Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 22 juillet 2015 à 21h30
Commission des affaires économiques

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

Il est essentiel que des responsables professionnels s'interrogent sur les évolutions nécessaires du modèle français et sur les enjeux de moyen et de long terme. Quels sont nos atouts pour réussir à conserver des exploitations agricoles dans leur diversité ? La question que pose la ferme des mille vaches – et elles peuvent bien être deux mille ou dix mille –, c'est de savoir si ce modèle est plus compétitif que les autres. Si c'est le cas, on pourra toujours dire ce que l'on voudra : un jour ou l'autre, il s'imposera. M. André Chassaigne va protester, mais l'économie finira par gagner.

Je ferai des propositions la semaine prochaine. Notre modèle porcin, par exemple, n'est intégré ni par l'aval ni par l'amont. Il se situe entre le modèle espagnol, dont la filière est parfaitement organisée, et les filières nordiques intégrées et structurées en amont par trois ou quatre coopératives. Notre modèle familial a-t-il un avenir ? Je le pense. Dans les modèles industriels, toute l'alimentation vient de l'extérieur. Or le porc, c'est 60 % d'aliments. Notre stratégie doit donc consister à utiliser notre foncier et nos capacités de production fourragère, et à les gérer plus collectivement, sans avoir peur de passer à de plus grandes échelles. Si l'on veut tout ramener à des exploitations de vingt ou cinquante hectares, on n'y arrivera pas. Quinze groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) ont été mis en place par des exploitants agricoles, qui gèrent en partie l'approvisionnement fourrager. C'est là un axe stratégique que doivent notamment adopter les grandes régions de l'ouest de la France où la production hors-sol est extrêmement développée. Voilà ce qu'il faut organiser ! Ce sont de telles conditions qui permettront aux ateliers et aux groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) de subsister, dans un système aussi performant et plus résilient qu'un système industriel dépendant de son environnement, très sensible aux aléas et qui, de plus, nécessite un très important investissement en capital.

Au-delà de l'entente à trois, la contractualisation est nécessaire pour réorganiser la commercialisation de la production. Il s'agit de ne pas rater les stratégies structurantes de valorisation de la production agricole. Les salaisonniers constatent, par exemple, que notre industrie valorise moins bien le cochon que l'industrie espagnole. Même si le prix payé au producteur est plus élevé en Espagne qu'en France, c'est la stratégie d'organisation de filière qui rend l'industrie espagnole plus performante. Cela doit inciter à se poser des questions. Puisque personne ne se rencontre, j'ai décidé de convoquer une réunion au ministère de l'agriculture, en ma présence, pour engager les discussions sur les questions de contractualisation. Nous allons, en particulier, expertiser la relation entre un groupement de producteurs et Herta, examiner des solutions intégrant la gestion d'une part de la volatilité des prix. Chacun doit s'y retrouver et le producteur doit avoir la capacité de planifier le revenu qu'il tirera de sa production.

Cela vaut aussi pour la contractualisation laitière : nous sommes les seuls dans toute l'Europe à avoir des contrats garantissant une durée de collecte de cinq ans mais pas le prix. Le problème, c'est que vous pouvez finir par livrer votre lait à un prix qui ne rémunère pas le capital et le travail engagés : c'est ce qui se produit aujourd'hui. Il faut donc regarder ce qu'il est possible de faire sur les contrats laitiers, dans une perspective d'avenir. Ainsi, derrière des mesures qui peuvent sembler conjoncturelles, le plan traite les aspects structurels.

C'est dans le secteur de la viande bovine que les évolutions sont les plus difficiles et les plus nécessaires. Aujourd'hui, la production est extraordinairement dispersée en termes de races. On ne peut que respecter la passion des éleveurs qui viennent présenter leurs bêtes au salon de l'agriculture, mais il faut que cette diversité trouve un débouché auprès des consommateurs. Si ces questions ne sont pas posées, si les professionnels ne s'organisent pas pour traiter ces sujets structurants, les problèmes ne seront pas résolus.

