Intervention de Romain Colas

Réunion du 15 juillet 2015 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRomain Colas, rapporteur spécial :

Nous nous penchons aujourd'hui sur la législation qui encadre le financement des partis politiques et des campagnes électorales, laquelle relève de la mission Administration générale et territoriale de l'État, que vous m'avez chargé de suivre en tant que rapporteur spécial.

Il y a près de trente ans, le Parlement a fait le choix d'encadrer les modalités de financement de la vie publique. Ainsi, les deux lois publiées le 11 mars 1988 ont fixé non seulement aux partis politiques, mais aussi aux candidats, des règles pour recueillir des recettes et réaliser des dépenses dans le cadre des différents scrutins nationaux et locaux, ainsi que pour leur participation au débat démocratique.

Par-delà les alternances, ce choix n'a jamais été démenti. Il a même été réaffirmé et conforté au travers des nombreux textes adoptés par le législateur. Ceux-ci forment aujourd'hui l'ossature de la législation sur le financement des campagnes électorales et des partis politiques et contribuent à donner à la France une place singulière parmi les démocraties du monde.

Pour autant, chacun peut mesurer combien le soupçon continue trop souvent de peser sur les relations qu'entretiennent nos compatriotes avec les élus, en particulier avec ceux qui exercent des mandats électifs nationaux. Cette défiance persistante s'explique sans doute par les difficultés de l'époque ; elle doit également beaucoup au poison des affaires qui, de manière ponctuelle ou récurrente, mettent en cause la réputation de la classe politique tout entière. En cet instant, beaucoup d'entre nous ont sans doute à l'esprit des exemples récents, dans lesquels des procédures judiciaires ont été ouvertes. Il appartiendra naturellement à la justice de faire toute la lumière sur ces faits et, éventuellement, de sanctionner ceux qui s'en seraient rendus coupables. L'expérience montre cependant que le caractère spectaculaire de sanctions pénales infligées a posteriori ne concourt, en soi, ni à laver l'honneur des élus et responsables politiques dans leur ensemble, ni à rétablir durablement leur crédibilité auprès de nos concitoyens.

C'est pourquoi j'ai jugé utile, au nom de notre Commission, de consacrer des travaux à l'évaluation de la pertinence de la législation sur le financement des campagnes électorales et des partis politiques.

Dans cette démarche, j'ai souhaité poursuivre trois objectifs : déterminer dans quelle mesure les règles applicables assurent un encadrement adéquat des sources de financement et des dépenses, d'une part, des candidats aux élections et, d'autre part, des formations politiques en dehors des périodes électorales ; examiner les moyens à la disposition des pouvoirs publics et des juridictions – Conseil constitutionnel et Conseil d'État – pour cette mission et de l'autorité administrative compétente que constitue la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques – CNCCFP. J'ai souhaité enfin envisager des axes de modernisation des dispositifs existants, afin de remédier à d'éventuelles insuffisances du droit, mais aussi de prendre en compte de nouvelles pratiques de notre vie démocratique.

À cette fin, j'ai auditionné l'ensemble des personnes susceptibles de fournir une expertise pertinente sur les questions qui se posent : le président de la CNCCFP, M. François Logerot, et ses équipes ; les représentants du bureau des élections du ministère de l'Intérieur ; les représentants de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ; le premier président de la Cour des comptes ; des élus, notamment des députés qui avaient été amenés à travailler sur les textes de loi qui encadrent les financements politiques ; des représentants d'associations de la société civile ; des juristes ; des responsables et trésoriers de partis politiques – les représentants du Front national n'ayant toutefois jamais donné suite à mon invitation.

Aux termes de ces travaux, plusieurs constats se font jour. D'abord, il faut dire que notre droit est relativement complet. Il ne s'agit pas pour moi de proposer des bouleversements mais uniquement des pistes d'amélioration. Je considère qu'avec les lois de 1988, de 1990, de 1995, de 2011 et de 2013, nous disposons désormais d'une ossature solide qui permet de faire échapper la sphère politique et le débat public aux influences financières, pour peu que les règles soient respectées.

Notre système favorise une certaine modération des ressources et des dépenses électorales. Lors de l'élection présidentielle de 2012, 75 millions d'euros de recettes ont été déclarés à la CNCCFP, et 74 millions d'euros ont été dépensés. Ce dernier chiffre est à comparer aux 4,4 milliards d'euros engagés à l'occasion de la dernière élection présidentielle aux États-Unis – primaires comprises – et du renouvellement du Congrès. Lors des élections législatives de 2012, 82 millions d'euros de recettes ont été déclarés à la CNCCFP, pour 79 millions d'euros de dépenses.

