Je vous remercie de votre invitation conjointe. L'ordre du jour du dernier Conseil européen de jeudi et vendredi derniers était particulièrement chargé. Il devait traiter de la question migratoire, sujet d'actualité en lien avec la crise en Méditerranée, mais aussi de la politique de sécurité et de défense commune, devant faire suite, sur ce point, au Conseil européen de décembre 2013. Il fallait également faire le point sur l'Union économique et monétaire sur la base du rapport des quatre, ou plutôt des cinq, présidents – car le président du Parlement européen, M. Martin Schulz, s'y est associé. L'ordre du jour incluait aussi la question de l'emploi, du numérique, ainsi qu'une communication du Premier ministre britannique, qui participait au Conseil européen pour la première fois depuis sa réélection et depuis l'adoption par la Chambre des communes d'une loi prévoyant un référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.
Mais les débats ont porté essentiellement sur la question migratoire et sur la Grèce. Bien que ce dernier sujet n'ait pas fait l'objet de conclusions rédigées, il a été abordé au cours de rencontres entre Alexis Tsipras, Angela Merkel et François Hollande et a concentré l'attention du président de la Commission européenne et du président de la Banque centrale européenne (BCE), puisque la phase qui s'engageait semblait devoir être une phase conclusive. Le Premier ministre et le ministre des Finances sont largement revenus sur ce point devant vous cet après-midi au cours de la séance des questions au Gouvernement.
À dix-neuf heures aujourd'hui, une conférence téléphonique de l'Eurogroupe est prévue, qui est précédée, à l'heure où nous parlons, d'une conférence préparatoire du groupe de travail réunissant les directeurs du Trésor. Un processus de discussion est donc encore en cours.
Vendredi, le gouvernement grec a interrompu unilatéralement les discussions, avant que l'Eurogroupe ne se réunisse le samedi. Il entend aujourd'hui faire voter sur un accord qui n'a pas été conclu. Certes, nous respectons le droit du gouvernement grec à organiser un tel référendum, puisque cela relève de sa souveraineté. Le peuple grec a le droit de s'exprimer sur ce qu'il veut concernant ses relations avec l'Eurogroupe ; nous n'avons pas à interférer. Mais l'enjeu doit être clair dans son esprit : il en ira de la place de la Grèce dans la zone euro. Le gouvernement grec a, depuis lundi, temporairement fermé les banques et mis en place un contrôle temporaire des capitaux. De son côté, la Banque centrale européenne n'a pas interrompu la mise à disposition de liquidités auprès des banques grecques. Cela va dans le sens de ce que la France avait souhaité, même si la Banque centrale européenne s'est évidemment prononcée en toute indépendance.
Hier, après un conseil restreint regroupant le Premier ministre et quelques ministres, le président de la République a déclaré que la France était disponible pour reprendre le dialogue et aider à ce que celui-ci se noue et débouche sur un accord, celui qui était sur le point d'aboutir entre la Grèce et les institutions – le FMI, la BCE et les membres de l'Eurogroupe. Le Premier ministre l'a confirmé devant vous au cours de la séance publique de cet après-midi. Le président de la République l'a indiqué ce matin à l'Élysée, devant les présidents des assemblées parlementaires et devant les présidents de commission, rencontre à laquelle vous preniez part, mesdames les présidentes. Le président de la Commission européenne, M. Juncker, a lui-même transmis hier cette proposition au Premier ministre grec, M. Alexis Tsipras. Son porte-parole a rendu cette démarche publique aujourd'hui.
Si aucun accord n'intervient aujourd'hui, le gouvernement grec a indiqué qu'il n'honorerait pas un remboursement important au FMI arrivant à échéance ce soir ; ce serait la fin du programme d'aide et un probable défaut. Tout dépend maintenant de la réponse du peuple grec au référendum de dimanche, qui a pour enjeu réel le maintien de la Grèce dans la zone euro. La France y est favorable. Comme vous l'avez dit, Mme Guigou, il en va du projet européen. Aussi la France est-elle disponible pour oeuvrer à la réunion des conditions rendant possible ce maintien. Nous souhaitons que la discussion puisse reprendre, même s'il revient aux Grecs d'en décider.
