Intervention de Ibrahim Aboubacar

Réunion du 16 juillet 2015 à 14h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIbrahim Aboubacar :

Puisque j'ai pris soin de communiquer le document à l'ensemble de nos collègues, je serai très synthétique. Depuis le début de la législature, j'ai été amené à intervenir au moins à trois reprises en séance pour en réclamer l'élaboration. Je me suis dans le même temps beaucoup battu avec les différents ministères concernés pour leur faire admettre la nécessité d'un document stratégique pour piloter la mise en oeuvre de la départementalisation de Mayotte dont chacun constatait qu'elle commençait à partir en roue libre.

En effet, le processus statutaire de Mayotte a été lancé avec l'élaboration d'un premier document stratégique, dit « Accord sur l'avenir de Mayotte », que nous avons signé le 27 janvier 2000 avec par Jean-Jacques Queyranne, secrétaire d'État à l'outre-mer, Lionel Jospin étant Premier ministre. À défaut de savoir exactement la direction à prendre, ce document s'inspirait largement des dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie et prévoyait une période transitoire d'une dizaine d'années et le lancement de réformes afin que, parvenus en 2010, nous soyons en mesure de choisir entre la collectivité départementale créée en 2001 et le département. Le conseil général devait éventuellement déclencher cette dernière phase et l'assemblée élue en 2008 a souhaité à l'unanimité le lancement du processus de départementalisation. Nous nous sommes dès lors mis d'accord avec l'État pour élaborer un document en précisant les conditions. Nommé rapporteur du comité pour la départementalisation de Mayotte, j'ai remis mon rapport au Premier ministre François Fillon fin 2008 ; malheureusement, en l'absence d'accord, l'État a souhaité publier sa propre feuille de route, intitulé « Pacte pour la départementalisation de Mayotte ».

Contrairement à ce que son nom laissait entendre, ce « pacte » n'engageait que le Gouvernement puisqu'il n'était pas le fruit des travaux des uns et des autres ; du reste, il n'a pas été soumis à signature. Quant à nous, élus, nous avons refusé qu'il constitue la question posée à la population. Ainsi, contrairement à la consultation de l'an 2000 qui nous demandait si nous acceptions ou non l'Accord sur l'avenir de Mayotte, celle de 2009 se bornait à nous demander si nous acceptions la transformation de Mayotte en département d'outre-mer.

À l'unanimité, la classe politique de Mayotte a alors décidé de faire campagne sur la départementalisation, signalant que le Pacte contenait les orientations du Gouvernement. Chose exceptionnelle dans l'histoire de la République, c'est le préfet de Mayotte qui a été mandaté pour sillonner les dix-sept communes de l'île afin d'informer pleinement la population des orientations gouvernementales.

Certains pourraient être amenés à penser que le présent document stratégique serait un reniement dudit Pacte ou un changement de position de la part des élus de Mayotte ; il n'en est rien. La preuve en est que le nouveau document a été signé par les quatre parlementaires de l'île, par le président du conseil général, le président du conseil économique, social et environnemental, le président de l'association des maires… personnalités qui ne sont pas du même bord politique. Le véritable pacte pour la départementalisation est donc ce document stratégique, le précédent n'ayant de pacte que le nom.

En outre, le Pacte de 2008 avait de nombreux défauts : très vague, il n'abordait pas les multiples préoccupations de la population et des acteurs économiques et présentait le désavantage d'être considéré par l'État comme le document directeur de la mise en oeuvre de la départementalisation. Aussi, dans les premiers moments de la départementalisation, entre 2011 et 2013, on enjoignait d'appliquer le pacte, rien que le pacte, tout le pacte ; mais comme le pacte était vide, cela revenait à ne rien mettre en oeuvre du tout… Nous nous sommes par conséquent battus pour qu'il y ait un document beaucoup plus précis permettant aux acteurs économiques et aux partenaires sociaux de savoir où aller, tous convaincus de la nécessité d'un processus progressif et adapté.

Le document stratégique dont je viens de vous retracer la genèse a été adopté en conseil des ministres le 8 janvier 2014, le chef de l'État le mentionnant au cours de sa conférence de presse du 14 janvier et venant à Mayotte même pour le lancer. Tenant à ce qu'il soit le résultat, cette fois, d'une co-construction entre les élus locaux et l'État, nous avons dialogué pendant six mois pour son élaboration, les services de l'État, par leur expertise, ayant largement contribué à l'enrichir. Le préfet animait les réunions. Nous étions organisés en sept ateliers, correspondant aux sept têtes de chapitre du document, chacun dirigé par une personnalité : parlementaire, président du conseil économique, social et environnemental, président de l'association des maires ou président du conseil général. En décembre 2014 nous avons abouti à une synthèse réalisée par le préfet et un stagiaire de l'École nationale d'administration (ENA). Une semaine encore avant la venue du Président de la République dans l'Océan indien, les derniers arbitrages n'étaient pas encore rendus. Au bout de six mois, donc, nous sommes parvenus à des arbitrages très solides car très approfondis et qui, de ce fait, aux yeux de la partie mahoraise, engagent le Gouvernement.

