Intervention de Jean-Claude Fruteau

Réunion du 16 juillet 2015 à 14h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Fruteau, président :

Mes chers collègues, vous m'avez chargé d'une mission d'information sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE). La présentation du rapport était prévue pour maintenant, mais, compte tenu de la décision des autorités gouvernementales de relancer telle ou telle étude préparatoire, il nous est apparu qu'il ne nous appartenait pas d'aller trop vite. La délégation a pour rôle d'inciter, de donner une direction ; encore faut-il disposer des éléments d'appréciation.

La réforme de la CSPE est désormais un sujet d'actualité qui intéresse tout particulièrement les outre-mer qui figurent en effet parmi les bénéficiaires de cette contribution à travers le financement de la péréquation tarifaire au titre des zones dites non interconnectées.

Lors de la précédente réunion de la délégation, au mois de juin, j'ai évoqué les conditions dans lesquelles Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, avait annoncé au Sénat le lancement d'études préliminaires à la réforme, confiées à divers corps d'inspection. À ce jour, ces études n'ont pas été rendues publiques ; il m'a en effet été indiqué qu'elles avaient dû être complétées pour tenir compte de difficultés apparues dans le cours de l'élaboration du premier rapport d'inspection. Je n'ai aucune autre information précise sur le déroulement des délibérations du Gouvernement – qui a pour mission de réfléchir avant d'agir.

Ma démarche, dans cette affaire, est avant tout une démarche de vigilance. Le répit que nous laisse, en quelque sorte, le calendrier des délibérations gouvernementales nous donne le temps, aujourd'hui, si vous le souhaitez, d'aller dans le même sens et d'exprimer la sensibilité collective de la délégation sur la CSPE, chacun restant libre ensuite, naturellement, de son expression politique.

Le premier point sur lequel il me paraît important d'insister est que le problème de la ressource est second par rapport à l'objectif essentiel de toute politique de l'énergie dans nos territoires, qu'ils soient ou non éligibles à la CSPE : assurer l'approvisionnement en énergie électrique des outre-mer dans des conditions sociales et économiques stables et soutenables.

C'était déjà l'objectif poursuivi par la nationalisation des producteurs locaux d'électricité dans les quatre départements d'outre-mer, réalisée par la loi du 11 juillet 1975 – j'ai moi-même connu le moment où l'Énergie électrique de la Réunion (EER) est devenue EDF. La péréquation tarifaire, instrument de la réalisation de l'égalité de traitement, a été à l'époque, sur initiative parlementaire, érigée en norme de droit, alors qu'elle était initialement la seule expression d'une intention politique. Parallèlement, la nationalisation était présentée comme le moyen de l'indispensable modernisation des conditions de production et de distribution de l'énergie électrique dans un système dans lequel EDF, sous statut public, était le bras séculier de l'État.

L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, en 2000, a remis en question ce schéma en conduisant le législateur à faire ressortir, au nom du service public, les charges qui appellent un traitement préférentiel, parce qu'elles correspondent à des nécessités d'intérêt général et ne peuvent pas être financées convenablement dans un cadre concurrentiel. Nous les connaissons : ce sont les aides aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées, dont les outre-mer, et les tarifs sociaux pour les personnes disposant de faibles revenus ou en situation de précarité.

Les tarifs sociaux, outre-mer comme dans l'hexagone, relèvent de la même logique de prestations sociales. L'encouragement aux énergies renouvelables, globalement entendu, traduit la volonté politique de favoriser un certain type d'énergies grâce à un système d'aides spécifiques, subventions, prêts à conditions adaptées, régimes fiscaux dérogatoires, etc., sans lequel ces énergies ne pourraient pas se développer dans les conditions du marché. Quant à la péréquation tarifaire, elle n'est que le moyen de réaliser l'égalité tarifaire dont le principe a été proclamé en 1975 et réitéré en 2000 dans les conditions nouvelles résultant de la réorganisation du secteur de l'électricité.

