Intervention de Chantal Berthelot

Séance en hémicycle du 16 juillet 2015 à 9h30
Actualisation du droit des outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Berthelot :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer le travail effectué par notre collègue Paola Zanetti, rapporteure de la commission des lois, qui a su, en peu de temps, cerner avec finesse les réalités et les enjeux de nos territoires ultramarins.

Nous lui devons la réécriture du titre de ce projet de loi relatif à l’actualisation du droit des outre-mer. Malgré tout, cet objectif « d’actualisation » m’interroge au plus haut point.

L’article 5 relatif à l’établissement public d’aménagement de Guyane – l’EPAG – ne répond qu’à la marge, pour ne pas dire que de manière palliative, aux enjeux du foncier agricole. En effet, ce projet de loi vient consacrer un établissement créé il y a près de vingt ans.

Depuis 1996, il comprend trois domaines d’activité : l’aménagement en faveur du logement, l’aménagement en faveur du développement économique et l’aménagement en faveur de l’agriculture.

En 1999, la loi d’orientation agricole a attribué le droit de préemption aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER.

En Guyane, faute de SAFER, ce n’est qu’en 2006 que ce droit de préemption a finalement été transféré à l’EPAG. Et il n’est toujours pas exercé !

L’ordonnance du 8 septembre 2011 a acté la séparation des activités de foncier et d’aménagement pour tous les établissements publics de l’État disposant de cette double compétence.

À l’article 7, madame la ministre, vous avez fait le choix, dans ce projet de loi, de déroger à cette séparation pour l’EPAG, choix que je peux partager. Mais force est de constater que l’EPAG ne peut à lui seul, et sans moyens adéquats, gérer l’ensemble des problématiques et enjeux fonciers que rencontre notre territoire.

Faute d’opérateur foncier agricole dédié en Guyane, ce qui est unique en France, la spéculation foncière s’est développée à grands pas et a dévoré des espaces jusque-là réservés à l’agriculture.

Des terres agricoles sont laissées en friche à des fins spéculatives, des divisions foncières sont opérées pour favoriser la vente de parcelles dont la superficie ne permet plus une exploitation agricole viable.

Pour vous donner une idée, chers collègues, les terres agricoles se vendent à 5 euros le mètre carré. Entre 2005 et 2011, près de 4 000 hectares de terres agricoles ont été définitivement perdus. Soit l’équivalent de dix terrains de football par semaine ! Si encore c’était pour cela, je pourrais l’admettre !

Cette perte croissante des terres agricoles vient mettre à mal un modèle économique, culturel et cultural pourtant consacré, du moins dans ses grands principes, par la récente loi d’avenir agricole.

La consolidation des agricultures traditionnelles, le renforcement des filières de diversification, le soutien à l’agriculture vivrière, l’aide à l’installation de jeunes agriculteurs et la satisfaction de la demande alimentaire territoriale par des productions locales passent nécessairement par la mise place d’outils adaptés.

Sans ces outils, madame la ministre, dites-moi comment lutter efficacement contre la spéculation foncière ? Comment favoriser le maintien et la transmission des exploitations existantes ? Comment soutenir le développement de notre agriculture ?

C’est pourquoi madame la ministre, j’interpelle le Gouvernement sur l’absence d’une politique foncière réelle de l’État, qui, je le rappelle, est propriétaire de 95 % des plus de 80 000 kilomètres carrés de la Guyane. Il en va de notre pacte républicain et de la conciliation qu’il permet entre nos singularités et notre appartenance commune à la République.

Le Premier ministre a récemment souligné à propos des langues régionales – et j’adresse là un clin d’oeil au président de la commission des lois – le week-end dernier à Ouessant « qu’il n’y a que ceux qui ont peur de ce qu’est la France qui ne veulent pas des particularités et des différences ».

Madame la ministre, au nom du Gouvernement, démontrez-moi que vous savez ce qu’est la France et que vous n’avez pas peur des particularités et, encore moins, des différences de la Guyane.

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