Intervention de Miroslav Cerar

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Miroslav Cerar, Premier ministre de la République de Slovénie :

(Interprétation). C'est un honneur pour moi de vous parler de mon pays, la Slovénie, qui entretient avec la France les meilleures relations. Notre pays compte deux millions d'habitants. C'est un pays petit par la taille mais grand par l'esprit et le coeur, comme l'Histoire l'a montré. La nation slovène, bien qu'elle ait été soumise au fil des ans à différentes forces étrangères, a maintenu son identité et aussi sa langue – pilier de sa culture, vous le savez bien. En 1991, la volonté et l'union nationale ont permis à la Slovénie d'accéder à l'indépendance, envers et contre tous. J'ai le vif souvenir d'une discussion, une semaine avant la proclamation de notre indépendance, avec l'ambassadeur des États-Unis, alors que j'étais secrétaire de la commission chargée d'élaborer notre nouvelle Constitution : il nous a dit que les États-Unis feraient tout pour que la Slovénie ne soit pas reconnue comme un État indépendant et qu'en conséquence, ce n'était pas la peine d'essayer. Nous y sommes pourtant parvenus, nous avons fondé notre indépendance sur des bases légales solides et nous avons été reconnus par les États européens d'abord, par les autres pays ensuite.

Au début des années 1990, la Slovénie a connu de grands succès sur le plan économique : c'était, de tous les pays en transition, celui qui avait les meilleurs résultats. Toutefois, nous manquions d'expérience, de mauvaises pratiques ont vu le jour, et lorsque la crise financière mondiale a éclaté, en 2008-2009, nous touchant de plein fouet, elle a dévoilé les erreurs que nous avions commises et nous nous sommes alors trouvés dans une crise sociale, économique et financière de grande ampleur. Au cours des dernières années, elle s'est doublée d'une crise politique prolongée, qui s'est traduite par des changements répétés de gouvernements avant leur terme naturel.

Cette crise protéiforme traduit une crise de valeurs. Notre échec tient à ce que nous avons permis à la corruption de gagner du terrain, à ce que nous n'avons pas pris au sérieux les règles de l'Etat de droit, à ce que nous n'avons pas suffisamment développé nos institutions et à ce que nous avons adopté de mauvaises pratiques économiques. Tout cela a conduit à une crise assez grave dont la Slovénie est en train de sortir grâce à l'action du Gouvernement que je dirige. Aussi, M. Karl Erjavec, ministre des affaires étrangères, et moi-même nous attachons à démontrer que l'économie slovène est sur la voie de la consolidation financière, qui sera elle-même suivie de réformes structurelles. Nous prévoyons en effet de réformer nos systèmes de retraite et de santé et de rationnaliser l'administration publique. Surtout, nous entendons parvenir à une bonne gouvernance, tant publique que privée. Dans cette optique, mon Gouvernement a, le premier, décidé de critères précis pour améliorer la gestion de l'État, qui conservera la majorité du capital de certaines entreprises publiques stratégiques et en cédera entièrement d'autres. Toutes les privatisations décidées en 2013 auront lieu ; la semaine dernière encore, la banque NKBM a été vendue à un fonds d'investissement américain. J'espère qu'au nombre des entreprises étrangères qui investiront en Slovénie on comptera des sociétés françaises souhaitant profiter des progrès de l'Etat de droit et de l'environnement administratif plus favorable aux entreprises que nous sommes en train de définir.

Je suis partisan de la continuité, qui demande, pour commencer, la stabilité politique. Le Gouvernement que je dirige ne considère pas par principe que tout ce qu'ont fait les gouvernements précédents, ayant été mal fait, doit être défait ; pour autant, nous voulons procéder aux réformes indispensables, et à des changements radicaux lorsqu'ils sont nécessaires. C'est cet équilibre assez fragile que nous voulons atteindre pour favoriser la croissance économique de notre pays.

La Slovénie a connu en 2014 une croissance de 2,6 % ; pour 2015, nous tablons sur une croissance de 2 %. Le ministre des finances escompte un déficit public inférieur à 3 % en 2015. J'espère que « la règle d'or » relative au déficit public sera incluse dans la Constitution dans les semaines à venir. J'ai bon espoir qu'à l'horizon de deux ou trois ans, ces dispositions nous ouvriront une nouvelle perspective, celle d'un développement durable, attrayant pour les investisseurs étrangers.

J'en viens à la situation internationale. D'évidence, la préoccupation principale actuelle de l'Union européenne est la dette de la Grèce. À mon avis, nous dépensons trop d'énergie pour ce pays. Certes, la situation de la Grèce mérite de l'attention, mais ni la réunion des ministres des finances de l'Eurogroupe qui a eu lieu hier, ni le sommet des chefs d'État et de gouvernement qui a suivi n'étaient vraiment nécessaires ; néanmoins, nous sommes arrivés à la conclusion que l'on parviendrait peut-être, dimanche, à un accord constructif. La Slovénie reste solidaire du peuple grec, dont elle sait la situation difficile, mais trouver une solution demandera que l'on résolve une équation très complexe. Lorsqu'il a fallu apporter à la République hellénique un soutien financier, la Slovénie a participé à l'effort commun, en garanties et en prêts, à hauteur de 3,2 % de son PIB – alors même que nous étions plus pauvres que le pays auquel nous venions ainsi en aide. La Slovénie étant l'un des pays les plus exposés à un défaut de la Grèce, nous avons toute légitimité pour demander au gouvernement grec de se montrer responsable, et nous considérons qu'il ne l'est pas vraiment.

