Intervention de Sandrine Doucet

Réunion du 1er juillet 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet, rapporteur :

Je suis heureuse de pouvoir vous présenter aujourd'hui ce rapport d'information sur la validation de l'apprentissage non formel et informel qui éveille en effet, comme vous l'avez dit, peut-être autant de curiosité que de scepticisme. Mais quand on voit l'énorme travail qui a été effectué dans d'autres pays, je ne regrette pas de m'être penchée sur ce sujet. Je tiens à vous expliquer ce qui m'a amenée à me pencher sur ce thème non sans avoir emprunté des chemins détournés.

À l'occasion du travail que j'ai mené depuis 2012 autour du programme européen Erasmus, qui est devenu Erasmus + en janvier 2014, j'ai été frappée par le développement de ce qu'on appelle en anglais des soft skills. Au-delà de la maîtrise de la langue ou du diplôme concerné par la mobilité à l'étranger, c'est en effet une certaine aisance et une autonomie qui est valorisée tant par les étudiants qui ont vécu une mobilité – Erasmus ou pas – que par les employeurs. La valorisation qui accompagne aujourd'hui l'apprentissage et toutes les expériences d'alternance participent de cette évolution qui me parait excellente parce qu'on accorde désormais beaucoup plus de valeur qu'on ne le faisait autrefois aux compétences ou aptitudes acquises sur le tas, dans le cadre du travail ou dans des expériences de stage ou de mobilité, au-delà donc de connaissances théoriques, déterminantes certes mais jamais suffisantes. De là mon intérêt et mon étonnement devant la mention répétée dans tous les textes de références européens portant sur l'éducation et la jeunesse d'une nécessaire valorisation ou validation de l'apprentissage non formel et informel, jusqu'à découvrir qu'une recommandation du Conseil et du Parlement européen avait pu être adoptée sur ce sujet même ! Il s'agit de la recommandation du Conseil du 20 décembre 2012 relative à la validation des acquis d'apprentissage non formel et informel. Le rapport d'information que je vous présente aujourd'hui est parti de là. J'ouvre une parenthèse : lorsque j'avais travaillé sur le rapport Erasmus + dont le thème était la démocratisation d'Erasmus, je m'étais intéressée aux jeunes des maisons familiales et rurales qui, à l'occasion de stages linguistiques, mettaient en avant des acquis - savoir partir, quitter la famille, acquérir de l'autonomie – qui paraissaient aussi intéressants à leurs formateurs les éléments du diplôme lui-même.

Par apprentissage, de quoi s'agit-il ? Il faut d'emblée lever une équivoque propre au français. Il ne s'agit pas de l'apprentissage au sens d'une voie de formation sanctionnée par un diplôme professionnel comme on l'entend communément en France, et qui fait l'objet d'un engagement présidentiel et d'une politique volontariste – 500 000 embauches d'apprentis d'ici 2017 – à laquelle j'adhère profondément par ailleurs. Par apprentissage, il faut entendre le processus général, psycho-cognitif, par lequel un individu assimile des informations, des idées et des valeurs et acquiert de la sorte des connaissances, des savoir-faire, des qualifications et ou compétences d'ordre cognitif et pratique. Or la voie royale de l'apprentissage, c'est l'apprentissage dispensé dans un contexte formel, c'est-à-dire organisé et structuré, avec des objectifs, un horaire, un programme et des ressources, etc. et qui débouche généralement sur la délivrance d'une qualification, en général sous la forme d'un certificat ou d'un diplôme. Il recouvre les secteurs de l'enseignement général, de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle. Mais à côté de ces secteurs, bien connus et balisés, il en existe d'autres qui font précisément l'objet de ce rapport et que la recommandation que j'ai citée et les textes européens désignent sous deux rubriques, l'apprentissage non formel et l'apprentissage informel. À dire vrai, la différence entre les deux n'est pas selon moi déterminante. Ce qu'il faut retenir, c'est que l'apprentissage non formel et informel, qui recouvre toutes les compétences et les savoir-faire acquis dans des activités de loisirs, ludiques ou non, moins reconnu que le formel, occupe en réalité une place prépondérante dans le processus d'apprentissage des individus précisément parce que la dimension cognitive de celui-ci n'est jamais dissociable d'un investissement psychoaffectif. Or ce qu'on apprend à l'occasion d'expériences de vie, au travail, en famille, par le loisir ou l'engagement associatif, est très structurant, et se trouve finalement bien souvent davantage valorisé sur le marché du travail qu'un savoir théorique.

