Chers collègues, je commencerai par vous présenter le Forum parlementaire européen sur la population et le développement (EPF). Ce réseau parlementaire basé à Bruxelles sert de plateforme de coopération et de coordination aux groupes parlementaires qui, tous partis confondus, s'attachent à travers l'Europe à améliorer la santé et les droits sexuels et reproductifs dans leur pays comme à l'étranger, en dégageant des budgets nationaux et régionaux pour la santé et l'aide extérieure. L'EPF a pour vocation de permettre aux parlementaires que nous sommes de respecter leurs engagements internationaux en matière de population et de développement, tant au niveau national que régional et international.
En offrant aux parlementaires un cadre de coopération et de débat, EPF et son réseau de membres constitué de groupes parlementaires à travers tout le continent sont en mesure de mobiliser efficacement des ressources afin d'obtenir le financement et les engagements politiques nécessaires à l'accomplissement des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). L'Europe regroupe trente-deux des quarante-trois gouvernements donateurs au titre de l'aide publique au développement à l'échelle mondiale : nous avons un rôle majeur à jouer afin de nous assurer que les engagements internationaux de la France dans ces domaines sont bien respectés.
L'activité du forum parlementaire est pilotée par un comité exécutif désormais présidé par la Suédoise Ulrika Karlsson, la vice-présidence étant assurée par la Portugaise Monica Ferro. J'ai eu l'honneur d'être désignée membre de ce comité afin d'y représenter la France, notre assemblée et la délégation.
La réunion du forum s'est tenue les 16 et 17 avril derniers à Berlin, en présence de représentants de cinquante pays. Elle avait pour thème les politiques publiques menées par les pays du G7 et du G20 en vue de permettre aux femmes de choisir leur vie et de vivre en bonne santé selon la volonté qui est la leur.
Les principaux enjeux concernent la santé des femmes et la défense de leurs droits fondamentaux. Il s'agit surtout de promouvoir des politiques publiques permettant de favoriser l'émancipation de toutes les femmes à travers le monde. Et je dois dire qu'il était passionnant de découvrir les différences entre pays et leurs avancées respectives.
La santé sexuelle et reproductive renvoie à la capacité pour les femmes de mener une vie sexuelle sûre et épanouie et de choisir d'avoir ou non des enfants. Plusieurs actions sous-tendent cette problématique : promotion de l'éducation à la sexualité, notamment chez les adolescents, défense du droit à la santé, accompagnement pour les jeunes mères et leurs enfants à travers une protection maternelle et infantile efficace, soutien du dépistage des maladies sexuellement transmissibles ou bien de certaines maladies comme les cancers du col de l'utérus.
Les femmes et les jeunes filles sont au centre de ces questions de santé car elles sont exposées au risque de naissances prématurées et de grossesses multiples. À cela s'ajoutent des facteurs sociaux et politiques qui accroissent la vulnérabilité des femmes. À cet égard, j'aimerais évoquer le témoignage poignant de Fawzia Koofi, femme politique et féministe afghane, qui a insisté sur les difficultés accrues que rencontrent les femmes de son pays depuis l'arrivée des talibans à Kaboul.
Si en Europe et aux États-Unis ces questions sont prises en compte et garanties dans le cadre de politiques publiques affirmées, et si chacun s'accorde globalement sur les objectifs à l'échelle internationale, les écarts entre les paroles et les actes font entrevoir une très forte marge de progression lorsqu'il s'agit de les traduire concrètement.
Plusieurs intervenants, issus notamment du continent africain, ont insisté sur le difficile accès à la contraception. Un chiffre suffit à résumer cette préoccupation tant il est éloquent : 255 millions de femmes ne veulent pas ou ne peuvent pas utiliser de moyen de contraception. L'ignorance quant aux enjeux et une insuffisante perception des risques liés à la maternité expliquent cet état de fait. L'importance des facteurs culturels doit être soulignée. Dans de nombreuses cultures, les discriminations jouent dès le plus jeune âge et la religion pèse dans l'appréhension de ces questions qui se situent au confluent de la société et des choix intimes. Aussi est-il important d'engager un dialogue soutenu avec les leaders religieux de toute confession afin de sensibiliser les populations.
