Les communications que nous effectuons aujourd'hui avec M. Guy Geoffroy au titre de la veille européenne portent, d'une part, sur la protection des intérêts financiers de l'Union et, d'autre part, sur la création du Parquet européen. Il s'agit de deux sujets liés, puisque la protection des intérêts financiers de l'Union constitue, aux termes de l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le champ de compétence de plein droit du futur Parquet européen, même si ce même article prévoit la possibilité que la compétence de ce Parquet soit étendue à la criminalité grave ayant une dimension transfrontière.
L'importance de la protection des intérêts financiers de l'Union européenne ne doit pas être minimisée. En effet, dans la mesure où les politiques de l'Union sont financées grâce à ses ressources, toute fraude contre ses intérêts financiers constitue une atteinte à ses capacités d'action. La Commission européenne estime qu'une protection efficace de ces intérêts suppose la convergence des pratiques des États membres en la matière.
Par « intérêts financiers de l'Union », on entend l'ensemble des recettes perçues et des dépenses exposées relevant du budget de l'Union européenne et de ses institutions. Par extension, sont également concernés les actifs des États membres lorsqu'ils sont destinés à soutenir ou stabiliser leur économie ou leurs finances publiques dans une perspective pertinente pour les politiques de l'Union.
D'après son rapport annuel sur la lutte contre la fraude, la Commission dénombre pas moins de 1 230 « irrégularités budgétaires frauduleuses » commises en 2011. Certes, le phénomène est en recul par rapport à 2010, ce qui témoigne d'une certaine efficacité des politiques de lutte contre la fraude, mais des différences significatives persistent entre les approches des États membres dans leurs procédures d'analyse des irrégularités, certains d'entre eux continuant de notifier des taux très bas de fraude.
L'Union européenne dispose déjà d'un corpus juridique faisant obligation aux États membres de fixer des règles minimales de droit pénal pour protéger ses intérêts financiers, fondé sur la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes du 26 juillet 1995.
Au niveau européen, l'action s'appuie sur l'Office de lutte antifraude, l'OLAF, créé en 1999. Mais ces instruments sont encore insuffisants pour atteindre le haut niveau de protection attendu, ce qui nuit à la crédibilité de l'Union dans ses efforts de rigueur budgétaire et d'optimisation de l'utilisation des deniers publics. Le dispositif juridique de protection des intérêts financiers de l'Union en vigueur souffre de plusieurs déficiences : faiblesse des capacités de détection des activités criminelles, insuffisance des mesures de suivi, sanctions insuffisamment dissuasives, faiblesse du taux de recouvrement des sommes perdues.
En conséquence, la Commission propose de nouvelles mesures pour accentuer la répression pénale des fraudes, à travers une proposition de directive qu'elle a présentée le 11 juillet 2012.
Aux termes de cette proposition de directive, le champ des infractions pénales devrait désormais couvrir :
– la communication d'informations fausses, la non-communication d'informations requises ou le détournement de fonds en vue de percevoir indûment des fonds européens ou de se soustraire au versement de contributions participant aux ressources budgétaires européennes ;
– la communication ou la non-communication intentionnelle d'informations dans le but de fausser la passation d'un marché public ou l'instruction d'un octroi de subvention ;
– le blanchiment de capitaux ;
– la corruption passive ou active ainsi que le détournement de fonds par agent public ;
– le fait d'inciter à commettre de tels actes, de s'en rendre complice ou de tenter de les commettre.
Les États membres devraient veiller à ce que les personnes physiques reconnues coupables de l'une de ces infractions « soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives ».
Pour les faits de blanchiment de capitaux et de corruption ayant occasionné un préjudice de 30 000 euros ou plus et pour tous les autres faits ayant occasionné un préjudice de 100 000 euros ou plus, une fourchette de peines d'emprisonnement allant de six mois minimum à cinq ans minimum est prévue.
La prescription aux termes de laquelle l'enquête, les poursuites, le jugement et la décision judiciaire deviendraient impossibles ne pourra pas être fixée à moins de cinq ans à compter de la date de la commission de l'infraction. Pour contrecarrer les stratégies de soustraction à la justice, les États membres devraient veiller en outre :
– à ce qu'un nouveau délai, courant jusqu'à dix ans au moins à compter de la date de commission de l'infraction, soit enclenché à la suite de tout acte d'une autorité nationale compétente ;
– à ce que les peines infligées au titre de condamnation définitive puissent être exécutées pendant une période courant jusqu'à dix ans au moins à compter de la date de ladite condamnation.
Les autorités françaises soutiennent l'idée d'une action coordonnée conduite à l'échelon européen pour améliorer la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Toutefois, la transposition en droit français de la proposition de directive nécessiterait, en l'état, des mesures d'adaptation juridique extrêmement délicates.
Tout d'abord, on peut relever que la fixation de la sévérité des sanctions en fonction du niveau des préjudices financiers subis est inhabituelle dans la tradition pénale française. Or la proposition de directive prévoit une modulation des peines selon le préjudice financier subi par l'Union européenne. Il y aurait là une innovation dans le droit pénal français, dont l'impact juridique et l'applicabilité en droit français devra être bien évaluée par les négociateurs français.
Mais, surtout, deux autres dispositions de la proposition sont clairement incompatibles avec des principes du droit pénal français.
Premièrement, il conviendrait de réduire les délais de prescription prévus dans la proposition de directive : à trois ans, au lieu de cinq ou de dix ans selon les cas, pour ce qui concerne l'exercice de l'action publique ; et de dix à cinq ans, pour ce qui concerne l'exécution des peines.
Deuxièmement, la proposition de directive prévoit un système de fourchettes de durées d'emprisonnement. Or, en vertu des principes d'individualisation et de nécessité des peines, les peines minimales ont été abandonnées, dans notre pays, avec l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994. Cette règle supporte actuellement une unique exception : les personnes condamnées en situation de récidive légale, qui sont passibles de peines dites « planchers ».
Afin d'éviter toute mesure contraire au principe de la nécessité des peines, les négociateurs français devront donc obtenir l'assurance que le juge restera libre de s'affranchir du seuil minimal de peine théorique, en accordant le bénéfice de circonstances atténuantes, faute de quoi il importera qu'ils obtiennent la suppression pure et simple de la référence à un seuil de peines.