Notre droit repose sur un certain nombre de principes : l'interdiction de toute participation pécuniaire ou matérielle des personnes morales – à l'exception, bien évidemment, des partis politiques – au financement des campagnes électorales et des partis eux-mêmes ; la limitation du montant annuel des dons que peut verser une personne physique à 4 600 euros pour le financement de la campagne d'un ou plusieurs candidats et, depuis la loi du 11 octobre 2013, à 7 500 euros pour le financement d'un ou plusieurs partis politiques ; le plafonnement des dépenses que peuvent engager les candidats à l'occasion des différents scrutins, nationaux et locaux ; le plafonnement, en outre, du remboursement des dépenses électorales assuré par l'État, à hauteur de 47,5 % du plafond des dépenses fixé par le code électoral, à condition que le candidat ait recueilli plus de 5 % des suffrages exprimés.

Notre législation repose aussi sur des dotations publiques aux partis politiques. À cet égard, je tiens à souligner un point souvent méconnu du public : les partis politiques ont contribué à la résorption des déficits publics, l'ensemble des dotations que leur accorde l'État ayant été réduit de 10 % depuis le début de la présente législature. Dans mon rapport, j'appelle toutefois l'attention de la représentation nationale sur le seuil au-delà duquel nous ne devrions pas aller, car une trop grande réduction des financements publics nuirait aux vertus du système actuel : il ne faudrait pas que les partis en viennent à se financer en dehors du cadre légal.

Enfin, un certain nombre d'obligations procédurales permettent de vérifier l'application du droit. L'ensemble de ces règles forme un système cohérent qui me semble aujourd'hui compris, sinon accepté.

Néanmoins, au terme des auditions que j'ai menées et au regard du constat que je viens de dresser, j'ai élaboré quatre séries de propositions. La première concerne le renforcement des moyens de contrôle et la création de nouveaux outils favorisant l'émergence de ce que j'appelle un « écosystème vertueux », reposant essentiellement sur la responsabilité des acteurs. La deuxième série de mesures vise à améliorer la transparence des comptes de campagne électorale et des comptes des partis politiques, afin qu'une saine pression démocratique s'exerce sur les personnes qui assument des responsabilités en la matière. La troisième série comprend des mesures de simplification qui me paraissent utiles pour faciliter non seulement le contrôle, mais aussi la tâche des candidats aux élections et des trésoriers des partis. Enfin, la quatrième série de propositions tend à encadrer des pratiques politiques nouvelles. Je pense notamment à l'émergence des primaires, tant pour les élections nationales que locales.

S'agissant des modalités du contrôle de l'application de la loi, nous devrons veiller, lors de l'examen du projet de loi de finances, à renforcer les moyens qui sont dévolus à la CNCCFP compte tenu des missions toujours plus importantes qui lui sont confiées. Ces moyens sont sensiblement inférieurs à ceux dont disposent les organismes similaires dans d'autres pays européens.

Je suggère que nous nous penchions en outre sur la « zone grise » que constituent les scrutins municipaux organisés dans les communes de moins de 9 000 habitants en matière de financement des campagnes électorales. Actuellement, les candidats qui se présentent dans ces communes doivent respecter les règles en vigueur, mais ils ne fournissent pas de compte de campagne qui soit examiné par la CNCCFP. Je ne propose pas que la Commission, qui a déjà beaucoup de travail, soit chargée de l'examen de ces comptes de campagne dans les villes de moins de 9 000 habitants. Toutefois, dans la mesure où nous avons consacré, dans la loi de 2013, un droit à l'ouverture d'un compte bancaire ou postal pour les mandataires financiers des candidats – dispositif auquel il convient d'apporter des améliorations sur lesquelles je reviendrai –, nous pourrions au moins exiger que, dans les communes de 1 000 à 9 000 habitants, où s'applique le scrutin de liste, chaque liste désigne obligatoirement un mandataire financier et ouvre un compte dédié au financement de la campagne électorale. D'une part, cela responsabilisera les acteurs ; d'autre part, cela permettra au juge de l'élection de retracer les recettes et les dépenses en cas de contentieux sur le financement de la campagne.

