Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, comme je l’ai déjà dit, ce texte est divers. Il comporte tout d’abord des mesures de transposition et d’adaptation au droit de l’Union européenne, qui s’inscrivent dans ce long travail tendant à construire un droit et une procédure pénale qui soient communs à l’ensemble des pays de l’Union européenne. Ce long travail se traduit aujourd’hui par un effort dans trois directions : la limitation, autant que faire se peut, des conflits de compétence ; la reconnaissance mutuelle des mesures présentencielles de contrôle judiciaire ; la reconnaissance mutuelle, enfin, des mesures de probation. À cela s’ajoute, ainsi que vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, un effort particulier en direction des victimes, de manière à mettre en place les normes minimales de protection des victimes.
L’ensemble de ces mesures de transposition a déjà été voté par notre assemblée, et n’a pas fait l’objet de discussions difficiles avec le Sénat.
Dans le droit-fil de ces mesures de transposition, nous avons adopté une disposition relative à la suramende en faveur des victimes, que vous avez évoquée, madame la garde des sceaux. Cette mesure était à l’étude depuis longtemps et avait été adoptée par nos deux assemblées lors de la réforme pénale, mais le Conseil constitutionnel l’a annulée au motif que cette majoration de 10 % de l’amende ne respectait pas suffisamment le principe d’individualisation des victimes. Nous la reprenons donc en prévoyant que le magistrat pourra moduler le montant de cette suramende en faisant varier son taux entre 0 et 10 %. Cette disposition en faveur des victimes est en lien direct avec les mesures d’adaptation que j’ai déjà évoquées.
Ce texte comporte d’autres adaptations de natures diverses. L’une d’elle vise à tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle il n’est pas possible de prévoir une garde à vue prolongée pour des infractions en criminalité organisée lorsqu’il ne s’agit que d’atteinte aux biens. Nous adaptons donc le droit à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Une autre adaptation consacre le principe de l’encellulement individuel. Vous avez rappelé à juste titre, madame la garde des sceaux, que ce principe vient de très loin puisqu’il figurait déjà dans une loi de 1875 qui, à ce jour, n’est pas encore totalement appliquée. C’est dire si nous nous inscrivons dans le droit-fil de cet effort !
Nous faisons également un effort pour protéger les témoins, en application de directives internationales prises notamment à la suite du procès du Rwanda. La possibilité est désormais offerte aux juridictions de décider d’un huis clos lorsqu’il importe de protéger l’identité des témoins.
Ces dispositions ont déjà été présentées à votre assemblée et n’ont pas fait l’objet de discussions difficiles. Elles n’ont pas non plus fait l’objet de discussions difficiles lors de la confrontation, courtoise et amicale, mais confrontation tout de même, avec le Sénat. Le désaccord portait sur la présentation générale, mais peu sur le fond – j’entends le souligner.
Il concernait pour partie la façon dont plusieurs articles avaient été votés par l’Assemblée nationale, sans que le Sénat ait pu les examiner lorsqu’il a présenté son texte. Encore qu’il ait lui-même ajouté des articles !
Mais l’essentiel du désaccord portait sur la disposition prévoyant la transmission de l’information, à propos de laquelle vous nous avez exposé vos souhaits et vos préoccupations, madame la ministre de l’éducation.
Lors de la première lecture, au début du mois de juin, j’avais exprimé les difficultés que j’éprouvais à voter le texte en l’état, et le souhait que nous avions tous de trouver un meilleur équilibre entre la nécessaire information, l’absolue nécessité de protéger les enfants, et le principe de la présomption d’innocence. Celui-ci n’est pas un principe sacré devant lequel nous nous agenouillons parce qu’il est marqué au fronton de la République. C’est un guide pour l’action qui veut simplement dire que l’on ne peut prononcer de condamnation qu’après avoir pris les nécessaires précautions pour s’assurer que la condamnation correspond à une véritable culpabilité. La condamnation ne peut être prononcée qu’à l’issue de procédures qui garantissent son sérieux – ce n’est pas purement formel.
Ces deux objectifs étaient difficilement conciliables, mais nous avons progressé, au terme de discussions qui ont parfois été difficiles, il ne faut pas le cacher. Le résultat de ces efforts peut se décliner de deux façons.
Tout d’abord, de manière générale, dans le cas où le procureur estime qu’une infraction, quelle qu’elle soit, rend difficilement compatible le maintien de l’activité de l’intéressé, il a la possibilité de transmettre l’information à l’autorité chargée du contrôle de la personne mise en cause. Cette information peut se faire au moment de la mise en examen ou de la saisine de la juridiction, que cette saisine émane du procureur ou du juge d’instruction. C’est une possibilité laissée à l’appréciation du procureur, ensuite le pouvoir disciplinaire de l’employeur fait le reste.
Le deuxième dispositif concerne les agressions – principalement sexuelles – commises par des personnes dont la profession entraîne un contact régulier avec des mineurs. Nous avons adopté plusieurs mesures en l’espèce.
Premièrement, nous avons créé une nouvelle obligation de contrôle judiciaire interdisant à l’intéressé d’exercer une profession ou une activité l’amenant à avoir un contact régulier avec les mineurs.
Deuxièmement, le procureur aura alors l’obligation de transmettre à l’employeur l’information selon laquelle une mesure de contrôle judiciaire, ou une condamnation, même non définitive, a été prononcée – parce qu’une condamnation, même non définitive, est d’ores et déjà un élément public. L’employeur concerné pourra être l’éducation nationale, mais pas seulement – vous avez eu raison de le souligner, madame la ministre de l’éducation.
Troisièmement, faculté est donnée au procureur, comme dans le cas général, d’aviser d’une mise en examen ou d’une saisine de la juridiction, qu’elle émane du procureur par la convocation devant un tribunal ou du juge d’instruction à la suite d’une ordonnance de renvoi. Cette information peut être faite par le procureur à trois moments de la procédure, et notamment lorsqu’à l’issue de la garde à vue, il estime qu’il y a des raisons plausibles de penser qu’il y a une incompatibilité avec une activité impliquant le contact avec des mineurs. Nous avons introduit les garanties suivantes : le procureur doit aviser l’intéressé qu’il fait cette transmission et recueillir ses observations de façon à ce que celui-ci puisse s’expliquer sur la réalité de ce contact quotidien dans le cadre de son activité professionnelle.
Voilà le dispositif. Il me semble que nous sommes là sur la ligne de crête si difficile à atteindre entre la garantie du sérieux de l’enquête, du caractère fondé des accusations et l’obligation de protéger les mineurs. Il ne s’agit pas de dire que certaines accusations sont fallacieuses – des accusations de parfaite bonne foi peuvent se révéler tout à fait infondées. Ce n’est pas forcément la lutte du bien contre le mal, mais des accusations sont parfois lancées à la légère alors que d’autres sont parfaitement fondées.
Nous avons l’obligation de protéger le personnel en garantissant le sérieux des accusations et des condamnations. Et nous avons en même temps l’ardente obligation de protéger les mineurs contre des adultes qui pourraient gravement compromettre leur avenir par des agissements tout à fait regrettables.
Je pense que cet équilibre a été trouvé. Sa recherche a été difficile. Tous, sur ces bancs, nous avons souffert, échangé des arguments, parfois vifs, parfois déplaisants, et nous avons réussi. Dans ces conditions, je crois que nous avons fait un travail utile, et je vous en remercie.