Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « indignation », « déception », « désarroi », tels sont les termes qui reviennent quand on interroge des personnes en situation de handicap ou les associations qui représentent leurs intérêts. L’accessibilité universelle, nous en parlons tous régulièrement ici même, lors des travaux en commission, lors des discussions dans cet hémicycle ou lors des réunions du groupe d’études sur l’intégration des personnes handicapées que je préside. Nous n’avons de cesse d’indiquer combien il est nécessaire de bâtir une société réellement inclusive. Mais immanquablement, lorsqu’il faut passer des paroles aux actes, c’est toujours plus complexe !
Se trouve souvent invoqué le respect des grands équilibres issus des concertations engagées. Et c’est ainsi que les grands principes initialement affichés s’estompent peu à peu.
Il ne s’agit pas de nier les difficultés de certains petits commerces ou ERP de cinquième catégorie, pour lesquels les travaux d’accessibilité représentent un coût pouvant être difficile à assumer. Il ne s’agit pas non plus de nier les difficultés dans lesquelles se retrouvent de trop nombreuses petites communes, notamment en cette période de diminution des dotations budgétaires. L’ampleur des travaux à mener revient parfois à devoir renoncer à la mise en place d’un nouveau service public de proximité, par exemple à une crèche.
Mais, sans minorer ces difficultés, peut-on encore continuer à tergiverser quand il s’agit de mettre un terme à l’exclusion d’une partie de notre population ? Il y va de l’égalité dans l’accès à la vie sociale, économique, politique et culturelle. Il y va de l’égalité réelle entre les citoyens, principe absolu pour une démocratie soucieuse de l’intérêt général et d’un vivre ensemble qui fait tant défaut aujourd’hui.
Oui, peut-on encore décemment remettre à plus tard cette accessibilité universelle ? La réponse semble évidente : il n’est plus possible de continuer à la repousser aux calendes grecques ou, pis à remettre en cause son principe même.
Comme je l’indiquais lors de la discussion générale du 6 juillet dernier, la situation actuelle est tout simplement honteuse. Seuls 15 % des établissements recevant du public seraient en effet accessibles, moins de six écoles primaires sur dix, 40 % des collèges, 20 % seulement des lycées. Et les transports n’échappent pas à ce bilan catastrophique.
La loi du 11 février 2005 prévoyait pourtant une mise en accessibilité pour 2015. Ce mauvais bilan est imputable au manque de volontarisme de chacune et de chacun, qui aboutit à toujours repousser à plus tard une exigence jugée trop complexe, trop lourde financièrement.
Il aurait pourtant fallu se donner les moyens d’anticiper. Il aurait fallu programmer les travaux nécessaires. Il aurait fallu s’y mettre, tout simplement !
Pour dépasser cet écueil, un long travail de concertation vient d’être réalisé et a permis de décrire les chemins menant à cette accessibilité. Désormais, pour la mettre en oeuvre enfin, concrètement, des outils existent : en réponse à l’inadéquation entre les objectifs affichés lors de la loi de 2005 et les moyens déployés pour y aboutir, les Ad’AP, les PAVE – plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics – ou les SDA doivent en effet servir de cadre juridique, calendaire et opérationnel, et palier ainsi les manques de la loi de 2005. Ces outils doivent permettre de planifier dans le temps un système de financement des travaux à mener. Ils doivent décliner les grands principes en actions concrètes et financées.
Car le financement est, bien sûr, une pierre d’achoppement importante, et j’ai déjà évoqué les difficultés financières de certains commerces ou des petites communes. Il faudra s’assurer que les dispositifs d’accompagnement financiers prévus soient facilement mobilisables, car l’argument financier ne doit plus conduire à retarder encore des travaux dont l’utilité, pour tous, est indéniable.
Mais, encore une fois, derrière les paroles et les promesses, derrière les nouveaux dispositifs mis en place et proposés, la réalité est sombre. L’ordonnance proposée à la ratification est en deçà des attentes. Elle est en deçà des principes votés par le Parlement l’année dernière. Elle est en deçà des espoirs et des attentes des personnes en situation de handicap. Au regard des dérogations, des délais et de certains renoncements, on comprend le désarroi de celles-ci ! Ce désarroi devrait nous concerner tous et résonner en nous. On a trop souvent le sentiment que ces problèmes d’accessibilité sont pour les autres. Pourtant, l’accessibilité universelle nous concerne ou nous concernera tous, de près ou de loin, un jour ou l’autre.