Par ailleurs, il convient d'agir pour réduire la pauvreté. Le fait d'espacer les naissances permet aux parents de s'investir davantage dans l'éducation de leurs enfants, notamment d'un point de vue financier. Permettre aux femmes de choisir le moment où elles souhaitent avoir un enfant, c'est leur donner aussi l'occasion de mieux articuler leur vie personnelle avec la conduite d'une carrière professionnelle. En Colombie, on a pu mettre en évidence le fait que le revenu d'un ménage augmentait de 10 % à 20 % lorsque les femmes sont en mesure de travailler.
L'augmentation du nombre de jeunes filles pouvant accéder au système éducatif constitue une autre priorité. Lorsque les ressources sont limitées, l'éducation est souvent sacrifiée. On estime environ à 60 millions le nombre d'enfants n'allant pas à l'école. Il s'agit majoritairement de jeunes filles.
De façon globale enfin, l'amélioration de l'accès à la santé est à l'évidence une nécessité. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que les décès et handicaps liés à l'absence de contraception comptent pour un tiers dans le taux global de morbidité chez les femmes.
Au regard de ces enjeux, les actes politiques qui ont été ceux de la majorité et du Gouvernement depuis 2012 en matière de droits des femmes et d'égalité entre les sexes apparaissent comme autant d'opportunités de positionner notre pays aux avant-postes. La France est d'ailleurs reconnue pour ces actions en ce domaine, il importe de le souligner.
Dans le cadre de l'une des tables rondes, j'ai pu rappeler l'engagement de notre gouvernement depuis 2012 et les travaux menés par la Délégation aux droits des femmes en accompagnement du processus législatif. J'ai souligné les enjeux qui sous-tendaient la loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes du 4 août 2014, notamment en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, partie sur laquelle j'étais corapporteure – renforcement de l'ordonnance de protection, éviction du conjoint violent, plateforme téléphonique d'écoute et d'orientation 39 19 « Violences femmes info ». Enfin, j'ai eu l'occasion de préciser que cet engagement ne s'était pas démenti lors de l'examen du projet de loi pour la modernisation de notre système de santé lequel, vous le savez, prévoit de donner la possibilité aux infirmiers scolaires de délivrer une contraception d'urgence et aux sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse ainsi que de faciliter l'accès à la contraception en milieu scolaire afin de mieux accompagner notre jeunesse. En conclusion de mon propos, j'ai indiqué l'engagement de la France, organisatrice de la Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015 (COP 21), à intégrer pleinement une dimension genrée dans la lutte contre le changement climatique.
Savoir ne suffit pas, il faut agir. Alors que la crise perdure, les participants au Forum ont tenu à réaffirmer la nécessité de prendre appui sur les femmes en tant que piliers du redressement économique.
La promotion des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes est une priorité de la politique française de développement. À la suite de l'évaluation présentée dans le précédent document d'orientation stratégique « Genre et développement », adopté en 2007, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de 2013 a adopté une nouvelle stratégie. Elle fait de l'égalité entre les femmes et les hommes un impératif éthique et politique, un objectif de développement à part entière et la garantie d'une aide à la fois plus juste et plus efficace.
D'un point de vue opérationnel, cette stratégie propose une boussole de l'égalité qui fixe des objectifs précis à l'horizon 2017 : sensibilisation et formation des actrices et acteurs, appui à la recherche, promotion du dialogue avec la société civile, redevabilité en matière d'efficacité de l'aide publique au développement.
Le genre devient ainsi un thème transversal de l'action extérieure de la France par le biais aussi bien des instruments de financement et de mise en oeuvre des projets de développement que du plaidoyer politique au niveau bilatéral, européen et multilatéral.
