donc d'un petit plan social par rapport aux difficultés locales, même il ne faut pas moins tout faire pour préserver les emplois.

Je signale que, après l'effondrement de SeaFrance en 2002, le groupe Eurotunnel a volontairement cotisé à un fonds social de développement qui a permis, en 2014, de créer sur nos fonds 149 emplois. Nous avons ainsi démontré que nous assumons notre responsabilité sociale, même quand le groupe public SNCF ne l'exerce pas.

Le plus tragique, dans l'affaire, c'est que certains, administrateurs judiciaires en tête, ont fait croire que l'activité pouvait être poursuivie en dehors de toute considération économique, contre la volonté de la Commission de la concurrence britannique – j'allais dire : contre le pouvoir britannique – et qu'une solution miracle était envisageable, sans intervention d'un énorme chéquier, comme celui du groupe Eurotunnel. À ce titre, je reconnais que le seul point sur lequel la Commission de la concurrence britannique a raison, c'est que nous avons subventionné, depuis trois ans, l'activité maritime de MyFerryLink qui, sans nous, n'aurait jamais redémarré. Je serais content de dire que ces pertes ont permis à la SCOP, en trois ans, de verser 75 millions d'euros de salaires au personnel et 60 millions d'euros de droits de port. Malgré les pertes, je ne regrette pas l'activité MyFerryLink. Je regrette que personne n'ait pu empêcher la Commission de la concurrence britannique de prendre des décisions que j'ai publiquement qualifiées d'absurdes. Je regrette que la Commission britannique continue à essayer de nous empêcher d'exploiter le simple et modeste Nord-Pas-de-Calais. C'est bien là le véritable scandale de toute l'affaire.

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Monsieur Jacques Gounon, notre commission connaît bien le groupe Eurotunnel puisqu'elle a la charge, sous l'autorité du président Chanteguet, de la question des transports. Dans le cadre des réformes ferroviaires, elle a eu à défendre très régulièrement votre groupe que je soutiens à titre personnel, comme je l'ai démontré à plusieurs reprises dans vos différents projets, au regard du rôle économique fondamental que vous jouez aujourd'hui dans la région Nord-Pas-de-Calais.

Vous avez décrit la position ubuesque des autorités britanniques de la concurrence. Vous soulignez qu'elle a pu évoluer au cours des différentes procédures qui ont eu lieu ces dernières années. Oui, il y a incontestablement de la part des Britanniques une volonté de protectionnisme, une forme d'acharnement. Mais je ne peux pas laisser croire que tout cela s'est déroulé dans l'indifférence. Dès l'origine, il y a eu une mobilisation de toutes les sensibilités politiques de notre commission pour vous soutenir dans vos démarches.

Je suis convaincu que le tunnel et le port ne peuvent s'opposer. Ils représentent les deux poumons économiques majeurs de ce territoire et j'ai toujours considéré qu'ils se renforçaient l'un et l'autre. Vous le savez, nous avons des projets de développement importants – Calais Port 2015 – qui doivent nous permettre d'aller encore un peu plus loin dans la convergence parce que la voie de la rivalité est à la fois stérile et dangereuse pour l'ensemble du territoire.

C'est l'avenir de MyFerryLink qui nous occupe ce matin. Cette compagnie maritime sous pavillon français a trouvé aujourd'hui un équilibre économique au-delà même des scénarios les plus optimistes qui ont été élaborés il y a quelques années. Elle aurait dû d'ailleurs engranger des bénéfices dès la fin de cette année si la situation n'avait pas été celle que l'on connaît aujourd'hui. Vous soulignez des déficits et des pertes d'exploitation de l'ordre de 70 à 80 millions d'euros, mais vous avez fait le plus dur ces trois dernières années, puisque, aujourd'hui, la marque est installée, les parts de marché ont été trouvées et l'entreprise fonctionne. Nous devons son succès à l'investissement des salariés qui ont consenti de nombreux sacrifices, qui ont renoncé à des primes supra-légales lors de la liquidation de SeaFrance pour les réinvestir dans la SCOP.

Cette compagnie s'est trouvée menacée dans son développement par l'autorité britannique de la concurrence qui souhaitait lui interdire d'accoster à Douvres, ce qui fonde votre décision. Mais vous n'avez pas évoqué la décision de la cour d'appel de Londres du 17 mai dernier, qui fait l'objet d'analyses parfois divergentes. Le Gouvernement s'est d'ailleurs exprimé sur le sujet. Cette décision a suscité l'espoir, dans la mesure où elle supprimait l'interdiction et ouvrait la possibilité de continuer l'exploitation, de préserver le pavillon français et des emplois.

