Ce projet de loi intervient dans un contexte extrêmement préoccupant, sur lequel nous avons déjà insisté lors de nos discussions relatives au droit d’asile. Les mouvements migratoires s’intensifient au gré des conflits armés, des persécutions et de la pauvreté. Depuis le début de l’année, plus de 100 000 migrants sont arrivés en Europe, tandis que des centaines de personnes sont mortes dans leur périple. Beaucoup ont été violemment refoulés hors des frontières européennes.
Dans ce contexte d’accroissement des flux migratoires et alors que se multiplient les drames aux portes de l’Europe, nous tenons à rappeler le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité qui ne saurait tolérer la moindre distinction entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne humaine.
Les députés du Front de gauche réaffirment leur volonté de mener une politique ambitieuse et généreuse à l’égard des étrangers, fondée sur le respect des droits et libertés fondamentaux. La France doit faire preuve de responsabilité et garder à l’esprit l’immense apport humain et matériel que les étrangers lui ont déjà offert.
Non, la présence des immigrés en France n’est pas un problème. Les migrants ne doivent pas être perçus comme un fardeau pour la société. Aussi faut-il en finir avec la politique migratoire répressive menée depuis plusieurs années, qui réduit le migrant à la figure du clandestin destiné à être expulsé.
Dans cette perspective, nous partageons a priori l’ambition affichée par ce projet de loi tendant à sécuriser le parcours d’intégration des ressortissants étrangers, à contribuer à l’attractivité de la France et à traiter les situations de séjour irrégulier en garantissant la protection des libertés individuelles.
Ce projet de loi comporte des avancées pour les migrants, qu’il s’agisse de la sécurisation de leurs parcours ou de l’accès aux droits. Reste que ces avancées sont, pour le moins, nuancées par des mesures très restrictives d’accès aux droits.
S’agissant tout d’abord de l’accueil des étrangers, on peut se réjouir de la volonté d’individualiser davantage le parcours d’intégration des primo-arrivants en France. À cet égard, l’idée d’un contrat « personnalisé » permettra de mettre fin à la trop grande standardisation des prestations proposées dans le cadre de l’actuel contrat d’accueil et d’intégration.
On peut également se féliciter de la suppression des « précontrats d’accueil et d’intégration » et des « contrats d’accueil et d’intégration pour la famille » à destination des familles bénéficiant du regroupement familial. Pour autant, il faut regretter que le projet de loi ne change pas fondamentalement la logique du contrat d’accueil et d’intégration. Celui-ci, rebaptisé « contrat d’intégration républicaine », demeure malheureusement destiné avant tout à maîtriser les flux migratoires. Surtout, on ne peut accepter que le contrat d’intégration républicain conditionne la délivrance d’une carte pluriannuelle de séjour, dès lors, comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH – que seuls les préfets et les maires auront la responsabilité d’apprécier la condition d’intégration, qui dépendra de la preuve de l’assiduité et du sérieux de l’étranger dans le suivi des formations dispensées par l’État.
Pour notre part, nous réfutons cette logique d’insertion-stabilisation suivant laquelle la signature du contrat d’intégration républicaine est nécessaire à l’obtention d’un titre de séjour. Nous considérons au contraire que c’est d’abord la garantie de stabilité du séjour qui permet de faciliter l’insertion de l’étranger.
S’agissant du séjour, on ne peut a priori que partager l’ambition affichée de sécurisation du droit au séjour des étrangers par la délivrance de titres plus pérennes. On peut ainsi se féliciter du principe de la pluriannualité du titre de séjour. Malheureusement, ce principe souffre de nombreuses exceptions. Ainsi, la durée de la carte dite pluriannuelle, en principe de quatre ans, ne sera que de deux ans pour les conjoints de Français, les parents d’enfant français et les personnes ayant des liens personnels et familiaux en France. Pour les étudiants, la carte délivrée correspond à la durée des études. Pour les étrangers malades, sa durée est égale à celle des soins. Surtout, notons que la préfecture pourra contrôler le droit au séjour et retirer le titre pluriannuel à tout moment.
