Intervention de Jacques Gounon

Réunion du 9 juillet 2015 à 10h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Gounon, président-directeur général du groupe Eurotunnel :

La position de la Commission de la concurrence britannique porte sur deux aspects. Premièrement, elle considère que nous avons repris le fonds de commerce de SeaFrance. Nonobstant les appels en cours, on peut considérer que ce problème a été purgé : nous n'avons pas repris le fonds de commerce de cette société. Deuxièmement, elle part du postulat – que je trouve extraordinaire en termes de concurrence – qu'il ne faut que deux opérateurs maritimes sur la liaison Calais-Douvres. Cela a été écrit, réécrit, répété, lorsque je faisais allusion au fait que, au mois de décembre 2013, la cour d'appel de Londres n'a pas cassé la décision de la commission de la concurrence. C'est sur ce point-là qu'elle a renoncé à le faire.

Vous avez indiqué que DFDS avait augmenté ses prix : c'est la conséquence d'une décision que j'ai qualifiée d'absurde de la Commission de concurrence britannique.

Alors que je veux poursuivre l'activité du Nord-Pas-de-Calais et la développer – quand on veut mettre en place une navette, il faut pouvoir l'assurer de chaque côté et donc réfléchir à un deuxième navire – la Commission de la concurrence britannique m'écrit, le 7 juillet, pour me dire qu'il faut deux opérateurs maritimes, et pas davantage. C'est lunaire, mais c'est comme cela.

Bien évidemment, je suis intervenu au niveau européen auprès de M. Almunia. Mais, pour saisir la Commission européenne, il faut respecter deux critères : avoir un chiffre d'affaires minimal de 5 milliards d'euros – nous en étions très loin – et que trois pays soient concernés. Les deux critères n'étaient pas remplis. M. Almunia m'a dit être assez sensible à notre argument et que, si les deux autorités de la concurrence lui demandaient d'intervenir, il était prêt à jouer le rôle de modérateur, pour un gentleman's agreement entre les deux autorités. Bruno Lasserre a donné son accord et s'est même déclaré prêt à retirer sa propre décision, pour qu'on puisse reprendre le dossier à zéro. Mais la Commission de la concurrence britannique a écrit à M. Almunia, en substance : « C'est un problème purement britannique. » Voilà pourquoi nous sommes dans cette situation.

Dès lors que s'impose l'argument de fond selon lequel il ne faut que deux opérateurs maritimes sur le détroit, nous avons lancé un processus de désengagement, avec un conseil indépendant. Je n'ai pris personne par surprise : voilà plus de six mois que j'annonce que j'obéis à cette injonction. Nous avons consulté plus de dix candidats potentiels. Au fil du temps et de l'examen du dossier, en tenant compte de la position de l'autorité de la concurrence britannique, un seul candidat s'est avéré crédible : DFDS. Je rappelle que Stena Lines a racheté le Molière de SeaFrance. À ma grande surprise, il le fait naviguer en mer d'Irlande, alors qu'il pourrait fort bien l'exploiter à Calais. Lorsque le bruit court aujourd'hui que, après avoir abandonné Boulogne-sur-Mer, il se passionne pour le détroit du Pas-de-Calais, j'ai du mal à le croire. Quant à P&O, il était dans la position du chat qui attend que la souris MyFerryLink soit à sa portée pour la croquer. Je le dis très clairement : le conseil d'administration – ce n'est pas ma décision personnelle – a considéré que la seule offre crédible en termes d'emplois, pour autant que les négociations se soient engagées, était celle de DFDS qui a vraiment la volonté d'être présent et de se développer.

Guillaume Pepy est un homme remarquable. Mais, ce qui est extraordinaire, c'est que la SNCF, groupe public, a déclaré auprès du mandataire judiciaire de la SCOP SeaFrance une créance de 16 millions d'euros. Je l'ai dit au ministre Alain Vidalies : la SNCF achève la SCOP SeaFrance en lui demandant le remboursement de cette somme. Je veux bien que le dossier soit complexe, mais c'est extraordinaire quand on connaît l'histoire de SeaFrance et la façon dont la SNCF l'a liquidée.

Aujourd'hui, il ne faut pas nier la réalité. À l'issue du processus, le groupe Eurotunnel, en totale transparence et avec le temps nécessaire, a effectivement loué ses navires à DFDS. Il a transmis à ceux qui en avaient l'utilité les accords qui ont été signés, à savoir au liquidateur de SeaFrance, à l'issue d'une rencontre que j'ai eue avec le tribunal de commerce de Paris. J'estime que ce ne sont ni les administrateurs judiciaires de Boulogne ni la SCOP SeaFrance qui doivent se demander si je respecte ou non une clause édictée par le tribunal de commerce de Paris. Le dossier est déjà assez compliqué pour que je ne mélange pas les procédures juridiques. Le tribunal de commerce de Paris a donc tous les éléments et, à ma connaissance, il ne m'a pas interdit de louer les navires à DFDS.

Je rappelle que le groupe Eurotunnel, qui est aux portes du CAC 40, est coté à Paris et à Londres, qu'il ne passe pas d'accord scélérat ni d'entente illégale et qu'il ne fait pas d'actions délictueuses. Les accords sont très simples : nous louons à DFDS et, lorsque nous aurons le droit de vendre, nous vendrons.

Sans caricaturer, je dirai qu'on nous reproche aujourd'hui d'avoir presque réussi MyFerryLink. Oui, nous aurions aimé continuer ; oui, nous aurions aimé que la SCOP SeaFrance n'explose pas en vol ; oui, nous aurions aimé que la Commission de la concurrence britannique nous laisse travailler. Mais, aujourd'hui, elle continue à s'acharner sur une activité modeste et la SCOP SeaFrance n'a plus de direction ni de capacité de gestion. Au début de l'année, j'ai rencontré, à quatre ou cinq reprises avant son décès, Didier Capelle, le dirigeant du Syndicat maritime nord, un homme très controversé, mais intelligent. Aujourd'hui, je n'ai plus les mêmes interlocuteurs, c'est le moins que l'on puisse dire.

Il n'y a plus de SCOP SeaFrance : elle est partie en bataille, en mutinerie, en piraterie, et elle propose des projets de sabordage. Que voulez-vous que je fasse ? Je n'ai plus d'exploitant pour mes navires, car la Commission de la concurrence britannique me l'interdit. La seule solution, c'est d'arrêter de fantasmer sur ce qui aurait pu être fait. Il faut se concentrer sur la seule vraie question qui est malheureusement assez classique : comment traiter au mieux les problèmes d'emploi pour que chacun puisse décemment retrouver un travail.

Le groupe Eurotunnel l'a fait pour lui-même, il a aidé d'autres à le faire. Il reste ouvert à des avancées, ce qui nécessite que le port de Calais et le tunnel ne soient pas bloqués, que les navires soient rendus à leur propriétaire et que ce dossier continue d'être traité par le secrétaire d'État aux transports, Alain Vidalies. Personne ne comprendrait qu'il se retire, et je ne le souhaite d'ailleurs pas. Je crois qu'il est parfaitement capable de ramener tout le monde à la raison et de trouver une solution sur un sujet qui, somme toute, est assez banal, dès lors que l'on a pris acte que nous n'avions pas la possibilité de poursuivre cette activité.

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