Depuis l’examen du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et au délit d’aide au séjour irrégulier, adopté en décembre 2012, l’Assemblée nationale n’a eu que rarement l’occasion de débattre du sujet de l’immigration. Et pour cause : le droit de l’immigration a davantage été modifié, ces trois dernières années, par le biais de circulaires ou d’instructions que par la voie législative, c’est-à-dire par la voie du débat. Mais je pense qu’en la matière, au-delà d’inflexions législatives – une demi-douzaine de textes votés ces quinze dernières années ! – nous avons peut-être plus besoin d’appliquer plus efficacement les textes en vigueur que d’en voter de nouveaux.
Nous abordons l’examen de ce projet de loi dans un contexte difficile. Avec, selon les données du rapport de la commission des lois, 100 000 migrants supplémentaires entre janvier et juin 2015 aux portes de l’espace Schengen, la régulation des flux migratoires représente un véritable défi pour la France et pour l’Europe. Ne cédons pas pour autant aux discours simplificateurs. Nous devons examiner ce texte avec honnêteté intellectuelle et responsabilité politique, en gardant à l’esprit que, si notre droit des étrangers doit être réformé, la vraie réponse sera avant tout européenne. Nous avons tous en tête ce qui se passe actuellement en Méditerranée, le cortège de ces drames humains, l’exploitation éhontée de la situation par les passeurs et les mafias, toutes les exactions dont les migrants sont les victimes.
Ce texte repose avant tout sur la volonté, louable, de considérer l’immigration comme une chance et non comme une contrainte à juguler. Sans nier les difficultés qui entourent la politique d’immigration, nous devons être pleinement conscients de la richesse qu’elle représente pour notre pays. L’immigration devrait constituer un instrument de soutien au développement et au rayonnement de la France, mais elle doit aussi aller de pair avec l’intégration, dont les trois composantes sont l’apprentissage de la langue, l’appropriation des valeurs de la République et l’accès à l’emploi.
Dans cet esprit, le projet de loi prévoit la refonte du contrat d’accueil et d’intégration. Ce dispositif, créé en 2006, a permis d’engager dans un parcours d’intégration les étrangers ayant obtenu pour la première fois un titre de séjour les autorisant à s’installer durablement dans notre pays. Cependant, ainsi que l’a révélé un rapport de l’inspection générale des affaires sociales en 2013, c’est aussi un dispositif coûteux, qui présente certaines faiblesses. On constate notamment que les formations suivies par les étrangers dans le cadre de ce contrat ne sont pas toujours adaptées au profil des migrants.
Pour répondre à ces lacunes, le projet de loi entend mettre en oeuvre une logique personnalisée, moyennant un parcours individualisé d’intégration rebaptisé en commission « parcours personnalisé d’intégration ». Si cette mesure semble positive, nous nous demandons s’il est pertinent de mettre à la disposition, dans son pays d’origine, de l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français une information sur la vie en France ainsi que sur les droits et devoirs qui y sont liés. Une simple information est loin d’être à la mesure de l’enjeu que constitue la réussite de l’intégration de ces candidats à l’immigration.
L’article 2 modifie les conditions de connaissance de la langue française pour la délivrance de la carte de résident. Le rapport conjoint remis en 2013 par l’inspection générale de l’administration – IGA – et l’inspection générale des affaires sociales – IGAS – désigne la France comme le seul pays européen à fixer un objectif de maîtrise de sa langue aussi modeste, en l’occurrence le niveau A1.1.
Vous souhaitez donc préciser que la délivrance de la carte de résident est liée à une connaissance suffisante de la langue ne pouvant être inférieure à un niveau défini par décret en Conseil d’État. Faire de la maîtrise de notre langue la condition nécessaire de l’intégration est primordial et nous approuvons votre intention de relever le niveau exigé. Pour autant, la commission a supprimé l’exigence d’un niveau suffisant. De la sorte, n’a-t-on pas atténué l’objectif initial ?
En outre, cette mesure représente un coût non négligeable : le rapport conjoint de l’IGA et de l’IGAS a évalué à 46 millions d’euros par an le coût total de l’objectif d’atteindre le niveau A1 et à 80 millions le coût du niveau supérieur A2. Nous voyons ici l’inadéquation entre les intentions et les moyens.
La principale innovation de ce texte est la carte de séjour pluriannuelle, à laquelle les étrangers auraient désormais accès après leur première année de séjour. Cette mesure n’est pas anodine puisqu’elle mettrait un terme au principe général de l’annualité des cartes de séjour retenu par le CESEDA.
Un grand nombre de ressortissants étrangers se voient aujourd’hui contraints d’effectuer des visites nombreuses et répétées en préfecture. Cette réforme vise à améliorer l’adéquation entre la durée de validité des titres de séjour et la durée de présence de l’étranger sur le territoire, mais nous craignons le caractère quasi automatique que prend la délivrance dans cet article. Il conviendrait d’encadrer davantage les conditions de délivrance du titre de séjour pluriannuel, afin de s’assurer que l’étranger qui en bénéficie respecte pleinement l’engagement d’intégration à la société française.
Un des autres objectifs, pour le moins ambitieux, affichés par ce projet de loi serait de « contribuer à l’attractivité de la France ». Dans un contexte de mondialisation, nous ne contestons pas la nécessité d’attirer les meilleurs talents, les étudiants et les artistes prometteurs, qui représentent de véritables atouts pour un pays. Cependant, là encore, nous devons prendre garde de ne pas faciliter à l’extrême, sous prétexte d’attractivité, le parcours des étrangers et nous interroger sur les conséquences de la fuite des élites sur le développement des pays d’origine en matière.
S’agissant par exemple du « passeport talent », à qui fait-on référence lorsque l’on désigne un étranger « qui exerce la profession d’artiste-interprète », ou « qui est auteur d’oeuvre littéraire ou artistique », ou encore un étranger « dont la renommée internationale est établie, qui vient exercer en France une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif » ? Ces dispositions devraient être davantage précisées et strictement encadrées.
S’agissant de la lutte contre la fraude, les dispositions de ce texte semblent insuffisantes. Vous proposez, certes, d’améliorer les outils dont disposent les préfectures, avec l’instauration d’un droit de communication tel qu’en disposent les administrations fiscale et sociale. Pour autant, que prévoyez-vous en matière de lutte contre les mariages blancs ou gris et concernant les situations ou les droits ainsi acquis frauduleusement ?