De surcroît, le projet de loi n’organise ni l’automaticité de la délivrance d’une carte de résident de dix ans, ni le renouvellement du titre pluriannuel de quatre ans. En pratique, l’administration pourra donc très bien délivrer un nouveau titre d’un an à l’issue des quatre années de séjour régulier, ce qui serait de nature à précariser la situation des intéressés. Comme la CNCDH, nous considérons que seul un titre de séjour pérenne et sécurisé permettrait aux étrangers d’accomplir dans de bonnes conditions les actes usuels de la vie courante, préalables nécessaires à une intégration réussie. Bref, le titre pluriannuel ne règle pas le problème de la précarisation du séjour.
En termes d’accès aux droits, des avancées sont à saluer : accès facilité des étudiants désireux de changer de statut, accès aux droits sociaux des salariés en mission, critères plus favorables d’accès au séjour pour raison médicale. Pour autant, plus spécifiquement s’agissant des étudiants, les améliorations restent ténues puisque la principale innovation est la carte de séjour pluriannuel, dont la durée ne sera jamais égale à quatre années. Pour ce qui est des étrangers malades aussi les mesures du projet de loi restent timides. Si les critères d’accès au séjour pour raisons médicales sont plus favorables, le transfert à l’OFII de l’évaluation médicale avant la décision relative à la délivrance de la carte constitue une réelle source d’inquiétude.
S’agissant de l’éloignement, nous regrettons que le projet de loi complexifie le contentieux de l’éloignement en créant une nouvelle procédure dérogatoire au droit commun et en instaurant une interdiction de retour automatique.
Concernant l’éloignement des ressortissants de l’Union européenne, nous sommes opposés à la possibilité d’assortir l’obligation de quitter le territoire français « d’une interdiction de circulation sur le territoire français d’une durée maximale de trois ans ». Cette mesure, comme le souligne le Défenseur des droits, vise en réalité les Roms, dont il n’a de cesse de dénoncer la stigmatisation. Cette grave atteinte à la liberté de circulation s’inscrit dans la droite ligne des politiques restrictives appliquées aux droits des citoyens de l’Union.
S’agissant de la rétention, le projet de loi entend mettre notre législation en conformité avec la directive « retour », qui prévoit que la rétention ne devrait être utilisée qu’en dernier recours, en faisant de l’assignation à résidence le principe et de la rétention l’exception.
A priori, on devrait se féliciter de cette mesure, mais le caractère subjectif des motifs du placement en rétention laisse une marge d’appréciation considérable à l’administration, qui peut conduire en pratique à un recours quasi-systématique à cette mesure coercitive. Par ailleurs, on doit déplorer une nouvelle fois le maintien d’un régime d’exception en outre-mer, avec une protection juridique au rabais.
Enfin, on doit regretter les nombreux silences du projet de loi. Il ne modifie rien dans le dispositif d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente, qui permet l’enfermement des mineurs, et ne prévoit pas de recours suspensif contre les mesures de refoulement. Il n’améliore pas l’intervention du juge des libertés et de la détention pour les personnes placées en centre de rétention administrative. Il ne dit rien des travailleurs sans-papiers, ni des parents d’enfants malades, ni des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ni des personnes malades, enfermées ou assignées à résidence.
En définitive, vous l’aurez compris, nous sommes déçus par ce projet de loi, déçus par votre politique migratoire qui ne marque aucune volonté de rupture avec les réformes précédentes.
La législation sur les étrangers demeure très complexe et presque illisible pour les principaux intéressés. Nous souhaitons que le texte évolue vers une meilleure garantie et effectivité des droits et libertés fondamentaux des étrangers. Tel est le sens des amendements que nous avons déposés.