Jusqu'ici aucun problème : je ne fais que décrire des processus d'apprentissage. Mais la recommandation va au-delà, et c'est là qu'elle suscite le plus de réflexion puisque sa formulation exacte est la suivante : « validation des acquis d'apprentissage non formel et informel ». Derrière cette formulation un peu barbare mais en réalité technique se cache une réalité simple à comprendre : dans une perspective de développement des compétences, il devrait être possible de se former ou d'acquérir une qualification ou un diplôme à tout âge, et de faire reconnaître ses compétences et ses savoir-faire même lorsqu'ils sont le fruit d'expériences non académiques ni formelles, que ce soit dans le cadre familial ou professionnel, à l'occasion d'un engagement au service des autres ou d'activités sportives, de loisirs ou de voyages à l'étranger, etc… Les salariés, les demandeurs d'emploi et, plus largement, tous les adultes, devraient pouvoir, dans cette optique, faire reconnaître officiellement leur parcours et leurs compétences. La validation relève ainsi de l'objectif d'éducation et de formation tout au long de la vie – cette notion mise en avant dans toutes les politiques d'éducation et de formation en Europe – avec l'idée sous-jacente qu'il existe chez les individus un vaste vivier inexploité de connaissances et de compétences invisibles.

Ce rapport vient donc répondre à quelques questions : que recouvre la promotion par l'Union européenne de l'apprentissage non formel et informel ? Comment les individus qui ont incontestablement un patrimoine, parfois insoupçonné, d'expériences de vie et de compétences, peuvent les faire reconnaître ? Ou comment formaliser du non formel ?

Pour formaliser le non formel, le procédé consiste à trouver un dénominateur commun, propre à tous les types d'apprentissage, à travers non plus le dispositif dans lequel s'inscrit celui-ci mais à travers le résultat de l'apprentissage quel qu'il soit. Ainsi, les dispositifs et les outils qui se mettent progressivement en place – les systèmes de crédits de l'enseignement supérieur ou d'apprentissage pour l'enseignement et la formation professionnelles, ce qu'on appelle les ECTS et les ECVET, les passeports européens du type Europass et Youthpass mais également le cadre européen des certifications – tournent autour de la notion cardinale d'acquis d'apprentissage qui se décline en connaissances théoriques, savoir-faire et compétences.

Une fois ces notions définies, on en arrive à la notion de validité qui n'est pas dénuée d'ambiguïté. Outre qu'elle désigne dans l'esprit d'un certain nombre de pays européens toutes les modalités par lesquelles on flexibilise les parcours d'apprentissage (le système d'équivalence par exemple) et pas seulement le processus par lequel une autorité compétente délivre partiellement ou en totalité une certification reconnaissant les acquis d'apprentissage, certains pays ou secteurs y sont plus réticents. Ainsi, non sans un certain paradoxe, le secteur socio-éducatif, pourtant fer de lance de l'éducation populaire et qui a développé depuis fort longtemps les concepts d'apprentissage non formel et informel, voit dans la validation, plutôt que dans la simple reconnaissance, un dispositif contraignant potentiellement contradictoire avec la spontanéité de sa démarche. Des débats comme on a pu en avoir concernant l'obligation du service civique s'inscrivent dans de telles problématiques.

En France, le dispositif qui se rapproche le plus de cette ambition européenne qui fait l'objet d'un consensus fort auprès des pays européens, est la Validation des acquis de l'expérience, née de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et que nous connaissons plus communément sous le sigle de VAE. Il est indubitable à ce titre que la recommandation européenne de 2012 a été soutenue, voire portée par la France. Elle n'est cependant pas le seul pays à avoir mis en oeuvre une telle reconnaissance de l'expérience professionnelle : la Finlande où nous nous sommes déplacés dispose aussi d'un tel système depuis 1994 ! Mais l'ancienneté et l'ancrage dans le paysage de l'enseignement et de la formation professionnelle de la VAE ne doivent pas nous masquer ses limites : si le dispositif français est effectivement global, relativement bien connu et développé dans tous les secteurs de l'enseignement universitaire et professionnel, son bénéfice reste très marginal, et surtout ne permet pas nécessairement d'atteindre tous les publics visés par la recommandation, et notamment les décrocheurs scolaires.

A l'issue de ce travail et des auditions que j'ai pu être amenée à faire, en France comme à Bruxelles ou en Finlande, je voudrais vous sensibiliser à l'importance de la révolution qui est en train de se mettre en place à travers la validation de l'apprentissage non formel et informel. Si celle-ci est en marche en Europe, c'est qu'elle s'inscrit explicitement dans une optique d'employabilité et répond aux objectifs de la Stratégie Europe 2020, qui vise notamment à ramener le taux des jeunes qui quittent prématurément l'éducation et la formation à moins de 10 %.