Elle concerne aussi l’ensemble de notre société : les parents avec leurs poussettes – vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État –, les personnes vieillissantes ou âgées qui ont des difficultés de mobilité, mais aussi celles et ceux qui ont temporairement besoin de se déplacer en fauteuil roulant ou de marcher avec des béquilles.
L’accessibilité universelle – je l’ai dit et je le redis – doit être une priorité. On le sait et on n’a de cesse de le regretter : le vivre ensemble fait défaut à notre société. C’est un sujet de préoccupation majeur et un sujet d’actualité. En témoignent les différentes actions annoncées et mises en place par le Gouvernement depuis les dramatiques attentats de janvier : service civique universel, mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, réserve citoyenne, etc. Le volontarisme, ici, est bien réel. Alors pourquoi ne s’applique-t-il pas aux personnes en situation de handicap ? Comment peut-on placer le vivre ensemble comme priorité et délaisser, dans le même temps, une partie de nos concitoyens ?
Soyons clairs : tant que les actes du quotidien des personnes en situation de handicap s’apparenteront à de véritables parcours du combattant, c’est que nous aurons échoué à bâtir la société inclusive que nous invoquons tous, régulièrement, sur ces bancs. Or, ce projet de loi de ratification n’est pas à la hauteur des espoirs et des attentes. Si cette ordonnance a le mérite de mettre en place les outils définissant la feuille de route à suivre pour aboutir à l’accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie, elle demeure décevante à plus d’un titre.
En matière de transports, tout d’abord, si les évolutions relatives aux élèves en situation de handicap vont dans le bon sens, il n’est pas raisonnable de limiter l’accessibilité des transports aux seuls points prioritaires. Le sujet a fait l’objet de nombreuses discussions dans cet hémicycle. Pour aller à l’école, suivre une formation, faire du sport, assister à un spectacle, travailler, il faut au préalable se déplacer. L’accessibilité des transports est donc le prérequis pour mener à bien ses projets et pour vivre sa vie. C’est justement parce que nous voulons plus que les déplacements soient synonymes de parcours du combattant que nous avons souhaité la mise en place des Ad’AP et des SDA. La limitation de l’accessibilité à de points jugés « prioritaires » par rapport à d’autres entre en contradiction avec cette accessibilité universelle, qui nécessite d’ailleurs une réflexion globale en termes de continuité de la chaîne de déplacement.
Pendant la concertation, l’accessibilité des points prioritaires était considérée comme le point de départ d’un processus plus long qui menait, à terme, à l’accessibilité de tout le parcours. Concernant les autres points, des mesures de substitution étaient prévues pour accompagner le processus en attendant. Elles n’avaient pas vocation à être pérennisées, sauf à titre exceptionnel. Or ce texte les généralise, ce qui constitue un grave recul par rapport à la loi de 2005.
Rappelons-le, rendre accessible l’ensemble de la chaîne de déplacement est un préalable à l’autonomie des personnes en situation de handicap.
Parmi les autres sujets de déception, je mentionnerai les délais supplémentaires pour le dépôt des Ad’AP et SDA, comme si l’on voulait sans cesse remettre à plus tard cette accessibilité ; les dérogations sans justifications pour les copropriétés, sachant que la possibilité, pour un ERP, de prendre en charge les travaux ne change pas le problème ; la multiplication des dérogations accordées de facto du fait de l’impossibilité, pour l’administration, de traiter dans les temps toutes les demandes, notamment pour les ERP de cinquième catégorie, lesquels représentent près de 80 % des établissements recevant du public.
Au regard de ces reculs – et la liste que je viens de dresser n’est malheureusement pas exhaustive – l’indignation, la déception et le désarroi des personnes en situation de handicap et des associations qui les représentent se comprennent aisément. Car s’il faut savoir être réaliste et pragmatique pour permettre que les travaux d’accessibilité soient menés, encore faut-il que les points d’équilibre trouvés entre les différents acteurs ne se traduisent pas par une accessibilité au rabais. Or, la façon dont cette ordonnance décline les grands principes sur lesquels il y avait eu un accord lors des concertations ne témoigne pas de la volonté politique indispensable pour que les choses bougent vraiment.
Les différents amendements que ma collègue Véronique Massonneau et moi-même avions déposés auraient pu nous permettre d’aboutir à un texte bien plus acceptable. Ce n’est pas le choix qui a été retenu par le Gouvernement.
En l’état, donc, et malgré les avancées nécessaires que sont les Ad’AP, les SDA ou celles qui concernent la formation, nous ne pouvons malheureusement pas voter ce texte.