Sans doute répondrez-vous qu'un recours a été engagé devant la Cour suprême, ce qui confirme l'acharnement britannique, très probablement dans un souci de protectionnisme. Mais, nous le savons, les délais pour ce recours sont extrêmement longs. Les délais de jugement ajoutés aux périodes d'exécution pouvaient vraisemblablement laisser du temps pour consolider encore la compagnie, asseoir les parts de marché qui ne cessaient de progresser depuis le début de l'année et offrir des solutions plus favorables à la fois à la garantie du pavillon français et au maintien d'un maximum d'emplois.

Vous avez engagé un processus de cession avec l'objectif de défendre l'emploi. Différentes manifestations d'intérêt sont intervenues. À un moment donné, Stena Lines a pu apparaître comme une offre privilégiée dans la mesure où elle permettait vraisemblablement – nous avons très peu d'informations sur le contenu des offres – de préserver un maximum d'emplois. Vous avez évoqué également P&O ou encore la SCOP SeaFrance à laquelle la porte semblait récemment encore ouverte. Je tiens à préciser que personne ici n'est faiseur de faux espoirs. Quant à la région, elle a proposé, dès 2012, de participer financièrement en créant une société d'économie mixte – il en existe deux en France qui exploitent des compagnies maritimes. Tous ces acteurs ont fait part de leur légitime incompréhension de ne pas être retenus.

Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans le cadre d'une cession d'activité, ni dans une vente, mais dans une location coque nue et dans la poursuite partielle d'une activité fret que vous avez décrite.

Je le répète, vous avez fait le plus dur ces trois dernières années. La décision positive de la cour d'appel britannique pouvait laisser penser qu'une ouverture était possible. Nous pouvions d'autant plus le croire que vous déclariez : « Si la SCOP gagne la procédure qu'elle mène en appel, nous serons très heureux et continuerons avec eux, nous resterons dans le business, nous gardons MyFerryLink. Celui-ci sera à l'équilibre en 2015, avec un an d'avance sur les prévisions, et nous fera gagner de l'argent en 2016 ».

Au cours des dernières semaines, de nombreuses ambiguïtés et interrogations ont entretenu fantasmes et inquiétudes. Comment interpréter le refus de communiquer les contrats avec DFDS, alors que le tribunal de Boulogne-sur-Mer a prononcé une astreinte de 30 000 euros par jour ? Il est difficile, d'un côté, d'en appeler à la justice et, de l'autre, de refuser de s'y soumettre. Par ailleurs, comment expliquer que les tarifs de DFDS aient récemment augmenté de 13 %, alors que la compagnie est réputée pour sa politique low cost ? On pourrait s'interroger sur l'efficacité économique d'un seul navire pour assurer le trafic transmanche. De même, la location des deux navires à DFDS apparaît pour le moins obscure.

Deux rencontres au moins ont eu lieu au mois de juin dernier en sous-préfecture. Celle du 19 juin a révélé que l'intention initiale de DFDS était de conserver un seul navire et de ne reprendre que très peu de salariés, voire aucun si l'on en croit le compte rendu des déclarations. Cela n'incite pas à la confiance ni à l'apaisement. Où en est-on aujourd'hui ? Je vous pose la question, même si je sais que vous ne pouvez pas répondre à la place de DFDS.

Enfin, ce montage permettra-t-il de franchir les obstacles juridiques auxquels vous serez vraisemblablement confrontés ?

Nous avons auditionné hier Guillaume Pepy, qui nous a assuré qu'il s'intéressait de très près à une reprise des valeurs des navires achetés à l'époque à un prix estimé plus bas que celui du marché. J'imagine qu'il fait allusion à une opération qui pourrait s'apparenter à une forme de spéculation.

Je n'imagine pas un seul instant que, en vous permettant de reprendre les actifs de SeaFrance, le tribunal de commerce de Paris ait pensé que vous alliez vous soustraire aux engagements pris devant la justice française, à savoir de ne pas vendre les navires avant le mois de juin 2017 et d'assurer un partenariat social dans la durée.

On peut avoir le sentiment que seule la rentabilité financière à très court terme guide vos choix. Doit-on y voir la volonté d'actionnaires dont les exigences sont fortes, et dont les interventions, par le passé, ont montré qu'ils privilégiaient un modèle qui n'est pas le mien ?