Quant à ce qui était l'objet d'un accord possible et aux propositions qui auraient pu être adoptées par l'Eurogroupe de samedi dernier, je parlerai d'un ensemble de dispositions relatives au financement nécessaire à la Grèce pour faire face à ses échéances de remboursement, mais aussi aux besoins de fonctionnement de son État, de son administration ou de ses systèmes sociaux. Il y était aussi question d'un ensemble de réformes discutées depuis cinq mois avec le gouvernement grec et dont la Grèce a besoin en matière de fiscalité, de bonne administration, de transparence et de lutte contre la corruption. Ce plan portait aussi sur un soutien aux investissements, le président Juncker ayant rendu public que 35 milliards d'euros devraient servir d'ici 2020 aux infrastructures, à l'innovation et à la formation en Grèce. Notre conviction est que la sortie de crise ne pourra avoir lieu que par la croissance, et non par le seul canal de l'assainissement budgétaire et des finances publiques. Il faut que l'économie elle-même redémarre.
Enfin, la possibilité s'ouvrait d'engager une discussion sur le poids de la dette grecque et sur sa soutenabilité, afin d'arriver à ce que le président de la République a appelé un « accord global et durable ». Nous pensons que c'est toujours ce à quoi il faut travailler.
Vous m'avez interrogé sur les conséquences pour l'Europe et pour la France d'un échec du processus de négociations et sur les répercussions économiques d'une sortie de la Grèce de la zone euro. La zone euro n'a pas été et ne sera pas entraînée dans une crise financière en raison d'une sortie de la Grèce, parce qu'elle est plus solide qu'il y a quatre ans et que des outils ont été mis en place pour assurer cette stabilité et empêcher une propagation de la crise financière aux autres pays. Il en va d'abord ainsi de l'union bancaire. Ayant déjà été restructurée, la dette grecque se trouve essentiellement portée par des acteurs publics ; peu d'acteurs privés y sont exposés. Mais, en tout état de cause, l'union bancaire empêcherait aujourd'hui qu'une crise bancaire se propage pour ouvrir une crise des dettes souveraines. Il en va ensuite ainsi du Mécanisme européen de stabilité (MES) et d'autres mécanismes qui n'existaient pas il y a quatre ans, comme les opérations monétaires sur titres (OMT), qui permettent à la Banque centrale européenne d'intervenir en achetant désormais, si nécessaire, de la dette souveraine. En outre, elle utilise déjà le quantitative easing.
L'économie française est elle aussi robuste. Même s'il y a eu hier des mouvements sur les marchés financiers, en raison de la surprise causée par la décision du gouvernement grec, l'euro s'est finalement stabilisé. Il n'y a pas eu de hausse des taux d'intérêt sur la dette française ou sur celle des pays qui constituent le coeur de la zone euro, ce qui traduit la confiance dans la solidité de notre économie ainsi que dans le sérieux des réformes que nous avons engagées.
Pour la Grèce, les conséquences seraient sérieuses sur le plan économique, en raison de la fragilité de son appareil productif, du poids de la dette et des effets d'une dévaluation si le pays adoptait à nouveau une monnaie nationale. En ce cas, les matières premières et les biens importés connaîtraient une forte hausse de leur prix, tandis que l'épargne, qui ne serait plus libellée en euros, s'en trouverait dévalorisée. S'y ajouteraient les conséquences politiques pour le projet européen. Aussi notre objectif est-il le maintien de la Grèce dans la zone euro ; nous mettrons tout en oeuvre pour l'atteindre. Depuis l'élection d'Alexis Tsipras, le président de la République souligne qu'il faut respecter d'une part le choix démocratique d'un changement de politique et d'autre part les règles européennes et les engagements pris vis-à-vis des partenaires de l'Union européenne.