À ce titre, il s'agit d'un dispositif extrêmement ambitieux dans le contexte économique très contraint qui est le nôtre. Mais cet objectif se heurte à un paradoxe : si tous les pays se montrent favorables, sur le principe, à la reconnaissance de ces types d'apprentissage, la mise en place de dispositifs concrets de validation est une autre histoire.

Je finirai par deux remarques. La première, c'est qu'il faut résolument se réjouir de telles avancées et d'une ouverture de nos systèmes d'enseignement et de formation à d'autres formes d'apprentissage. Car, ce qui est sûr, c'est que la promotion de l'apprentissage non formel et informel ne se fait pas contre le système formel mais avec lui en l'obligeant à se réformer, à se penser différemment et à innover. J'y vois un moyen de récupérer des populations comme les décrocheurs scolaires et universitaires dans des circuits où leurs expériences, même décousues au regard de nos habitudes de parcours lisses, soient valorisées et susceptible d'être un élément dans une construction dynamique d'un parcours, d'une formation et d'une recherche d'emploi. Ce qu'on appelle dans le jargon européen, la modularité et la perméabilité. J'y vois un moyen positif de flexibiliser les parcours en ajoutant de la motivation aux apprenants quel que soit leur âge. Les entretiens qu'on a eus notamment à Bruxelles mettaient l'accent à ce titre sur le fait qu'on était dans une politique de pas à pas, afin de prévenir le décrochage, par exemple en validant des compétences par semestre pour permettre à un public au parcours chaotique de réintégrer à tout moment un cursus normal de formation.

Ma deuxième remarque va vous sembler presque contradictoire avec ce que je viens de dire. Elle ne l'est pas. Je pense qu'autant il faut valoriser la validation des acquis de l'apprentissage non formel et informel, autant il ne faut surtout pas tomber dans le panégyrique et y voir la panacée de l'apprentissage. Il ne faudrait pas que l'on arrête de viser l'intégration maximale des élèves et des étudiants dans les circuits d'enseignement et de formation classiques sous prétexte qu'on pourrait bénéficier d'une voie de rattrapage. Ce serait pénaliser les intéressés eux-mêmes et faire de la validation des acquis d'apprentissage non formel et informel une voie de second ordre.

Pour conclure, l'éducation et la jeunesse, on le sait, je l'ai déjà dit et répété à l'occasion de mes rapports d'information sur Erasmus, relèvent de la compétence des États membres, le rôle de l'Union européenne dans ces domaines se bornant donc à fournir un cadre de coopération entre États membres, pour des échanges d'informations et d'expériences sur des questions d'intérêt commun. Pour autant, les conclusions ou les recommandations du Conseil sont susceptibles de créer de véritables synergies en faveur de certaines actions. Et c'est très clairement le cas de la recommandation du Conseil du 20 décembre 2012 relative à la validation des acquis d'apprentissage non formel et informel que je viens de vous évoquer. Il me paraissait donc important de vous faire part d'une évolution, pour ne pas dire d'une révolution, silencieuse mais néanmoins importante, des paradigmes structurants de notre conception de l'apprentissage tout au long de la vie, dans une optique qui ne se veut pas uniquement pédagogique mais également clairement et explicitement économique d'employabilité. L'objectif de ce rapport n'est donc pas, comme vous pouvez vous en rendre compte, de formuler des propositions ou des recommandations mais de dresser un état des lieux des notions engagées pour vous sensibiliser à cette évolution. J'espère que j'aurai atteint ce but mais je suis aussi très consciente qu'il serait possible de continuer longtemps à travailler sur ce sujet dans la mesure où, à travers les nombreux entretiens que nous avons eus, nous avons pris conscience qu'un gros travail de fond était en train de se mettre en place qui mériterait de faire, à terme, l'objet d'une évaluation et peut-être même de recommandations de la part de la France dans la mesure où elle a été fer de lance de cette évolution avec la VAE. Ce serait faire preuve de vigilance à l'égard de la mise en oeuvre de la recommandation de 2012 qui invite tous les pays européens à se structurer autour de la reconnaissance des acquis d'apprentissage non formel et informel, et ce d'autant plus, qu'en France, à travers la garantie de la jeunesse, nous sommes en train de mettre en place tout un système de raccrochage à l'apprentissage de jeunes qui en sont le plus éloignés, et que nous parlons de démocratisation de l'enseignement supérieur. Tout cela s'inscrit dans l'esprit de la recommandation et de la volonté d'une fluidité des parcours entre systèmes formels et non formels.

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