Les politiques ne sont pas des irresponsables. Vous faisiez allusion à la spécificité d'Eurotunnel, société privée qui s'est relevée. Vous avez relevé un pari que d'aucuns considéraient comme impossible à gagner, vous avez permis le développement d'une société qui est le premier employeur privé sur le littoral et qui est indispensable à l'économie de notre territoire. Nous resterons à vos côtés pour faire en sorte que le groupe Eurotunnel puisse poursuivre un développement que l'on peut qualifier d'exemplaire.

Sans la volonté de François Mitterrand, le tunnel sous la Manche n'aurait jamais été creusé. Sans la volonté de l'État, vous ne bénéficieriez pas des infrastructures qui permettent aujourd'hui au tunnel d'être l'une des principales sources de revenus du groupe.

Ma philosophie n'a jamais été la privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes, en passant les conséquences sociales par pertes et profits. C'est d'autant moins acceptable dans un territoire qui voit s'accumuler les difficultés. Je ne verserai jamais dans la démagogie, car ce n'est pas ma philosophie. L'engagement politique retrouve sa noblesse lorsque chacun fait face à ses responsabilités, mais avec clarté.

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La Côte d'Opale vit une situation dramatique. De nombreux marins-pêcheurs de ma circonscription, ne pouvant plus exercer leur profession, travaillent sur ces ferries. C'est l'emploi qui est en jeu ; ce sont les familles qui sont directement confrontées à un risque de perte d'emploi. Et il faut aussi à tout prix défendre le pavillon France. On ne peut accepter que nos entreprises disparaissent les unes après les autres.

Les salariés, les acteurs économiques et les responsables politiques de la Côte d'Opale ne comprennent pas. Vous l'avez dit vous-même, monsieur Jacques Gounon, vous aviez atteint vos objectifs – 12 % de parts de marché pour les camions, 6 % pour les voitures. Alors que vous étiez parti de rien, vous avez su trouver votre place dans un marché en pleine expansion. Vous avez réussi à installer une marque, vous aviez des clients, vous étiez en progression et sur la voie de l'équilibre, que vous pensiez atteindre en 2017. Vous aviez fait le plus dur, et nous nous interrogeons sur votre décision de tout arrêter du jour au lendemain. Je m'interroge encore après vous avoir entendu et je souhaiterais que vous nous expliquiez à nouveau pourquoi vous avez pris une telle décision.

Vous avez expliqué les difficultés internes de la SCOP SeaFrance. Mais les désaccords peuvent parfaitement se régler. Ce n'est pas la première entreprise où il peut y avoir désaccord entre le directeur et le conseil d'administration. Ce qui compte, ce sont les fondamentaux, c'est-à-dire la marque, le marché, l'évolution de l'entreprise. Or tous ces indicateurs étaient au vert. Le seul voyant rouge, c'était la décision de l'autorité britannique de la concurrence qui interdisait d'accoster à Douvres. Mais, alors que ce problème est réglé, vous décidez de tout arrêter. Je ne comprends toujours pas les raisons d'une telle décision, qui a des conséquences désastreuses pour l'emploi et la préservation du pavillon France.

Vous avez souvent évoqué les pressions britanniques, considérant que l'autorité britannique de la concurrence n'a pas été impartiale dans ce dossier. C'est aussi ma conviction. Il y a un an, avec Natacha Bouchart, Yann Capet et des responsables de l'entreprise, je me suis rendu à Londres, dans les locaux de l'autorité de la concurrence, pour défendre ce dossier. Nous étions ressortis de cette audition avec une impression qui s'est confirmée par la suite. Je suis juriste et j'ai enseigné le droit de la concurrence. J'avais dit au ministre que, sur le fond, notre dossier était solide et que, si on le traitait du seul point de vue du droit de la concurrence, il fallait donner raison à MyFerryLink. Nous avons d'ailleurs en grande partie été entendus par l'autorité d'appel de la concurrence britannique.

Vous avez parlé d'une forme d'indifférence générale du côté français. Je l'ai dit à M. Alain Vidalies, j'estime que le Gouvernement français a manqué de vigueur, qu'il n'a pas fait suffisamment pression et qu'il ne s'est pas assez impliqué dans ce dossier depuis plusieurs mois. Les Britanniques ont défendu leurs intérêts et leurs entreprises, alors que cela n'a pas été le cas des Français – c'est malheureusement ce qui se passe pour d'autres dossiers, par exemple pour Alstom. Pour ma part, je crois au patriotisme économique, et pas seulement dans les discours.