La France a un rôle à jouer pour favoriser le dialogue entre la Grèce et ses créanciers. Ce dialogue devra se poursuivre y compris au lendemain du référendum. Cela sera certes plus facile s'il peut reprendre sur la base des propositions formulées par les institutions. Souhaitons que le peuple grec fasse preuve de lucidité et qu'il soit bien éclairé sur son enjeu. La situation est difficile en raison de l'état où se trouvent la Grèce et le peuple grec à la suite d'une longue crise de cinq années et de l'échec des plans de sauvetage, tandis que les réformes n'ont pas été mises en oeuvre. Ailleurs en Europe, des politiques d'ajustement dures, parfois trop dures, ont été menées, que ce soit en Espagne, en Irlande ou au Portugal. Elles ont produit leurs effets, même si cela a demandé du temps et que des problèmes sociaux n'y sont pas encore réglés. En Grèce, le redémarrage économique n'a pas eu lieu. En outre, en particulier depuis l'arrivée de son nouveau gouvernement, la Grèce a perdu la confiance de nombreux pays de la zone euro. C'est une difficulté supplémentaire.
Au Conseil européen, la question des migrations a cependant donné lieu aux échanges les plus difficiles, en particulier s'agissant de la solidarité dont il faut faire preuve à l'égard des pays de première arrivée, que sont la Grèce, l'Italie, mais aussi, depuis quelques semaines, la Hongrie, où les migrants arrivent en traversant les Balkans, comme l'agence Frontex l'a identifié. À l'issue de ces discussions difficiles, des conclusions ont été adoptées qui correspondent à l'approche définie par la France depuis le Conseil européen extraordinaire du 23 avril 2015, consécutif aux drames en Méditerranée.
Il s'agit de promouvoir une réponse européenne fondée sur un principe de responsabilité partagée, de répondre aux demandes légitimes de solidarité formulées par les pays de première ligne et d'accepter un mécanisme de relocalisation exceptionnelle et temporaire des migrants en besoin manifeste de protection internationale, si leur identification et leur enregistrement ont été dûment mis en oeuvre à leur arrivée dans le pays de premier accueil, grâce à la base Eurodac et conformément aux engagements de Dublin, et que les procédures de retour et de réadmission sont suivies lorsque ces migrants ne relèvent pas du droit d'asile, c'est-à-dire ne sont pas des réfugiés politiques.
Il convient en effet de distinguer entre les personnes qui fuient les dictatures et les zones de guerre, par exemple la Syrie, relevant ainsi des conventions de Genève, et l'immigration économique, qui ne peut se faire que dans un cadre légal. Il faut lutter contre l'immigration irrégulière. Une opération navale est décidée contre les filières de passeurs et contre les trafiquants. Une coopération est engagée avec les pays d'origine et de transit pour démanteler ces filières. L'agence Frontex prendra en charge à l'avenir le soutien aux pays de première arrivée pour organiser le retour quand des accords de réadmission ont été signés avec des pays où la sécurité des personnes n'est pas menacée. Au contraire, il n'est pas normal que des gens, à cause de filières illégales, continuent de risquer leur vie en traversant le désert ou la Méditerranée.
Ces conclusions ont été difficiles à adopter, car elles convenaient aux pays de première arrivée, qui voulaient même qu'elles fussent plus précises encore sur la répartition de l'accueil, mais elles suscitaient la réticence des pays baltes et de ceux du groupe de Višegrad. Ils estiment ne pas pouvoir accueillir les migrants venus de la Méditerranée, au risque de ne pouvoir faire face à d'éventuels afflux en provenance d'Ukraine. Dans ces pays, il n'y a pas non plus forcément de tradition d'accueil et d'intégration des migrants.
Les discussions ont néanmoins confirmé l'objectif, proposé par la Commission européenne, d'accueillir sur deux ans 60 000 personnes en besoin de protection, dont 40 000 parmi celles qui arrivent dans les pays du sud de l'Europe. Au début de juillet, les ministres de l'Intérieur adopteront les critères fixant la répartition entre les États membres, en rediscutant les critères proposés par la Commission dont nous considérions nous-mêmes qu'ils ne prenaient pas suffisamment en compte l'effort déjà fourni. La France est l'un des cinq pays qui contribuent à l'accueil de 75 % des migrants. Pour ceux qui relèvent de l'asile politique, c'est à l'ensemble des Vingt-Huit de partager l'effort d'accueil. En même temps, les procédures doivent être mises en oeuvre pour contrôler les frontières. Le Conseil de l'Union devra donc dégager un consensus pour ancrer l'engagement des États membres. Le principe d'un mécanisme obligatoire de répartition sur une base juridique claire est écarté.