La prise en compte du genre intervient à différents niveaux : Fonds de solidarité prioritaire « Genre, génération et cohésion sociale » visant à soutenir des projets de soutien à l'emploi des femmes et des jeunes dans le monde arabe – Tunisie, Maroc, Égypte – mais aussi engagements de Muskoka, dans le cadre desquels la France s'est engagée à financer entre 2011 et 2015 près de 500 millions d'euros additionnels destinés aux programmes de santé maternelle et infantile. Une approche transversale en termes de genre est privilégiée à travers les activités menées par le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) et ONU Femmes ainsi qu'à travers les actions spécifiques mises en oeuvre par les services de coopération et d'action culturelle et par l'administration.
Notre rôle en tant que parlementaires est de garantir que l'engagement qui est le nôtre soit maintenu dans le contexte budgétaire que nous connaissons. Notre délégation y veillera.
Ce compte rendu ne serait pas complet s'il ne faisait pas état des craintes relayées par nos interlocuteurs devant la baisse des aides de la France.
Bien qu'il représente 10 % de l'aide publique au développement au niveau mondial, l'effort français, comme celui de la majorité des pays européens, a régressé ces dernières années en raison des difficultés budgétaires. Il représente aujourd'hui 0,37 % de son revenu national brut (RNB). La France se situait en 2013 au cinquième rang des pays donateurs derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et le Japon.
Rappelons qu'en vertu du Consensus de Monterrey de 2002 et du Consensus européen pour le développement de 2005, dont elle est signataire, la France s'était engagée comme d'autres pays développés à allouer 0,7 % de son RNB à l'aide publique au développement d'ici à 2015. Aujourd'hui, seuls quatre États membres de l'Union européenne ont atteint l'objectif intermédiaire fixé à 0,56 % en 2010 : le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède. À cela s'ajoute l'engagement de consacrer entre 0,15 % et 0,20 % du RNB aux pays moins avancés (PMA).
Nous ne sommes pas sans outils, notamment depuis le vote de la loi du 7 juillet 2014 relative à la politique de développement et de solidarité internationale qui a pour objectif de renforcer le contrôle démocratique et d'améliorer l'évaluation de l'aide au développement. Elle établit des indicateurs de résultats annuels, qualitatifs et quantitatifs, destinés à évaluer les projets d'aide et à rendre la politique de développement plus transparente. Par ailleurs, elle octroie au Parlement la possibilité de débattre des critères d'attribution des aides ou de ses destinataires alors que ceux-ci relevaient auparavant du domaine réservé de l'exécutif, le Parlement ne faisant que voter le budget du ministère. La loi crée également une instance de concertation pérenne consacrée aux orientations de la politique de développement : le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI). Je souhaite vivement que notre délégation puisse se saisir de ces nouveaux outils dans les domaines qui l'intéressent directement.
De façon plus générale, il faut imposer que ces thématiques soient durablement inscrites au rang des priorités. La problématique des droits humains et du développement durable doit être appréhendée non plus seulement du point de vue de la préservation de l'environnement mais aussi de façon globale afin de construire une société plus douce et plus durable. C'est un appel à une autre vision de l'égalité femmes-hommes.
Pour finir, j'aborderai une question de terminologie. Plutôt que de « droits de l'homme » ne faudrait-il pas parler de « droits humains » ? Je pose la question tout en vous donnant mon point de vue. Je pense en effet que l'expression actuelle est porteuse d'une certaine discrimination et qu'elle contribue en outre à rendre invisibles les luttes et les intérêts des femmes.
Je m'engage à vous rendre compte de façon régulière de mon activité au sein de l'EPF. Une nouvelle réunion du comité exécutif se tiendra lundi prochain, 29 juin, à Bruxelles et je ne manquerai pas de vous informer de nos débats.