Une instance est étrangement absente de cette affaire : la Commission européenne. Que fait-elle ? Pourquoi ne s'est-elle pas emparée d'un dossier qui la concernait, puisqu'il s'agissait d'un désaccord sur le transport de passagers entre deux États membres ? Pourquoi Bruxelles a-t-il laissé les États, les autorités de la concurrence et l'entreprise seuls ? Avez-vous eu des contacts avec Bruxelles ? Quelles réponses avez-vous obtenues ? Comment expliquer le silence assourdissant de la Commission européenne et de Bruxelles ? Ce dossier aurait pu être réglé beaucoup plus rapidement. Les blocages liés à l'autorité britannique de la concurrence ont été gravissimes, puisqu'ils ont gêné le développement de l'entreprise et peut-être été à l'origine des tensions dans l'entreprise. Si Bruxelles et le Gouvernement français étaient intervenus avec plus de force, nous n'en serions peut-être pas là aujourd'hui.

Le choix de l'entreprise DFDS est-il définitif ? D'autres choix étaient possibles. Il a été question de Stena Lines, qui avait laissé entendre que l'ensemble des emplois pourraient être préservés, ce qui n'est pas le cas de DFDS. Vous nous avez dit que DFDS était ouvert à la discussion ; j'en prends acte.

En ce qui concerne l'activité de fret, j'ai les mêmes interrogations que Yann Capet. Cette activité est-elle possible avec un seul navire ? Envisagez-vous d'acheter d'autres navires ? Par ailleurs, vous voulez reprendre 120 salariés pour l'activité de fret sur le Nord-Pas-de-Calais. Ne pouvez-vous pas aller plus loin pour limiter les dégâts en matière d'emplois ? Autrement dit, votre projet d'activité fret est-il fiable, durable ? N'est-ce pas un simple contre-feu pour gagner du temps avant de l'abandonner dans quelques mois ?

À l'occasion d'une table ronde au ministère chargé des transports, Natacha Bouchart avait suggéré de se tourner vers des entreprises comme la SANEF ou la Deutsche Bahn, qui sont intéressées indirectement par le développement du trafic et le transport de passagers et qui auraient pu trouver là un prolongement intéressant de leurs activités. Avez-vous eu des contacts avec ces entreprises ? Avez-vous recherché d'autres partenaires que P&O et Stena Lines, qui sont des concurrents de MyFerryLink ? Car c'est bien ce qui choque. Si vous aviez pu trouver un partenaire qui n'était pas déjà présent sur le trafic transmanche, peut-être aurait-on pu préserver l'entreprise et les emplois. Si ces démarches n'ont pas abouti, cette solution est-elle définitivement écartée ?

L'ensemble des élus de Calais ont demandé la tenue d'une table ronde réunissant DFDS, Eurotunnel et la SCOP SeaFrance. Êtes-vous d'accord pour participer à cette table ronde que le secrétaire d'État chargé des transports, Alain Vidalies, serait en train de préparer ?

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Dans ce contexte extrêmement tendu, nous pensons en priorité aux salariés concernés qui occupent les bateaux.

Les rapports entre Eurotunnel et le territoire ne sont pas extraordinaires. Mais on ne peut pas résumer l'histoire d'Eurotunnel en expliquant que c'est un groupe industriel qui ne perçoit pas de subventions publiques. Pour avoir exercé des responsabilités au sein du conseil régional lors de cette grande aventure qu'a été la création du tunnel sous la Manche, je pense pouvoir confirmer que les investissements publics qui l'ont accompagnée ont permis de mettre en perspective Eurotunnel. Vous avez su, au cours des trois dernières années, développer le groupe avec les petits actionnaires, mais vous avez également bénéficié du concours d'une grande maison, Goldman Sachs. On ne peut pas non plus gommer le passé et oublier que le Nord-Pas-de-Calais a été la propriété du conseil régional. À l'époque, j'étais directeur de cabinet et je me souviens très bien du dossier. Nous avions créé une société d'économie mixte pour soutenir le projet.

Il est temps de sortir de ce conflit, car, au-delà des salariés, au-delà de la population directement concernée, au-delà de Calais et du territoire, ce dossier porte atteinte au pavillon français et à nos ports.

