Madame la ministre, je suis très heureux de vous revoir parmi nous.
Le texte d’actualisation du droit outre-mer qui nous rassemble aujourd’hui, et qui a semble-t-il perdu son aspect de « modernisation » lors de son passage en commission, répond à un besoin de mise en conformité de certaines dispositions éparses, suite à l’actualité législative extrêmement riche qu’ont connue nos territoires depuis le début de cette législature.
En effet, ce ne sont pas moins de six projets de loi qui ont concerné à titre principal une ou plusieurs des collectivités ultra-marines et je tiens donc à saluer ici le Gouvernement dans sa volonté de réformer le droit outre-mer afin d’apporter des solutions adaptées aux problématiques spécifiques que connaissent nos territoires.
La reconnaissance de nos particularités et réalités locales par l’administration centrale cimente l’action de la plupart de ceux qui sont réunis aujourd’hui.
Je ne peux qu’espérer que la volonté affichée aille en grandissant, jusqu’à permettre une prise en compte de ces vérités dans l’élaboration de chaque texte de loi. Je l’ai encore rappelé hier après-midi, à l’occasion du passage en dernière lecture du projet de loi relatif au droit d’asile, ce n’est qu’à ce prix que nous réussirons à apporter des réponses idoines et pérennes à des problématiques qui sont souvent à des années-lumière de celles suivies sur le territoire hexagonal.
D’ailleurs, en l’espèce, ce projet de loi d’actualisation, qui constitue davantage un vecteur législatif qu’une réforme en soi, démontre bien que très souvent il n’existe pas d’unité des problématiques au sein des outre-mer et qu’il est grand temps que chaque territoire fasse l’objet d’une étude et d’une approche différenciées, en véritable adéquation avec les situations et les enjeux locaux.
Cela dit, le fond même du texte n’amène de ma part que peu de commentaires puisque, on l’a dit, il ne modernise pas vraiment le droit applicable outre-mer : il proroge et renouvelle l’existant plus qu’il ne modernise. Toutefois, je ne minimise pas son importance, tant il est fondamental d’assurer la sécurité juridique des lois que nous votons et d’améliorer par la même occasion la lisibilité du droit applicable dans nos collectivités.
À titre d’exemple, la Guyane n’est directement concernée que par la régularisation statutaire de l’EPAG, l’établissement public d’aménagement. Je partage d’ailleurs les préoccupations légitimes exprimées par ma collègue Chantal Berthelot en commission et ici même, quant à la vocation agricole de cet outil. L’immensité du territoire guyanais et la hauteur des enjeux qui s’y rattachent rendent indispensable la création d’une SAFER, outil dont on sait à quel point il a fait ses preuves sur le reste du territoire national.
Il est également dommage, et je pèse mes mots, que cette disposition n’ait pas été accompagnée d’avancées sur la question du foncier local. Je rappelle à toutes fins utiles que l’État est propriétaire chez nous de 95 % du territoire, contre à peine 0,3 % pour nos collectivités locales. Cette situation n’est plus acceptable et ne saurait perdurer. Pour couronner le tout, et rendre la situation encore moins acceptable, l’État s’est exonéré de toute taxation sur ce vaste domaine de 8 millions d’hectares en introduisant dans le code général des impôts un article qui dispense la Guyane de cadastre, dès lors que les propriétés domaniales ne sont ni concédées ni exploitées. On l’a bien compris : pas de cadastre, pas de fiscalité.
Certes, l’équation est simple, mais terriblement dommageable à nos collectivités locales aux budgets exsangues, quand on sait, en outre, que la vaste majorité du territoire n’est « ni concédée ni exploitée ». Et le problème ne s’arrête pas là !
En effet, l’Office national des forêts, gestionnaire de ce vaste domaine déclaré par conséquent improductif, se trouve également exonéré de taxe sur le foncier non-bâti, alors même qu’il en tire des revenus. Vous comprendrez donc, madame la ministre, et j’y reviendrai lors de la discussion des amendements, les raisons pour lesquelles j’ai souhaité réintroduire une disposition défendue par des sénateurs socialistes et supprimée en commission. Cet amendement vise à exonérer les forêts communales de Guyane des frais de garderie et d’administration normalement versés à l’ONF. Cette exonération au bénéfice des communes de Guyane serait une juste contrepartie de l’absence de versement de taxe sur le foncier non-bâti par l’ONF, au mépris des dispositions du code général des impôts.