Je propose aussi de donner à la CNCCFP un accès à la comptabilité des partis politiques pendant la période d'examen des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle. Ce serait une innovation importante. Vous avez certainement tous en tête les expériences récentes auxquelles je fais référence. Actuellement, rien ne permet à la CNCCFP de vérifier si les dépenses engagées par un parti dans le cadre de l'élection présidentielle ont été intégrées ou non dans le compte de campagne du candidat concerné. Il s'agirait non pas d'interférer dans la vie des formations politiques, mais d'inscrire dans la loi le principe selon lequel les commissaires aux comptes des partis politiques transmettent à la CNCCFP, au cours de la période d'examen des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle, une attestation retraçant l'ensemble des recettes et des dépenses liées à l'élection. Cela permettrait à la CNCCFP de confronter le compte de campagne du candidat et la comptabilité du parti pendant la période électorale.

Afin de s'assurer de la parfaite indépendance des commissaires aux comptes, sur lesquels pèserait dès lors une responsabilité nouvelle en plus de celles qui leur incombent déjà, je propose de limiter à trois ans la durée pendant laquelle ils peuvent assurer la certification de la comptabilité d'un même parti. Selon moi, une telle rotation sera de nature à accroître la confiance que nous pouvons accorder à leur travail.

Enfin, à l'instar de M. Pierre Mazeaud, qui avait réfléchi sur ces questions à la demande du Président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer, je propose d'alourdir, en la portant de trois à six ans, la peine d'inéligibilité maximale qui peut être prononcée à l'égard de ceux qui contournent sciemment la législation relative au financement des campagnes électorales et des partis politiques. Pour reprendre les propos de M. Mazeaud, il s'agirait de les « sortir du circuit » pendant une période suffisamment étendue, six ans correspondant au mandat politique le plus long qui existe dans notre pays. Cette mesure ferait peser sur chacun une juste responsabilité.

S'agissant des mesures visant à renforcer la transparence, je propose d'enrichir le cadre comptable et les obligations déclaratives comptables qui s'imposent aux partis politiques, afin que la CNCCFP puisse faire utilement son travail. Par la voix de son Premier président, M. Didier Migaud, la Cour des comptes s'est dite tout à fait disposée à accompagner le législateur et, le cas échéant, l'ensemble des acteurs concernés dans cette démarche.

Je propose aussi que la CNCCFP publie, au terme de la période d'examen, des données plus détaillées sur les comptes de campagne des candidats aux différentes élections et sur la comptabilité des partis politiques.

Même si cela peut paraître anecdotique, il serait également utile que les mandataires financiers ne délivrent des reçus aux donateurs – ce qui permet notamment à ceux-ci de bénéficier d'une réduction d'impôt égale à 66 % du montant qu'ils ont versé – que le jour du dépôt effectif de la candidature. Nous avons en effet observé que des reçus avaient parfois été délivrés en contrepartie de dons versés pour le financement d'une campagne alors que la candidature n'avait pas été finalement déposée. Cette proposition nous a été présentée par un représentant du Groupe des États contre la corruption du Conseil de l'Europe dans le cadre de ses travaux sur la lutte contre la corruption, a aussi son importance en termes de contrôle des finances publiques, auquel nous sommes tous attachés au sein de cette Commission.

En outre, je propose de clarifier dans notre droit la situation des personnes morales qui deviennent des partis politiques. Avec l'extension du phénomène des micropartis tel est notamment le cas aujourd'hui d'un certain nombre d'associations loi 1901, qui peuvent bénéficier, à ce titre, d'apports qui ne sont pas soumis à la législation encadrant les financements politiques. La question de la dévolution du patrimoine et de la trésorerie de ces associations se pose au moment précis où elles se transforment en partis politiques. La CNCCFP est vigilante sur ce point, mais il ne faudrait pas que ces associations contournent par ce biais l'interdiction faite aux personnes morales de financer un parti politique ou une campagne électorale, ni le plafonnement des dons que peuvent consentir les particuliers.

Enfin, je propose de consacrer dans la loi le droit à consultation de l'ensemble des documents reçus ou émis par la CNCCFP dans le cadre de ses travaux. Le juge administratif avait fait droit à la demande de Mediapart d'accéder à un certain nombre de documents que la CNCCFP avait refusé de lui transmettre. Néanmoins, à mon sens, il appartient, au législateur de déterminer quels sont les documents communicables, la jurisprudence ayant suscité certaines interrogations.

De même, sous réserve du respect du secret des affaires, nous pourrions exiger des partis politiques qu'ils publient une liste annuelle de leurs principaux fournisseurs, au-delà de seuils qui devraient être définis de manière consensuelle.

