Mesdames, messieurs les députés, le 24 juin dernier, la garde des sceaux et moi-même sommes venues ici vous présenter, à l’occasion de ce projet de loi pénale, un dispositif complet qui organise un cadre pour la transmission des informations entre l’autorité judiciaire et les administrations, concernant les personnes habituellement en contact avec les mineurs. Notre objectif était simple : mettre fin à des décennies de pratiques incertaines dans la transmission des informations entre la justice et le ministère de l’éducation nationale sur des affaires graves, notamment des violences de nature sexuelle impliquant des professionnels travaillant avec des enfants.
Le drame de Villefontaine, dont nous avons beaucoup parlé, a rappelé à tous la réalité de la présence de prédateurs sexuels dans les métiers mettant en contact régulier des professionnels avec des mineurs. Et il nous a rappelé à nous, ministres, la nécessité absolue de disposer d’un cadre juridique précis, un cadre qui puisse sécuriser les magistrats chargés des transmissions, y compris au stade des poursuites. Un cadre qui soit aussi la base sur laquelle construire, pour demain, de nouvelles relations de travail entre l’autorité judiciaire et les rectorats, afin de mieux protéger les enfants et de faire en sorte que les événements de Villefontaine ou d’Orgères ne puissent plus se reproduire.
Même si, en ma qualité de ministre de l’éducation nationale, ma préoccupation première est de protéger les élèves, ce sont évidemment tous les enfants accueillis ou pris en charge par des professionnels qu’il s’agit de protéger.
Pendant ce débat, et au moment de votre vote du 24 juin, vous nous avez fait part, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, de votre engagement à apporter des réponses nouvelles, mais aussi de votre prudence en cette matière, où il vous appartient, en tant que législateur, de trouver, avec le soutien du Gouvernement, le bon équilibre entre notre devoir de protection des enfants et la nécessité de respecter la présomption d’innocence. Vous aviez appelé à un dialogue et à des échanges. Ces échanges, nous les avons eus, longuement, pour entendre vos préoccupations, pour expliquer les points qui nous semblaient incontournables ou pour vous présenter les démarches que nous avions d’ores et déjà engagées avec nos services. Ce dialogue était primordial.
Ce texte n’a évidemment pas pour vocation de jeter l’opprobre sur une profession, ou de mettre en danger nos professionnels, mais il a pour objet de bien de protéger les enfants des prédateurs qui agissent à ce jour dans nos écoles, nos établissements ou nos accueils collectifs. Nous parlons évidemment ici d’une minorité – quelques centaines de personnes –, mais il suffit d’un homme pour que l’innocence de soixante et un enfants soit volée, comme cela a été le cas à Villefontaine. Nos discussions et le travail que nous avons engagé ensemble ont été riches, mais pas toujours faciles, pour la simple raison que nous touchons ici à des sujets complexes où l’émotion aurait pu, comme en d’autres temps, l’emporter sur la raison. Cela n’a pas été le cas et nous sommes parvenus ensemble, lors des discussions, à un juste équilibre. Je crois que le texte qui a été voté par votre commission, et qui sera enrichi tout à l’heure par l’amendement du Gouvernement, permettra de mettre en place un dispositif véritablement opérationnel.
Vos propositions ont par exemple permis d’affirmer l’obligation de prévenir la personne mise en cause de la transmission d’informations à son employeur et d’établir le nécessaire secret professionnel qui doit présider aux transmissions d’informations, de manière à ce que seuls les personnels compétents et habilités à prendre des mesures conservatoires ou à enclencher des mesures disciplinaires soient alertés. Nous partageons vos préoccupations, monsieur le rapporteur : il convient de ne pas réagir sous le coup de l’émotion, et de mettre fin à des dysfonctionnements systémiques et à une absence de cadre qui créent de l’insécurité pour les magistrats.
Avec l’amendement du Gouvernement, nous vous proposons de maintenir la possibilité d’information au stade de la mise en examen, avec les précautions souhaitées par la commission. Pour les infractions les plus graves, la possibilité d’information interviendra dès le stade de la garde à vue, dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner la personne. Pour ces mêmes infractions, l’obligation d’information sera garantie en cas de condamnation, bien sûr, mais aussi lorsque la mise en examen sera accompagnée d’un contrôle judiciaire assorti d’une interdiction d’exercer une activité en contact avec des mineurs.