En 2000, la couverture financière des charges de service public était assurée par un fonds du service public de la production d'électricité alimenté par les producteurs et distributeurs d'électricité. Sauf dans ce dernier cas, la charge du financement ne reposait donc pas sur les consommateurs d'énergie. Depuis la loi du 3 janvier 2003, cette couverture a pour instrument la contribution au service public de l'électricité, mise à la charge des consommateurs d'énergie électrique, entreprises comme particuliers.

Le choix a été fait de réaliser la compensation des charges sans sortir du « champ » de l'électricité. Les outre-mer sont particulièrement sensibles à la relation certaine, « visible », ainsi établie entre la ressource et la dépense qu'elle est appelée à financer, relation qui est perçue, davantage que dans l'hexagone, comme une garantie de pérennité du financement de la péréquation tarifaire.

Ressource sensible pour les outre-mer, la CSPE semble aussi une ressource fragile pour des raisons économiques comme pour des raisons juridiques.

Raisons économiques d'abord : tous les derniers rapports officiels, qu'ils émanent de l'Assemblée – comme celui d'Erika Bareigts et Daniel Fasquelle –, de la Cour des comptes ou de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), pointent l'alourdissement rapide du prélèvement qu'elle représente. Selon la CRE, « le montant total des charges du service public de l'électricité a augmenté de plus de 300 % entre 2003 et 2014, passant de 1,415 milliard d'euros à 6,185 milliards d'euros sur la période ». Pendant la même période, le montant unitaire de contribution au service public de l'électricité été multiplié par 5,5. Selon la CRE, la progression des charges de service public devrait se poursuivre au cours de la période 2014-2025.

Les outre-mer et plus généralement les zones non interconnectées prennent leur part de cette progression mathématique. Cependant, il faut le souligner avec force, l'évolution de la charge de CSPE due aux outre-mer est plus subie que voulue. La consommation d'électricité n'y augmente pas et même diminue ; en revanche, l'augmentation des coûts de production pris en compte pour la péréquation n'est pas due à des imprudences dans les programmes d'énergies renouvelables, comme cela a pu être le cas dans l'hexagone : elle est imputable au coût des décisions d'investissement prises au cours des années qui viennent de s'écouler, qui ont consisté à renouveler des équipements consommateurs d'énergie fossile pour assurer la nécessaire fourniture d'électricité.

Par ailleurs, la CSPE subit les assauts contentieux de diverses associations qui ne visent absolument pas les outre-mer, mais s'en prennent systématiquement au développement de l'éolien industriel et ont réussi à compromettre, en faisant le détour par la réglementation européenne, les recouvrements de CSPE au titre de plusieurs années récentes. Des sociétés redevables agissent de même. De son côté, la Commission européenne a lancé une enquête sur la conformité au droit communautaire des exonérations accordées aux entreprises grosses consommatrices d'électricité, dont les résultats ne sont pas encore connus.

Les outre-mer, j'y insiste, ne sont aucunement à l'origine de ces contentieux et enquêtes. Mais bien évidemment, un éventuel affaiblissement de la CSPE leur porterait gravement préjudice.

Poser la question de la réforme de la CSPE dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la transition énergétique conduit à réfléchir aux bases de cette réforme elle-même. Cela permet en effet de rappeler que la CSPE n'est pas une fin en soi, mais qu'elle est l'instrument d'un ensemble de politiques liées à l'énergie, parmi lesquelles les actions en vue de l'accroissement du recours aux énergies renouvelables (EnR). Mais si ces actions sont essentielles, elles sont complexes à réaliser dans les outre-mer où le recours aux énergies fossiles, héritage du passé, reste important. L'objectif est bien d'assurer aux habitants, comme aux entreprises et aux collectivités des outre-mer, l'accès à l'électricité dans des conditions de production et de distribution pour lesquelles il faut reconsidérer les critères d'appréciation au regard de la prise en compte des préoccupations de transition énergétique.