S'agissant des mesures de simplification, il faut, selon moi, que nous aidions la CNCCFP à disposer en temps utile d'informations exploitables – surtout si nous renforçons les obligations comptables des partis politiques – et que nous avancions, à cette fin, vers la généralisation de la dématérialisation de l'envoi des comptes de campagne et de la comptabilité des partis. Cela ferait gagner un temps considérable à la fois aux candidats, aux trésoriers des partis, aux experts-comptables et à la CNCCFP. À ce titre, nous pourrions réfléchir utilement à la création d'un statut de « tiers de confiance » pour les experts-comptables des candidats. L'expert-comptable deviendrait ainsi la personne par laquelle transite l'ensemble des échanges entre la CNCCFP et le candidat pendant la période d'examen des comptes de campagne.

D'autre part, je propose de permettre la certification de la comptabilité annuelle des partis et des groupements politiques par un seul commissaire aux comptes lorsque leurs ressources annuelles sont inférieures à un certain seuil. Nous pourrions nous inspirer du seuil applicable aux syndicats professionnels, à savoir 230 000 euros. Actuellement, beaucoup de petites structures politiques éprouvent de grandes difficultés à trouver, comme la loi l'exige, deux commissaires aux comptes disponibles pour traiter des volumes financiers souvent très faibles.

Il serait également utile de faciliter encore plus l'accès au compte bancaire pour les mandataires financiers des candidats : comme cela a pu être constaté lors des récentes élections départementales, le droit à l'ouverture d'un compte – pourtant consacré dans la loi –est appliqué de façon assez aléatoire, notamment du fait de la méconnaissance des textes en vigueur par les agences bancaires. Actuellement, un mandataire peut faire appel à la Banque de France pour contraindre une banque à lui ouvrir un compte, mais cela suppose qu'il fournisse une attestation de refus d'ouverture de compte délivrée par cette dernière. Or, beaucoup de candidats ont eu du mal à obtenir une telle attestation de la part des agences bancaires locales. Nous pourrions supprimer cette obligation afin de faciliter la saisine de la Banque de France et que le « droit au compte » soit une réalité.

Je vous renvoie à la lecture du rapport pour les autres mesures de simplification que je préconise.

Pour finir, il convient de prendre en compte de nouvelles pratiques politiques, en particulier celle des primaires, qui émerge non seulement pour les scrutins nationaux – nous l'avons vu lors de la dernière élection présidentielle et le verrons vraisemblablement lors de la prochaine –, mais aussi pour les scrutins locaux. L'assemblée générale du Conseil d'État elle-même a invité le législateur à clarifier le cadre dans lequel les dépenses engagées au cours d'une primaire devaient être intégrées dans le compte de campagne des candidats. À cet égard, je propose de consacrer dans la loi le principe établi de façon un peu empirique par la jurisprudence à l'occasion de la primaire organisée par le Parti socialiste en 2011 en vue de l'élection présidentielle : toute dépense ayant concouru à la promotion du projet et de la personne du candidat finalement investi doit être intégrée à son compte de campagne, puisqu'elle a permis à ce dernier de briguer les suffrages des électeurs. Ce principe est similaire aux règles générales qui s'appliquent aux dépenses électorales.

Par ailleurs, nous constatons – parfois pour la déplorer – une multiplication des micropartis. Certains d'entre eux ont une finalité strictement financière et contournent, à mon sens, l'esprit de la loi. Lorsqu'un parti agit comme une entreprise commerciale, il ne concourt pas – selon moi – à l'expression du suffrage, mission que lui assigne l'article 4 de la Constitution. Il est inadmissible qu'un parti ou un microparti réalise une marge bénéficiaire à la faveur du remboursement public des dépenses de campagne d'un candidat – je suppose que vous partagerez tous ce point de vue, mes chers collègues. Or, il semblerait que cette pratique ait déjà été observée, notamment de la part du microparti dénommé « Jeanne ».

Je propose donc une mesure très simple, dont le respect pourra être vérifié par la CNCCFP dès lors que les obligations comptables des partis politiques auront été enrichies : interdire aux partis de réaliser une marge commerciale. Ainsi, un parti ne pourra pas prêter à des candidats à un taux supérieur à celui auquel il a lui-même emprunté. S'il prête sur ses fonds propres, il ne pourra exiger aucun intérêt. S'il achète un kit de campagne à un prestataire, il est hors de question qu'il le surfacture aux candidats à qui il le vend. Car toute marge réalisée de la sorte est payée in fine par l'ensemble des contribuables.

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