Les commerçants ne vont évidemment pas aborder seuls ces questions : il faut les traiter avec eux. La consommation de la viande bovine a, par exemple, évolué : le steak haché représente aujourd'hui 50 % de la consommation de viande. Nous continuerons à défendre le steak frites et l'entrecôte, mais la réalité est là, qui bouleverse notre organisation. Alors que seule la vache laitière de réforme était destinée à cette production, la demande en steak haché est telle qu'on y a ajouté les vaches allaitantes. Or au coût de production du modèle allaitant, les agriculteurs ne peuvent pas s'y retrouver. Voilà un problème à gérer à court terme mais, pour pérenniser le système, il faut y réfléchir dans une perspective de moyen et de long terme.

Comment retrouver notre place et notre compétitivité ? Des importations, il y en aura toujours, mais nous ne pouvons pas continuer à régresser. Depuis sept ou huit ans, la production porcine a perdu plus de 10 %, et le mouvement se poursuit : nous produisons environ 20 millions de porcs quand nous en produisions 28 ou 29 millions il y a moins de dix ans. Pendant la même période, l'Espagne est passée d'une production de 15 à 40 millions de porcs, et l'Allemagne de 35 à 55 millions. Laissons les Allemands produire les porcs que nous mangeons, peuvent se dire certains – pas de porcs, pas de problèmes ! On ne peut pas accepter cela, aussi faut-il se structurer, jouer sur nos atouts.

Le ministère de l'agriculture a publié un guide pratique intitulé Favoriser l'approvisionnement local et de qualité en restauration collective. Je pars toujours du principe que nous devons inciter les acteurs à agir. Les collectivités locales se plaignaient que le système des marchés publics les empêche d'acheter local. En nous appuyant sur un travail effectué par la direction régionale de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt de Rhône-Alpes en 2010, que nous avons actualisé, nous montrons qu'il est possible d'acheter local dans le respect des marchés publics. Emmanuel Macron a présenté ce matin une ordonnance qui modifiera directement les règles des marchés publics pour indiquer comment faire pour acheter local. L'État et Bercy se sont également engagés à revoir tous les contrats passés par les administrations de l'État sur la base de l'achat local.

Les collectivités locales doivent aussi le faire, et c'est le cas dans nombre d'endroits. Aux élus de tout niveau de prendre maintenant leurs responsabilités ! Rien ne sert de venir se plaindre au ministre si les responsables locaux ne font pas avancer les choses avec les outils qu'on leur donne. Les cantines peuvent parfaitement acheter bio, et cela depuis près de deux ans. Je n'ai pas attendu la crise pour comprendre qu'il fallait développer cet usage. Mais alors que nous étions là en mode incitatif, nous avons décidé, pour l'État, de passer au mode de l'injonction.

Bien évidemment, le CICE fonctionne pour la production agricole ; 1,6 milliard d'euros lui est consacré. Le producteur de porcs en hors-sol du Calvados que j'ai vu hier et qui emploie trois salariés en bénéficie bien. Il est vrai, cependant, que la plupart des exploitations porcines et bovines qui emploient des salariés n'utilisent pas le CICE par manque d'information. Pourtant, aujourd'hui, l'accès au dispositif n'est plus compliqué et cela fonctionne – sauf pour les coopératives, qui ne payant pas l'impôt sur les sociétés, ne peuvent pas en bénéficier. Ces possibilités données aux professionnels, les éleveurs doivent s'en saisir car derrière, il y a de l'emploi.

J'ai bien compris qu'il était indispensable de recaler le dispositif du fonds d'allégement des charges financières des agriculteurs pour assouplir les critères afin qu'il bénéficie à davantage de monde. Ce sera fait.

Nous mobiliserons immédiatement le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) pour faire face à la sécheresse.

Quant à la PAC, quand il s'agit de négocier à vingt-huit pays une réforme qui engage la bagatelle de 36 ou 37 milliards d'euros à l'échelle européenne, les discussions ne sont pas faciles et il faut du temps. Nous venons de le faire, et ce n'est donc pas moi qui négocierai la prochaine réforme de la PAC. Dans mon esprit, une part de l'aide actuelle pourrait être utilisée pour élaborer un système assurantiel. Même sans budget européen propre, la France, les professionnels et les responsables politiques peuvent décider d'y consacrer une partie du premier pilier. Cette année, par exemple, 200 millions d'euros sur cinq ans ont été consacrés à l'investissement dans les bâtiments d'élevage à travers les plans pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles (PCAE), une autre fois, ils pourraient aller dans ce système assurantiel. Le débat est ouvert ; il sera tranché par mes successeurs.

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