Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 12 décembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy, co-rapporteur chargé de la veille européenne :

Ma communication relative au projet de création d'un Parquet européen s'articule très logiquement avec celle de Mme Karamanli sur la protection des intérêts financiers de l'Union, puisque c'est la protection de ces intérêts qui est à l'origine de l'idée de créer un tel Parquet.

Nous avons, en France, et en particulier au sein de l'Assemblée nationale, déjà beaucoup réfléchi à cette question et travaillé dessus depuis maintenant une douzaine d'années. En effet, elle est apparue au début des années 2000. Dès 1988, a été créée l'Unité de coordination de lutte anti-fraude, l'UCLAF, transformée en 1999 en Office européen de lutte anti-fraude, l'OLAF, indépendant de la Commission européenne et chargé de la lutte contre la fraude touchant les intérêts financiers de l'Union. Mais, en 2002, alors que le montant de cette fraude est évalué à un milliard d'euros par an, la Commission propose d'engager une réflexion en vue de créer, ex nihilo, un Parquet européen. À cette époque, la délégation à l'Union européenne de notre Assemblée avait globalement approuvé cette proposition, mais la commission des Lois, dont j'avais alors été le rapporteur, avait souhaité que le domaine de compétences de ce Parquet soit élargi afin qu'il ne lutte pas uniquement contre le milliard d'euros perdus par les institutions européennes, mais aussi contre les centaines de milliards d'euros que coûte la criminalité organisée transfrontière à l'échelle de l'Union européenne. L'Assemblée nationale avait adopté une résolution en ce sens. Les autorités françaises et allemandes ont soutenu l'idée de créer un Parquet européen doté d'un domaine de compétence incluant la lutte contre cette criminalité à partir d'Eurojust.

Dans notre rapport d'information du 29 juin 2011 relatif au Parquet européen, nous avions encore mis en évidence, avec Marietta Karamanli, la nécessité d'apporter à la grande criminalité transnationale une réponse forte et commune de l'Union européenne, qui permette de pallier les limites de la coopération judiciaire pénale et le morcellement de l'espace judiciaire européen. Une résolution en ce sens a été adoptée par notre Assemblée à l'été 2011.

Au cours de ces années, les positions des États de l'Union ont évolué. La création du Parquet européen dispose désormais d'une assise juridique incontestable dans le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et semble faire l'objet d'une réelle volonté politique de la Commission européenne appuyée par un nombre suffisant d'États membres.

Sur le plan du droit, la possibilité de sa création est désormais prévue par l'article 86 du TFUE, qui stipule dans son premier paragraphe que pour « combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d'Eurojust ». Mais ce même article 86 prévoit dans son paragraphe 4 que « le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière ». Cette stipulation a constitué un pas fondamental vers la réalisation du souhait de notre Assemblée.

Sur le plan politique, la volonté d'avancer est attestée par l'élaboration actuellement en cours au sein de la Commission européenne d'une proposition de règlement, dont la présentation est envisagée dans le courant de l'année 2013. Une délégation de l'OLAF et de la direction générale « Justice » de la Commission européenne, qui s'est déplacée il y a quelques jours à l'Assemblée nationale, nous a apporté des informations précises quant aux contours de cette future proposition de règlement. Nous avons ainsi découvert un point nouveau : ce Parquet ne serait finalement créé ni ex nihilo, ni à partir seulement d'Eurojust, mais engloberait l'OLAF.

Sur le plan organisationnel et statutaire tout d'abord, le texte tendrait à la création d'un Parquet européen décentralisé, construit autour d'un office central qui coordonnerait l'action d'un réseau de « parquetiers » nationaux des États membres participants, lesquels seraient investis de prérogatives en matière de conduite des enquêtes, d'engagement des poursuites et de déférement devant des tribunaux.

L'idée ne serait pas de bâtir un « monstre bureaucratique », qui pourrait être perçu comme un concurrent par chacun des systèmes nationaux de poursuites, mais au contraire et de façon pragmatique d'instituer une structure relativement légère, appuyée sur les moyens humains, matériels et financiers des juridictions des États membres, ainsi que sur les ressources administratives existantes et l'expertise de l'OLAF et d'Eurojust, et ce, pour trois motifs : premièrement, tenir compte de la contrainte budgétaire actuelle ; deuxièmement, favoriser l'acceptabilité du projet pour les citoyens de l'Union européenne ; troisièmement, assurer la meilleure efficacité possible de l'action publique.

Se fondant sur le fait qu'aucun Parquet au monde ne fonctionnerait sur un mode collégial, la Commission européenne proposerait de mettre en place une structure hiérarchique avec, à sa tête, un procureur européen unique. Elle estime que cette structure serait la mieux à même de garantir l'indépendance et l'intégrité des magistrats, qui, dans leur fonction de « parquetiers » européens, ne représenteront pas leur pays ou leur administration.

Chaque État membre désignerait parmi ses magistrats du Parquet un « parquetier européen », qui posséderait une double casquette nationale et européenne : sous sa casquette nationale, il continuerait à travailler au profit de son Parquet national ; sous sa casquette européenne, il agirait au titre du Parquet européen quand il aurait à traiter d'une affaire impactant les intérêts financiers de l'Union.

La procédure de nomination et le statut du procureur européen auraient pour objet de garantir son indépendance. Ils devraient s'inspirer de ceux des juges de la Cour de justice de l'Union européenne. Il nous a par ailleurs été indiqué qu'un règlement élaboré en parallèle devrait modifier les règles régissant le fonctionnement d'Eurojust depuis 2009, afin, notamment, de décharger le collège des fonctions administratives.

La structure hiérarchique proposée semble à première vue s'éloigner de la structure collégiale qu'avait appelée de ses voeux la résolution adoptée par notre Assemblée en août 2011, et qui aurait reposé sur Eurojust. Pour autant, elle n'est pas incompatible avec notre vision et me semble devoir être acceptée au nom du pragmatisme.

Sur le plan de la compétence matérielle, l'idée de la Commission européenne serait, dans un premier temps, de ne confier à ce Parquet européen que les questions relatives à la protection des intérêts financiers de l'Union. Par la suite, l'idée défendue par la délégation que nous avons reçue est que, une fois l'autorité du Parquet européen assise, son efficacité reconnue et sa valeur ajoutée démontrée, il deviendrait politiquement envisageable – voire aisé – d'élargir son champ de compétence à la lutte contre la grande criminalité transfrontalière, comme le permet le TFUE. La proposition de la Commission constituerait ainsi une première étape vers la réalisation de ce que nous souhaitons.

Si cette option peut apparaître quelque peu en retrait par rapport aux orientations de notre rapport d'information de juin 2011 et à la résolution d'août 2011, force est de reconnaître qu'elle obéit au réalisme et qu'elle est sans doute la meilleure voie pour aboutir rapidement à la création d'un Parquet européen opérationnel.

En conclusion, il me semble que nous ne pouvons que nous réjouir de la perspective de la création du Parquet européen à un horizon relativement proche, l'essentiel étant de parvenir à dépasser les notions de souveraineté nationale et de coopération internationale dans le domaine pénal, et ainsi éviter les conflits entre juridictions des États membres, quand ce n'est pas leur inaction.

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