Le document précise le calendrier d'alignement sur le droit commun des dispositions liées au droit du travail et à la sécurité sociale, le code des impôts et certains textes marginaux liés au droit de l'urbanisme et de la domanialité étant déjà pour leur part applicables. Il faut savoir qu'à l'exception des dispositions concernant les emplois d'avenir, aucun des textes votés depuis 2012 relatifs à l'emploi et au travail n'est applicable à Mayotte : leur mise en oeuvre a été renvoyée à des ordonnances qui n'ont jamais été prises. Nous avons beaucoup discuté avec les acteurs économiques et syndicaux pour nous mettre d'accord sur cet alignement sur le droit commun. Nous ne pouvons nous permettre le luxe de voir le département de Mayotte vivre au rythme permanent de tensions syndicales et de manifestations de la population, l'adaptation des lois ne pouvant être fonction de la pression de la rue. Le calendrier que nous avons défini ensemble permet donc aux acteurs sociaux de régler leur agenda social, aux acteurs économiques d'y voir clair dans leur stratégie d'investissement et de développement dans le territoire et aux élus d'être tenus par un cheminement commun évitant une surenchère qui déstabiliserait l'île.

Outre ce volet institutionnel, une très longue discussion a eu lieu sur le volet social. Tous les sujets ont été abordés : enfance, jeunesse, vieillesse… Un atelier a été consacré aux aspects économiques. Nous avons tenu à examiner à fond plusieurs thématiques jamais encore abordées : les services à la personne, le travail dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche. Négliger d'en parler, c'est favoriser l'économie informelle.

Un autre atelier s'est penché sur les questions d'éducation et de formation sur lesquelles les indicateurs restent très préoccupants. J'ai dit à Mme Vallaud-Belkacem que nous n'en étions pas à la refondation de l'école mais bien à sa fondation. Quant à la formation, elle est à développer à tous les niveaux, qu'il s'agisse de la formation initiale ou de la formation continue dans les secteurs privé et public. Nous avons en effet une fonction publique à structurer : les syndicats ne l'envisagent le plus souvent que sous l'angle du statut et de la lutte contre la précarité mais, au regard de l'efficacité de l'action publique, la formation des fonctionnaires est un énorme chantier sur lequel nous devons nous entendre. C'est particulièrement le cas dans le domaine de l'éducation : la formation continue d'au moins un tiers de nos 3 000 instituteurs est un vrai débat.

Un atelier a été consacré à l'aménagement et au logement, domaines où tout reste à faire. Quand j'ai présenté, en commission des lois, un amendement prévoyant un taux de 25 % de logements sociaux, il s'agissait, de manière un peu provocante, de faire prendre conscience que certains objectifs sont dépourvus du moindre rapport avec la réalité chez nous : si nous avions 2 ou 3 % de logements sociaux dans certaines communes, à Mayotte, ce serait déjà bien.

Un chapitre du document porte par ailleurs sur les questions environnementales, de développement durable, sur lesquelles, là encore, malheureusement, Mayotte reste très en retard si on en juge par les progrès réalisés à la Réunion, en Guadeloupe, à la Martinique ou en Guyane.

Le dernier chantier abordé concerne l'intégration du département dans son environnement et touche plus précisément aux questions de sécurité et d'immigration. La teneur des débats de cet atelier n'a pas été restituée dans le document stratégique, l'État considérant que ces sujets relevaient de son action régalienne. Il a par conséquent été souhaité que la démarche de concertation entre les services de l'État et les élus locaux soit, en la matière, conduite différemment. Si le document n'évoque pas ces questions, elles ont été toutefois abordées ici et là, de façon transversale, par les autres ateliers.

Voilà l'esprit du document, la place et le rôle que nous lui donnons. Nous l'avons intitulé « Mayotte 2025 » car, compte tenu des thématiques retenues, nous étions unanimement opposés à l'idée de travailler à échéance de vingt ou vingt-cinq ans. Il fallait offrir une visibilité pour les dix prochaines années, soit l'équivalent de deux contrats de plan État-région (CPER), la durée du CPER étant elle-même peu ou prou égale celle du programme opérationnel européen : 2014-2020. Nous avons ainsi voulu que le document stratégique couvre la durée de deux documents programmatiques, de façon à garantir une certaine visibilité sans risquer de se perdre dans de trop lointains méandres. De surcroît, l'appareil statistique étant encore plus déficient à Mayotte qu'ailleurs, faire des projections au-delà de dix ans reviendrait à spéculer outre mesure.

Tel est, rapidement résumé, ce document stratégique que le Premier ministre a eu l'amabilité de bien vouloir venir signer à Mayotte pour conférer au geste une certaine solennité. Le préfet a immédiatement après engagé le processus de sa mise en oeuvre par le comité de pilotage. Les parlementaires devront, de leur côté, dans leur travail législatif, se sentir aiguillonnés par ce texte qui présente le mérite, je le répète, de mettre sur la table des arbitrages, des réflexions partagées sur les problématiques essentielles concernant Mayotte. Certes, il ne les balaie pas toutes mais il offre d'ores et déjà une grande visibilité à la construction progressive et adaptée de ce département.

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