Après toutes ces négociations, après toutes ces aides, après tout le soutien apporté à la Grèce, organiser un référendum sans prévenir de cette intention les partenaires européens dont on a rejeté les propositions, alors même que la durée prévue pour organiser la consultation est insuffisante pour informer le peuple grec correctement, c'est se livrer à une sorte de manipulation. C'est pourquoi la Slovénie, les autres membres de l'Eurogroupe et les États de l'Union européenne dans leur ensemble ont perdu un peu de leur confiance en la Grèce. C'était perceptible hier, et le Gouvernement grec a été instamment appelé à ne pas se comporter de manière irresponsable.

Le « Grexit » est désormais une possibilité réelle et la Commission européenne se prépare à cette option aussi. Dimanche prochain, la Grèce se doit de présenter un programme convaincant aux institutions européennes, aux ministres de l'Eurogroupe et aux chefs d'État et de gouvernement. Si une décision n'est pas enfin prise dimanche prochaine, je serai très déçu. Des négociations assez futiles et vaines traînent en longueur depuis des mois et il est insensé que nous dépensions ainsi notre énergie pour des choses qui ne sont pas, ou qui ne sont plus, réalistes. Mais je crains que le Gouvernement grec présente un train de réformes structurelles qui, parce qu'il est convaincant sur le papier, serait accepté par les autres membres de la zone euro alors que la capacité de la Grèce à réaliser effectivement un tel programme est douteuse. J'aimerais être agréablement surpris, et il est possible que la Grèce reste au sein de l'Eurogroupe, mais je suis sceptique. Dans tous les cas, je suis de ceux qui se prononceront en faveur d'une solution rapide.

Bien entendu, la position géostratégique de la Grèce est importante, mais je ne lie pas l'appartenance de la Grèce à l'Union européenne et son appartenance à la zone euro. La Grèce est membre de la famille européenne et doit le rester, et la Slovénie restera solidaire des Grecs et soutiendra une aide humanitaire, mais elle n'appuiera le programme de réforme grec que s'il est réaliste.

Enfin, chacun sait qu'agiter l'idée d'un « ennemi extérieur » sert à ce qu'une population fasse bloc. Mais si ce procédé peut renforcer temporairement les partis populistes, il n'a que des résultats désastreux à long terme, le peuple devenant passif et perdant tout élan, toute dynamique pour avancer. Nous ne considérons nullement la Grèce comme un ennemi ; nous jugeons que la situation actuelle est mauvaise et pour elle et pour nous. Aucun État membre de l'Union européenne ne doit fonder sa politique intérieure sur la notion d'« ennemi extérieur » – Bruxelles, en l'occurrence. Pour ce qui la concerne, la Slovénie est consciente que l'appartenance à l'Union lui impose des règles, et elle est reconnaissante à la Commission européenne de ses recommandations ; tout cela nous aide à progresser vers la sortie de crise. Nous savons que les restrictions auxquelles nous nous soumettons et nos efforts financiers tendent au redressement de notre économie : ils nous sont nécessaires à nous, Slovènes, ils ne sont pas destinés à satisfaire un prétendu « ennemi extérieur ».

Dans un autre domaine, les pays membres de l'Union européenne doivent avoir la même approche à l'égard de la Russie et des autres pays. Dernièrement, l'Union a adopté une position commune sur l'Ukraine, la lutte contre le terrorisme et certains autres défis politiques et sécuritaires auxquels nous sommes confrontés. C'est positif, car seule une Europe unie peut trouver une solution à ces problèmes. Bien sûr, il y aura toujours des divergences entre nous, mais nous devons en discuter franchement pour trouver les bonnes réponses. Mais fonder l'Union uniquement sur la lutte contre le terrorisme ou sur les sanctions imposées à la Russie serait une erreur. Nous devons nous concentrer sur les thèmes qui nous sont communs : l'achèvement du marché intérieur, la compétitivité de l'économie européenne, la manière de répondre aux propositions de réforme de M. Cameron et la méthode propre à régler le problème des migrations.

La Slovénie est bien entendu favorable à la lutte contre le terrorisme. Notre pays joue un rôle constructif dans l'espace Schengen, dont elle est un point d'entrée. Elle est partie aux coalitions internationales qui se sont formées pour lutter contre le terrorisme, et y intervient principalement dans des domaines autres que militaire. Mais, comme lorsqu'il s'agit de combattre l'alcoolisme, le trafic de stupéfiants ou la criminalité organisée, on ne doit jamais penser acquise la victoire contre le terrorisme : l'hydre a plusieurs têtes, comme on le voit avec Daesh. Il ne faut pas s'en tenir à la seule approche militaire, et favoriser aussi des méthodes pacifiques: le dialogue, l'éducation et la promotion des droits et des libertés. La réunion à Paris d'une multitude de chefs d'État et de gouvernement, au début de l'année, après la tragédie de l'attentat contre Charlie Hebdo, a témoigné de ce que nous nous opposons tous, fermement, aux agressions terroristes et aux atteintes aux droits et aux libertés. C'est d'une importance particulière alors que, dans trois jours, nous commémorerons le génocide dont les Bosniaques ont été victimes à Srebrenica. Il y a deux décennies, l'Union européenne et la communauté internationale ont échoué à prévenir ce massacre – même si, à l'époque, certains, tels le général Morillon, s'y sont efforcés.

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