Le président Jean-Paul Chanteguet vient de proposer la création d'une commission d'enquête qui nous permettrait de recueillir tous les éléments d'information nécessaires, et de savoir, en particulier, ce qui a prévalu au moment de l'achat et de la vente des bateaux et dans l'évaluation de leur prix. C'est un sujet important que vous n'avez pas abordé, mais qui pourrait nous intéresser. Cela nous permettrait également de réfléchir à la façon dont nous pouvons faire en sorte que le plus grand nombre possible de salariés – si ce n'est la totalité –, puisse retrouver une activité.

Au-delà de l'organisation d'une table ronde, y a-t-il de votre part une volonté d'ouvrir de nouvelles perspectives dans un souci d'assurer de meilleures relations entre les uns et les autres, après votre intervention pour mettre en cause le développement du port de Calais et après une intervention, que je trouve un peu « limite », concernant l'assistant parlementaire de M. Yann Capet. Comment ouvrir de nouvelles perspectives ? Les députés de cette commission y sont prêts. Je suis persuadé que vous partagez cette volonté et que vous allez nous faire des propositions en la matière.

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Jacques Gounon, président-directeur général du groupe Eurotunnel

La position de la Commission de la concurrence britannique porte sur deux aspects. Premièrement, elle considère que nous avons repris le fonds de commerce de SeaFrance. Nonobstant les appels en cours, on peut considérer que ce problème a été purgé : nous n'avons pas repris le fonds de commerce de cette société. Deuxièmement, elle part du postulat – que je trouve extraordinaire en termes de concurrence – qu'il ne faut que deux opérateurs maritimes sur la liaison Calais-Douvres. Cela a été écrit, réécrit, répété, lorsque je faisais allusion au fait que, au mois de décembre 2013, la cour d'appel de Londres n'a pas cassé la décision de la commission de la concurrence. C'est sur ce point-là qu'elle a renoncé à le faire.

Vous avez indiqué que DFDS avait augmenté ses prix : c'est la conséquence d'une décision que j'ai qualifiée d'absurde de la Commission de concurrence britannique.

Alors que je veux poursuivre l'activité du Nord-Pas-de-Calais et la développer – quand on veut mettre en place une navette, il faut pouvoir l'assurer de chaque côté et donc réfléchir à un deuxième navire – la Commission de la concurrence britannique m'écrit, le 7 juillet, pour me dire qu'il faut deux opérateurs maritimes, et pas davantage. C'est lunaire, mais c'est comme cela.

Bien évidemment, je suis intervenu au niveau européen auprès de M. Almunia. Mais, pour saisir la Commission européenne, il faut respecter deux critères : avoir un chiffre d'affaires minimal de 5 milliards d'euros – nous en étions très loin – et que trois pays soient concernés. Les deux critères n'étaient pas remplis. M. Almunia m'a dit être assez sensible à notre argument et que, si les deux autorités de la concurrence lui demandaient d'intervenir, il était prêt à jouer le rôle de modérateur, pour un gentleman's agreement entre les deux autorités. Bruno Lasserre a donné son accord et s'est même déclaré prêt à retirer sa propre décision, pour qu'on puisse reprendre le dossier à zéro. Mais la Commission de la concurrence britannique a écrit à M. Almunia, en substance : « C'est un problème purement britannique. » Voilà pourquoi nous sommes dans cette situation.

Dès lors que s'impose l'argument de fond selon lequel il ne faut que deux opérateurs maritimes sur le détroit, nous avons lancé un processus de désengagement, avec un conseil indépendant. Je n'ai pris personne par surprise : voilà plus de six mois que j'annonce que j'obéis à cette injonction. Nous avons consulté plus de dix candidats potentiels. Au fil du temps et de l'examen du dossier, en tenant compte de la position de l'autorité de la concurrence britannique, un seul candidat s'est avéré crédible : DFDS. Je rappelle que Stena Lines a racheté le Molière de SeaFrance. À ma grande surprise, il le fait naviguer en mer d'Irlande, alors qu'il pourrait fort bien l'exploiter à Calais. Lorsque le bruit court aujourd'hui que, après avoir abandonné Boulogne-sur-Mer, il se passionne pour le détroit du Pas-de-Calais, j'ai du mal à le croire. Quant à P&O, il était dans la position du chat qui attend que la souris MyFerryLink soit à sa portée pour la croquer. Je le dis très clairement : le conseil d'administration – ce n'est pas ma décision personnelle – a considéré que la seule offre crédible en termes d'emplois, pour autant que les négociations se soient engagées, était celle de DFDS qui a vraiment la volonté d'être présent et de se développer.