Sur un tout autre sujet par ailleurs, il m’est apparu opportun et important que cet exercice d’actualisation du droit soit l’occasion d’aborder une question qui aurait dû être réglée depuis longtemps : il s’agit de l’extension du principe de séparation des Églises et de l’État dans les collectivités d’outre-mer toujours soumises aux dispositions des décrets Mandel de 1939.
En effet, comment admettre qu’encore aujourd’hui, en 2015, la loi du 9 décembre 1905, pilier de notre philosophie républicaine laïque, ne soit pas appliquée dans certains de nos territoires ? Je pense bien évidemment à Mayotte, à la Polynésie, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuna et, surtout, à la Guyane qui, en plus, supporte le poids des dispositions de l’ordonnance royale du 27 août 1828.
Je rappelle que cette fameuse ordonnance royale régit encore aujourd’hui les relations entre l’Église catholique et les pouvoirs publics en Guyane. Elle prévoit notamment que « le gouverneur veille au libre exercice et à la police extérieure du culte » catholique, « et pourvoit à ce qu’il soit entouré de la dignité convenable ». Cette formulation recouvre également l’entretien du clergé local.
Vous le savez, madame la ministre, la conséquence est la prise en charge par le conseil général de Guyane de la rémunération des prêtres du culte catholique. Or, à la veille de l’avènement de la collectivité unique, le conseil général ne peut tout simplement plus faire face à cette obligation, ses finances étant mises à mal par des besoins sociaux toujours plus importants.
Les tentatives de sorties de crise, par la médiation puis par la voie judiciaire ont toutes échoué, malgré la bonne volonté affichée par toutes les parties. Les mandatements d’office des versements de salaires des prêtres catholiques, s’ils sont on ne peut plus légitimes, se font donc désormais au détriment d’autres postes budgétaires de dépenses. Il revient donc à l’État et au Gouvernement d’assumer leurs responsabilités en abrogeant enfin cette ordonnance qui fait peser sur notre territoire une inégalité historique, insupportable, entre les cultes et donc, in fine, entre les citoyens.
Mais la problématique de la séparation des Églises et de l’État n’est pas exclusive à la Guyane, bien qu’elle y soit symptomatique. Ainsi que je l’ai dit précédemment, il convient de supprimer le régime Mandel, distinct de la séparation des Églises et de l’État en Guyane et dans bien d’autres collectivités d’outre-mer. Il autorise un financement public du culte en permettant que les cultes s’organisent dans ces territoires en missions religieuses disposant de conseils d’administration. Placées sous une étroite tutelle de l’État, ces personnes morales bénéficient d’avantages fiscaux qui ne semblent plus compatibles avec les efforts budgétaires qui sont demandés tant aux collectivités qu’aux citoyens.
Il ne s’agit pas pour moi de défaire des équilibres centenaires, mais d’harmoniser les régimes du culte afin d’assurer la promotion de l’égalité entre tous les citoyens d’une part, et entre tous les cultes d’autre part.
Enfin, je souhaite appeler votre attention sur les risques de tensions sociales que pourrait engendrer la rédaction des futurs articles relatifs aux transferts de personnels, en particulier des emplois fonctionnels du département et de la région vers la nouvelle collectivité territoriale de Guyane.
On a bien compris que le Gouvernement, pour ces transferts, s’est inspiré de ce qui s’est passé au moment de la fusion des régions métropolitaines, mais la configuration administrative et institutionnelle est tellement différente qu’il faudra prévoir d’autres mesures de transfert pour éviter les tensions sociales qu’on sent poindre en Guyane.
J’aurai l’occasion de développer ces trois sujets lors de l’examen des amendements mais il me semblait important de vous signifier d’ores et déjà leur importance pour la Guyane, à telle enseigne que la question de la rémunération du culte a fait l’objet d’une proposition de loi que j’ai déposée auprès des services de l’Assemblée nationale.
Il va sans dire que mon soutien à ce texte, qui me paraît extrêmement favorable aux outre-mer, sera dès lors conditionné par les réponses que vous saurez apporter aux questions relatives à la Guyane.
Je souhaite en tout cas que les débats soient riches, qu’ils soient objectifs et qu’ils permettent de nous éclairer quant aux réponses à apporter aux attentes profondes exprimées par nos populations respectives.
D’avance, madame la ministre, je me permets de vous en remercier.