Sur le volet sécurité et défense, les conclusions sont conformes à ce que nous souhaitions. Trois points devaient être traités : l'élaboration d'une nouvelle stratégie européenne de sécurité, sur laquelle les travaux vont se poursuivre ; l'élaboration d'une nouvelle stratégie de politique étrangère et de sécurité commune, que la Haute représentante devrait soumettre d'ici juin 2016 ; la politique européenne de sécurité et de défense commune, sur laquelle le Conseil européen a repris les conclusions du Conseil « Affaires étrangères » du 18 mai, relativement au soutien à l'industrie européenne de défense, notamment par le financement de programmes communs concernant le ravitaillement en vol, les drones, la cyberdéfense et les télécommunications par satellite.
Sur les enjeux de croissance et de compétitivité, le Conseil européen s'est félicité de l'adoption du règlement relatif au plan Juncker sur les investissements, en demandant qu'il soit rapidement mis en oeuvre et que la Banque européenne d'investissement (BEI) puisse financer les premiers projets, comme elle a commencé de le faire. En matière de stratégie numérique, nous avons été particulièrement attentifs. Nous sommes naturellement favorables à la création d'un marché numérique européen, mais nous voulons que le droit d'auteur soit protégé et que la propriété intellectuelle et le financement de la création soient garantis dans le cadre de cette future Europe du numérique.
Le rapport sur l'Union économique et monétaire a été présenté par les quatre, ou plutôt cinq, présidents, M. Schulz s'étant associé au président de la BCE, au président de l'Eurogroupe, au président du Conseil européen et au président de la Commission européenne, qui était chargé de coordonner les travaux. Ce document reprend une partie de la contribution franco-allemande, notamment sur la nécessité de mieux coordonner les politiques économiques et de faire avancer, au sein de l'Union économique et monétaire, la convergence sociale et fiscale, ainsi que la convergence des capacités d'investissement. D'autres propositions nous semblent moins abouties et moins convaincantes, telle celle qui concerne la création d'autorités de compétitivité indépendantes traitant de questions salariales. À mon sens, les questions de marché du travail ne peuvent être traitées ainsi. La convergence doit dépendre de la bonne réglementation sur le détachement des travailleurs, de la garantie d'un salaire minimum dans tous les pays et des droits à la formation professionnelle, qui doivent être la contrepartie des éléments de flexibilité. Nous ne voulons pas que le niveau des salaires soit fixé par des instances ne disposant d'aucune légitimité particulière. Le rapport fournit des éléments pour une discussion qui va donc se poursuivre.
Enfin, David Cameron a présenté son projet de référendum. Sa communication n'a fait l'objet d'aucun débat. Le président du Conseil européen Donald Tusk va engager des consultations dont il rendra compte au Conseil européen de décembre, un point d'étape étant prévu au Conseil européen d'octobre. Nous pensons qu'il est dans l'intérêt du Royaume-Uni de rester dans l'Union européenne, comme c'est l'intérêt de l'Europe elle-même. Les demandes britanniques nous paraissent devoir être prises en compte dans la mesure où elles correspondent à l'intérêt général européen, mais elles ne sauraient conduire à une remise en cause des traités fondateurs ou de principes fondamentaux comme la libre circulation.
Je me réjouis enfin que le Conseil européen ait élevé Jacques Delors au rang de citoyen d'honneur de l'Europe. Il est le deuxième Français et le troisième homme à recevoir une telle distinction, qui était déjà allée à Jean Monnet et à Helmut Kohl, après la réunification. Nous saluons cette reconnaissance d'un grand Européen, qui est aussi un grand Français, ayant dédié son oeuvre politique à la construction européenne.