La réalisation de cet objectif se trouve entravée par des raisons objectives, parmi lesquelles figure en premier lieu l'isolement naturel des territoires d'outre-mer qui doivent, le plus souvent, trouver en eux-mêmes les voies d'une certaine transition vers les énergies renouvelables. Il y a urgence, au regard des orientations nouvelles de la politique énergétique, à sortir d'une situation où la part des énergies fossiles outre-mer n'est jamais inférieure à 82 % et où, pourtant, les coupures et délestages sont au minimum trois fois plus importants que ceux pratiqués dans l'Hexagone. Il a bien fallu organiser, voilà dix ans, le remplacement des centrales thermiques obsolètes par de nouveaux équipements de même nature, peu en harmonie aujourd'hui avec la notion de transition énergétique, pour répondre aux besoins des populations et des entreprises ; mais cela n'est pas allé sans inconvénients au regard de la transition énergétique.

Le développement de solutions alternatives est hors de portée des ressources propres d'investisseurs privés, faute de rentabilité immédiate suffisante, et l'on peut s'interroger sur la capacité du groupe EDF, dans la conjoncture actuelle, à porter un changement massif en rupture avec ses décisions d'investissement les plus récentes. En outre, le mode de calcul de la péréquation opérée via la CSPE, dont la Commission de régulation de l'énergie est responsable, ne peut se fonder, en droit positif, que sur des critères purement économiques.

Comme l'a rappelé notre collègue Serge Letchimy dans son rapport présenté au nom de notre Délégation sur le projet de loi relatif à la transition énergétique, des solutions alternatives sont disponibles dans les outre-mer : l'énergie photovoltaïque, mais aussi l'éolien, la biomasse, la géothermie. Le choix entre ces diverses solutions doit résulter d'une analyse fine des ressources et des besoins locaux. Le projet de loi sur la transition énergétique a insisté, à très juste titre, sur le recours dans six de nos territoires à une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) individualisée, et les procédures correspondantes sont déjà en cours.

Des mesures ponctuelles pourraient accompagner cette formulation globale, associant définition des actions à entreprendre et évaluation des besoins correspondants. Je pense notamment à la remise en cause, qui me paraît à la fois possible et indispensable, de la disposition réglementaire permettant de déconnecter du réseau les installations de production intermittente dès que la puissance produite par celles-ci dépasse 30 % de la puissance produite sur le réseau. Selon une réponse que m'a faite le ministère, un réaménagement de la règle serait envisagé.

Comment traduire, dans la modification éventuelle des sources de financement, la prise en compte inévitable des pesanteurs du passé en même temps que la nécessité d'innover dans le sens de la transition énergétique ?

Une première voie de réforme pourrait être de rendre le mode de calcul de la CSPE plus « vertueux » au regard des impératifs de la transition énergétique, en s'écartant du strict cadre actuel de la comparaison immédiate des coûts. Il n'en resterait pas moins nécessaire de prendre en compte l'héritage du passé, sauf à accroître encore la part de la compensation effectivement laissée à la charge d'EDF en raison de l'écart constaté entre les bases prévisionnelles et le réalisé des éléments retenus pour son calcul.

Une autre voie pourrait consister à établir une distinction entre ce qui relève de la prise en compte du passé et ce qui relève d'actions innovantes pour la mise en place des énergies renouvelables. On sortirait alors du lien intégral entre ressource et charge qui caractérise la CSPE.

Mais dans ces conditions, faudrait-il envisager un retour au financement par le budget général pour tout ou partie des charges de service public qui ne relèverait pas de l'innovation en énergies renouvelables ?

Le recours à la PPE, éventuellement articulé avec l'exercice de compétences propres en matière énergétique par les régions d'outre-mer, suffit-il à garantir la correcte prise en compte des besoins de politique énergétique des outre-mer ?

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