Guillaume Pepy est un homme remarquable. Mais, ce qui est extraordinaire, c'est que la SNCF, groupe public, a déclaré auprès du mandataire judiciaire de la SCOP SeaFrance une créance de 16 millions d'euros. Je l'ai dit au ministre Alain Vidalies : la SNCF achève la SCOP SeaFrance en lui demandant le remboursement de cette somme. Je veux bien que le dossier soit complexe, mais c'est extraordinaire quand on connaît l'histoire de SeaFrance et la façon dont la SNCF l'a liquidée.

Aujourd'hui, il ne faut pas nier la réalité. À l'issue du processus, le groupe Eurotunnel, en totale transparence et avec le temps nécessaire, a effectivement loué ses navires à DFDS. Il a transmis à ceux qui en avaient l'utilité les accords qui ont été signés, à savoir au liquidateur de SeaFrance, à l'issue d'une rencontre que j'ai eue avec le tribunal de commerce de Paris. J'estime que ce ne sont ni les administrateurs judiciaires de Boulogne ni la SCOP SeaFrance qui doivent se demander si je respecte ou non une clause édictée par le tribunal de commerce de Paris. Le dossier est déjà assez compliqué pour que je ne mélange pas les procédures juridiques. Le tribunal de commerce de Paris a donc tous les éléments et, à ma connaissance, il ne m'a pas interdit de louer les navires à DFDS.

Je rappelle que le groupe Eurotunnel, qui est aux portes du CAC 40, est coté à Paris et à Londres, qu'il ne passe pas d'accord scélérat ni d'entente illégale et qu'il ne fait pas d'actions délictueuses. Les accords sont très simples : nous louons à DFDS et, lorsque nous aurons le droit de vendre, nous vendrons.

Sans caricaturer, je dirai qu'on nous reproche aujourd'hui d'avoir presque réussi MyFerryLink. Oui, nous aurions aimé continuer ; oui, nous aurions aimé que la SCOP SeaFrance n'explose pas en vol ; oui, nous aurions aimé que la Commission de la concurrence britannique nous laisse travailler. Mais, aujourd'hui, elle continue à s'acharner sur une activité modeste et la SCOP SeaFrance n'a plus de direction ni de capacité de gestion. Au début de l'année, j'ai rencontré, à quatre ou cinq reprises avant son décès, Didier Capelle, le dirigeant du Syndicat maritime nord, un homme très controversé, mais intelligent. Aujourd'hui, je n'ai plus les mêmes interlocuteurs, c'est le moins que l'on puisse dire.

Il n'y a plus de SCOP SeaFrance : elle est partie en bataille, en mutinerie, en piraterie, et elle propose des projets de sabordage. Que voulez-vous que je fasse ? Je n'ai plus d'exploitant pour mes navires, car la Commission de la concurrence britannique me l'interdit. La seule solution, c'est d'arrêter de fantasmer sur ce qui aurait pu être fait. Il faut se concentrer sur la seule vraie question qui est malheureusement assez classique : comment traiter au mieux les problèmes d'emploi pour que chacun puisse décemment retrouver un travail.

Le groupe Eurotunnel l'a fait pour lui-même, il a aidé d'autres à le faire. Il reste ouvert à des avancées, ce qui nécessite que le port de Calais et le tunnel ne soient pas bloqués, que les navires soient rendus à leur propriétaire et que ce dossier continue d'être traité par le secrétaire d'État aux transports, Alain Vidalies. Personne ne comprendrait qu'il se retire, et je ne le souhaite d'ailleurs pas. Je crois qu'il est parfaitement capable de ramener tout le monde à la raison et de trouver une solution sur un sujet qui, somme toute, est assez banal, dès lors que l'on a pris acte que nous n'avions pas la possibilité de poursuivre cette activité.

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Nous avons entendu vos explications. La commission d'enquête permettra d'auditionner d'autres acteurs de ce dossier pour que nous puissions appréhender correctement tous les tenants et aboutissants.

Au nom des députés ici présents, je tiens à vous remercier une fois de plus d'avoir répondu aussi rapidement à notre invitation.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du jeudi 9 juillet 2015 à 10 h 15

Présents. - M. Yann Capet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Viviane Le Dissez, M. Yves Nicolin, M. Rémi Pauvros

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Yves Caullet, M. Stéphane Demilly, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Nicolas Bays, Mme Brigitte Bourguignon, M. Daniel Fasquelle