Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui pour la lecture définitive du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dont nous avons débattu la semaine dernière.
Vous le savez, le Sénat a rejeté, avec les autres dispositions de ce texte, celles que vous aviez adoptées concernant la transmission d’informations entre la justice et les administrations. Pour expliquer ce rejet ont été avancés à la fois la précipitation, le caractère général des dispositions, l’atteinte portée à la présomption d’innocence ou encore le transfert de la responsabilité des mesures préventives de l’autorité judiciaire vers les autorités administratives.
Soyons clairs. Avec la garde des sceaux, nous assumons d’avoir agi rapidement, mais en aucun cas dans une quelconque forme de précipitation. Les dysfonctionnements révélés à la fin d’avril par les inspections générales de nos ministères respectifs nous sont apparus à ce point graves et systémiques que nous nous devions d’agir rapidement et de soumettre au Parlement un dispositif complet permettant d’apporter une réponse aux familles, mais aussi de donner aux professionnels des solutions.
Ce dispositif, que vous validerez je l’espère, n’est pas une réponse de circonstance. Il n’est pas non plus formel, coupé des réalités. Au contraire, ce sera le premier à être construit pour donner aux professionnels un cadre sécurisé pour la transformation d’informations entre la justice et les administrations, pour des infractions concernant des personnes exerçant auprès de mineurs.
Les actes de pédophilie ne sont pas nouveaux. Mais après vingt-deux circulaires, depuis 1813, demandant à la justice de transmettre à l’éducation nationale les informations qui y sont relatives, nous ne pouvions nous contenter cette année d’en rédiger une vingt-troisième.
Ce n’est pas que rien n’ait été fait en deux cents ans. Mais collectivement, nous tolérions d’en rester à un cadre incertain : incertain pour les magistrats, appelés à agir sans que la loi ne les ait autorisés à transmettre des informations couvertes par le secret de l’instruction ; incertain pour les administrations, informées par la rumeur, la presse ou une indiscrétion. Les situations sont beaucoup trop sensibles pour que l’on puisse accepter de maintenir un tel flou.
Refuser un cadre légal clair et précis n’était pas sans conséquences. On ouvrait ainsi des failles aux prédateurs sexuels, dont on sait qu’ils recherchent les contextes professionnels dans lesquels ils peuvent côtoyer des enfants. On s’interdisait aussi d’imposer aux agents de terrain des procédures claires.
La volonté politique de traiter ce problème dans sa globalité ne s’exprimait pas. Vous avez aujourd’hui la possibilité, par votre vote, d’établir enfin par la loi ce qui était jusque-là le fruit d’appréciations inégales sur le territoire, de nous donner les moyens d’agir et de répondre à la demande des professionnels.
Ce n’est pas un blanc-seing. Voilà un mois, jour pour jour, que nous avons engagé ce débat. Le texte, nous le reconnaissons tous, a bien évolué grâce au travail de votre rapporteur, que je remercie pour sa détermination et le compromis qu’il a su forger.
Ce compromis permettra d’éviter que des agents condamnés ou mis en examen pour des délits ou crimes sexuels sur mineurs puissent continuer, sans que cela soit connu de leur employeur, à être quotidiennement au contact d’élèves dont ils sont censés, d’après le référentiel métier de l’éducation nationale, « garantir la sécurité, la sûreté et le bien-être ».
Ce ne sont pas des cas isolés. Mes services m’ont fait part de plus de 400 situations qui ont donné lieu entre 2012 et 2014 à des échanges entre la justice et l’éducation nationale. Des liens existent donc, certes, mais ils étaient jusque-là aléatoires. Les affaires tragiques de Villefontaine et d’Orgères nous ont montré combien les prédateurs usent de ces failles.
Notre objectif est de les empêcher de nuire aux enfants. Cela ne signifie pas que nous devions agir sans discernement, dès qu’une rumeur se propage. Les amendements du rapporteur ont d’ailleurs permis de renforcer sensiblement les droits et les garanties apportées à la personne mise en cause.
Avec la garde des sceaux, nous avons eu à chaque instant de nos travaux le souci de conjuguer la meilleure protection possible des publics vulnérables et le respect de la présomption d’innocence. À cet égard, vous avez prévu que l’information apportée à l’administration sera régie par le secret professionnel et que la personne mise en cause sera systématiquement informée de la transmission d’informations à son employeur.
Je rappelle que l’obligation de signalement concernant les professionnels travaillant au contact de mineurs est limitée aux situations où l’intéressé est condamné ou placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’exercer. Par ailleurs, elle ne peut être relative qu’aux infractions limitativement énumérées, de nature sexuelle ou violentes. La transmission d’information n’est évoquée dès le stade de la garde à vue que lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’intéressé, moyennant le recueil des observations de la personne concernée.
L’ensemble de ces garanties étaient utiles pour trouver un équilibre qui ne fasse pas prévaloir une sorte de principe de précaution sur la présomption d’innocence. Je n’ignore pas que le Sénat conteste cet équilibre et que, pour ce motif, il s’est refusé à débattre sur le fond du texte. Vous vous êtes livrés à cet exercice et, grâce à vous, nous avons progressé.
Mesdames et messieurs les députés, si vous adoptez ce texte, nous ne tarderons pas à l’appliquer. Sur le terrain, la quasi-totalité des futurs « référents justice » de mon ministère ont été identifiés et pourront être nommés dès la rentrée scolaire. Avec le concours du ministère de la justice, nous les formerons pour agir et mettre en place un nouveau partenariat.
Ce partenariat sera d’ailleurs bénéfique aussi pour d’autres sujets que la pédophilie. Les différents rapports et missions de vos commissions ont en effet montré que des améliorations importantes pouvaient être apportées, en particulier dans le domaine de la protection de l’enfance.
En votant en faveur de ce projet de loi, vous nous accorderez votre confiance afin que nous puissions, avec la garde des sceaux, changer vraiment les choses. Les inspections générales, que nous avions mandatées sur les affaires de Villefontaine et d’Orgères, nous invitaient à le faire ; les parents d’élèves nous pressent également d’agir. Je vous remercie donc par avance de votre vote et de votre confiance.