Je veux le rappeler, les dispositions qui seront soumises à votre vote sont indispensables, non pas pour répondre à une urgence, mais bien pour inscrire dans la loi des règles et procédures que certains appliquaient déjà, mais que d’autres ne mettaient pas en oeuvre. Notre objectif est bien, aussi, d’unifier et d’harmoniser les procédures sur le territoire, et de créer un cadre applicable pour tous.
Je tiens à rassurer votre assemblée sur la manière dont notre administration traite et traitera ces informations. Il n’y a évidemment pas de traitement systématique ; il y a, au cas par cas, des appréciations circonstanciées, fondées sur l’examen individualisé. D’après les remontées dont nous avaient fait part, en avril, les inspections générales que nous avions saisies avec Christiane Taubira, sur les 300 affaires impliquant des agents de mon ministère entre 2012 et 2014, 70 % ont donné lieu à des mesures conservatoires, 25 % n’ont donné lieu à aucune suite, les informations transmises ne justifiant pas une décision de protection des mineurs, et 5 % se sont traduites par des déplacements des fonctionnaires sur des postes sans contact avec les mineurs. Vous le voyez, chaque mesure est pensée, réfléchie et prise avec le souci de préserver l’intérêt de tous.
Parce qu’il a été fait état, lors de notre précédent débat, des drames survenus il y a plus de quinze ans à la suite d’accusations fallacieuses dont des agents avaient été victimes, je tiens à rappeler que les fonctionnaires en charge de prendre des mesures conservatoires ou des sanctions disciplinaires individuelles ont tous en mémoire ces événements. C’est avec le plus grand discernement, et sur le fondement d’informations solides que devra désormais leur fournir la justice, qu’ils prendront leurs décisions.
S’agissant des affaires nouvelles, l’information sera donc désormais accessible aux rectorats. Et, pour le cas des personnes condamnées dont nous n’aurions pas eu connaissance de la condamnation, nous prendrons, avec la garde des sceaux, des mesures réglementaires qui nous permettront un contrôle, en cours de carrière, du casier judiciaire. Ce que nous voulons éviter, je le répète, c’est la situation de Villefontaine ou d’Orgères. C’est notre responsabilité, et nous l’assumerons.
Au-delà des mesures législatives, je veux enfin vous assurer de la totale mobilisation de mon ministère pour mettre en place, dès la prochaine rentrée scolaire, des procédures fiables et concrètes qui rendront pleinement opérationnel le dispositif qui sera soumis à votre vote aujourd’hui, et que, je l’espère, vous adopterez. J’ai ainsi demandé aux recteurs, au début de ce mois, de nommer dans chaque académie un « réfèrent justice », qui sera l’interlocuteur identifié de chaque parquet. Assermenté, formé et soumis au secret professionnel, ce réfèrent justice aura, au sein de chaque académie, un rôle clé dans ce dispositif. Il sera, au besoin, assisté de référents départementaux quand les affaires sont nombreuses ou les tribunaux multiples sur un territoire. Toutes les informations transmises par la justice le seront de manière sécurisée, en suivant les procédures autorisées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Les référents qui seront nommés auront, au-delà de ce rôle de suivi des affaires en cours, le rôle très important de fluidifier les rapports avec la justice dans d’autres domaines – je pense en particulier à la justice des mineurs ou au suivi des signalements déposés en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale. Comme l’a indiqué la garde des sceaux, la chancellerie travaille également à nos côtés pour développer toutes les modalités pratiques afin que le dispositif législatif soit efficace.
La garde des sceaux et moi-même vous avons présenté un texte qui va changer les choses, car il s’agit non plus seulement de dénoncer les dysfonctionnements, mais d’agir. Ce dispositif est attendu par les fonctionnaires de nos deux ministères, qui vont travailler à sa mise en oeuvre. Il est attendu par les familles, qui souhaitent légitimement que l’école soit un cadre sécurisé pour leurs enfants. Ce dispositif est attendu, enfin, par les familles meurtries que la garde des sceaux et moi-même avons rencontrées et à qui nous devons d’agir pour éviter que d’autres enfants vivent la situation que les leurs ont pu vivre.