C’est un constat : les ministres passent, les administrations restent !
De surcroît, le texte ne prévoit aucune passerelle, aucune articulation explicite entre le titre de séjour pluriannuel et le droit au séjour pérenne. Au contraire, il prévoit que ce titre peut, à tout moment, être remis en cause et retiré.
En effet, il instaure un dispositif de contrôle permettant aux préfectures, dans le cadre de l’examen des demandes de titre de séjour, d’accéder aux informations auprès des administrations fiscales, des établissements scolaires ou encore des organismes de Sécurité sociale. Il est légitime de s’interroger sur les risques d’atteinte au respect de la vie privée que présente un contrôle aussi intrusif des données personnelles.
Rappelons que le premier motif d’admission au séjour, et de loin, est le regroupement familial et le rapprochement de conjoints. Avec plus de 90 000 titres délivrés en 2014, il représente près de 45 % de l’immigration légale totale, devant les immigrations étudiante, humanitaire et économique.
Découlant du droit fondamental des nationaux à vivre avec leurs proches, ce dispositif légal permet à un étranger résidant en France d’être rejoint par sa famille, sous certaines conditions. Du moment que les liens des personnes sont établis, il ne me paraît pas sage de continuer à durcir les critères. Or, depuis 2003, de nombreuses restrictions ont été apportées : la durée de résidence minimale pour le demandeur a été allongée, et la carte de séjour accordée n’est plus automatiquement de dix ans.
Le texte prévoit également la possibilité de délivrer aux personnes étrangères relevant du droit au séjour pour soins une carte pluriannuelle, mais pour la seule durée des soins, et non pour la durée de quatre ans. Or, loin de l’image d’Épinal, la majorité des personnes titulaires d’un titre de séjour pour soins ne sont pas venues en France pour se soigner ; elles ont découvert leur maladie alors qu’elles y résidaient déjà et n’ont pas toujours vocation à retourner dans leur pays une fois guéries.
Par ailleurs, l’IGAS, dans son rapport de 2013 sur l’admission au séjour des étrangers malades, a souligné les réticences des services instructeurs des préfectures face aux demandes d’un changement de statut, comme la demande d’une carte de résident, après cinq années passées avec un titre de séjour « vie privée et familiale ». Rien ne justifie que les personnes étrangères relevant du droit au séjour pour soins ne puissent bénéficier de la carte pluriannuelle de quatre ans !
Enfin, et vous le savez, monsieur le ministre, le transfert de l’évaluation médicale relative au droit au séjour pour soins et à la protection contre l’éloignement, qui passe des agences régionales de la santé à l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII –, établissement public placé sous la tutelle de votre ministère, inquiète nombre d’associations.
Le projet de loi ambitionne de reconduire plus rapidement et plus massivement les clandestins à la frontière, en privilégiant l’assignation à résidence comme alternative aux centres de rétention. C’est même un de ses piliers.
Selon les cinq associations qui interviennent dans les centres de rétention administrative, la France est le premier pays d’Europe à enfermer en nombre les étrangers, loin devant tous les autres pays de l’Union. En 2014, selon le rapport rédigé par ce collectif, environ 50 000 étrangers, dont plus de 26 000 en métropole, ont été privés de liberté, contre 45 000 en 2013. En outre, 110 mineurs ont été placés en rétention l’an dernier en métropole, contre 95 l’année précédente. À Mayotte, leur nombre a explosé, passant de plus de 3 500 à plus de 5 500.
En 2012, François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, s’était engagé à mettre un terme à la rétention des mineurs. Dans l’arrêt Popov contre France, la Cour européenne des droits de l’homme relève que la promiscuité, le stress, l’insécurité et l’environnement hostile que représentent les centres de rétention ont des conséquences néfastes sur les mineurs, en contradiction avec les principes internationaux de protection des enfants. Les quelques garanties accordées aux mineurs isolés placés en zone d’attente sont largement insuffisantes ; il n’existe notamment aucune voie de recours permettant de suspendre le renvoi afin de permettre un examen sérieux de la situation du mineur par des services compétents.
Autre point important, le texte prévoit que tout refus pour un étranger de se plier à l’assignation à résidence sera passible de poursuites pénales. Les obligations de quitter le territoire français seront assorties d’une interdiction de retour de trois ans, contre un an aujourd’hui. Enfin, le texte instaure une interdiction de circulation sur le territoire français pour les ressortissants de l’Union européenne.
Le contentieux relatif aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France est très important. Selon le rapport public 2014 du Conseil d’État, il représente plus de 32 % des affaires portées devant les tribunaux administratifs, et 44 % des affaires portées devant les cours administratives d’appel.
Si le niveau de reconduite à la frontière reste faible, ce n’est pas parce que tous les étrangers seraient des fraudeurs, mais parce que la procédure d’éloignement n’est pas respectée, et que le placement en rétention est en conséquence annulé. Cela est dû, aussi, au manque de collaboration entre la France et certains pays d’origine pour la délivrance des laissez-passer consulaires. Vous ne l’ignorez pas, il s’agit bien souvent de pays où la violence est généralisée ; leurs ressortissants peuvent difficilement y être renvoyés.
En outre, en 2014, 45 % des personnes éloignées depuis la métropole, et la quasi-totalité depuis l’outre-mer, n’ont pas eu accès au juge judiciaire. Il est important d’avancer l’intervention du juge des libertés et de la détention à 48 heures à partir du placement en rétention. Le recul de son intervention du second au cinquième jour, consacré par la loi du 16 juin 2011, a entraîné l’éloignement d’étrangers avant qu’ils aient pu faire valoir d’éventuelles irrégularités de procédures et le non-respect de leurs droits.
Chers collègues, alors que l’immigration s’invite en Europe comme sujet politique de l’année 2015 et que ce texte arrive à l’examen de notre assemblée en procédure accélérée, ce que je regrette et conteste, j’ose espérer que le droit des étrangers ne réveillera pas de vieux clivages et les outrances que d’aucuns ont pratiquées. J’ose espérer que nous serons loin des raccourcis sans fondement qui font toujours de l’étranger un fraudeur et de l’immigration un calvaire pour notre pays.
On peut regretter qu’il n’y ait pas eu de rupture plus nette concernant les politiques migratoires depuis la victoire de François Hollande. Il faut néanmoins constater que l’immigration n’est pas devenue aux mains du Gouvernement et de sa majorité la petite allumette qui sert à enflammer l’opinion, le chiffon rouge qui exacerbe les passions. C’est un premier pas, important. Néanmoins, il est insuffisant lorsque l’on considère que les crises aux frontières sont durables et que l’Europe ne peut se construire comme une forteresse.