Audition de M. Miro Cerar, premier ministre de la République de Slovénie
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
Nous avons le plaisir et l'honneur de recevoir M. Miroslav Cerar, Premier ministre de la République de Slovénie. Il est accompagné de M. Karl Erjavec, ministre des affaires étrangères, de M. Janez Lenarčič, secrétaire d'État, et de Mme Veronika Stabej qui quittera bientôt ses fonctions d'ambassadrice de Slovénie en France après avoir beaucoup fait pour que les relations entre nos deux pays soient encore meilleures que par le passé. Je salue également la présence de M. Pierre-François Mourier, ambassadeur de France en Slovénie.
Monsieur le Premier ministre, vous avez été porté au pouvoir par les élections législatives anticipées du 13 juillet 2014. Avec près de 35 % des voix et 36 sièges sur 90, le parti que vous aviez créé quelques semaines plus tôt a obtenu une très nette victoire. Vous avez réussi à constituer une majorité stable au Parlement avec une coalition associant le Parti démocrate des retraités slovènes et les Sociaux-démocrates, parti du président de la République Borut Pahor, que nous avions eu le privilège de recevoir en avril 2013, à un moment où la situation financière de la Slovénie était très préoccupante.
Outre qu'il est pour nous particulièrement intéressant de vous entendre au lendemain d'un Conseil européen qui n'a pas produit de grands résultats, nos deux pays jugent utile de renforcer le partenariat stratégique que nous avons signé en mars 2011 pour appréhender ensemble les défis auxquels l'Union européenne est confrontée – des défis de nature politique et géopolitique bien plus qu'économique. J'en mentionnerai deux.
Le premier est évidemment l'avenir de l'Union européenne et de la zone euro. La Slovénie a dû faire face, sous l'oeil des marchés, à la dégradation de sa situation économique et financière. Vous nous direz où en est le programme de réformes et d'assainissement du secteur bancaire que vous avez engagé. Vous nous direz aussi quel regard vous portez sur la situation de la Grèce et sur le choix des électeurs grecs, et comment vous envisagez que l'on puisse sortir de cette crise de manière constructive, si possible par le haut – vous-même aviez fait campagne, en 2014, contre le programme de privatisation demandé par l'Union européenne. Quelles peuvent être les répercussions de la crise grecque sur les taux d'intérêt de votre dette nationale ? Nous savons que la tragédie de la Grèce est une responsabilité commune ; la France et l'Allemagne plaident pour une intégration européenne accrue qui en tire les conséquences. Quelle est votre position sur l'évolution nécessaire de la zone euro et de l'Union européenne, sur celle du Royaume-Uni, également engagé dans un processus référendaire, et sur le mode de fonctionnement d'une Union européenne à la fois différenciée et plus intégrée ?
Les évolutions en cours aux frontières extérieures de l'Union européenne sont un autre défi. Là encore, c'est la capacité collective à faire face aux difficultés dans l'unité qui est posée. Trois dossiers au moins requièrent une mobilisation vigilante, dans la responsabilité et la solidarité : la politique à l'égard de l'Ukraine et de la Russie – la Slovénie ayant toujours manifesté son attachement à la politique de voisinage ; la lutte contre le terrorisme, qui impose de renforcer notre coopération et d'être présents sur les théâtres extérieurs ; la réponse aux migrations massives et au trafic d'êtres humains.
(Interprétation). C'est un honneur pour moi de vous parler de mon pays, la Slovénie, qui entretient avec la France les meilleures relations. Notre pays compte deux millions d'habitants. C'est un pays petit par la taille mais grand par l'esprit et le coeur, comme l'Histoire l'a montré. La nation slovène, bien qu'elle ait été soumise au fil des ans à différentes forces étrangères, a maintenu son identité et aussi sa langue – pilier de sa culture, vous le savez bien. En 1991, la volonté et l'union nationale ont permis à la Slovénie d'accéder à l'indépendance, envers et contre tous. J'ai le vif souvenir d'une discussion, une semaine avant la proclamation de notre indépendance, avec l'ambassadeur des États-Unis, alors que j'étais secrétaire de la commission chargée d'élaborer notre nouvelle Constitution : il nous a dit que les États-Unis feraient tout pour que la Slovénie ne soit pas reconnue comme un État indépendant et qu'en conséquence, ce n'était pas la peine d'essayer. Nous y sommes pourtant parvenus, nous avons fondé notre indépendance sur des bases légales solides et nous avons été reconnus par les États européens d'abord, par les autres pays ensuite.
Au début des années 1990, la Slovénie a connu de grands succès sur le plan économique : c'était, de tous les pays en transition, celui qui avait les meilleurs résultats. Toutefois, nous manquions d'expérience, de mauvaises pratiques ont vu le jour, et lorsque la crise financière mondiale a éclaté, en 2008-2009, nous touchant de plein fouet, elle a dévoilé les erreurs que nous avions commises et nous nous sommes alors trouvés dans une crise sociale, économique et financière de grande ampleur. Au cours des dernières années, elle s'est doublée d'une crise politique prolongée, qui s'est traduite par des changements répétés de gouvernements avant leur terme naturel.
Cette crise protéiforme traduit une crise de valeurs. Notre échec tient à ce que nous avons permis à la corruption de gagner du terrain, à ce que nous n'avons pas pris au sérieux les règles de l'Etat de droit, à ce que nous n'avons pas suffisamment développé nos institutions et à ce que nous avons adopté de mauvaises pratiques économiques. Tout cela a conduit à une crise assez grave dont la Slovénie est en train de sortir grâce à l'action du Gouvernement que je dirige. Aussi, M. Karl Erjavec, ministre des affaires étrangères, et moi-même nous attachons à démontrer que l'économie slovène est sur la voie de la consolidation financière, qui sera elle-même suivie de réformes structurelles. Nous prévoyons en effet de réformer nos systèmes de retraite et de santé et de rationnaliser l'administration publique. Surtout, nous entendons parvenir à une bonne gouvernance, tant publique que privée. Dans cette optique, mon Gouvernement a, le premier, décidé de critères précis pour améliorer la gestion de l'État, qui conservera la majorité du capital de certaines entreprises publiques stratégiques et en cédera entièrement d'autres. Toutes les privatisations décidées en 2013 auront lieu ; la semaine dernière encore, la banque NKBM a été vendue à un fonds d'investissement américain. J'espère qu'au nombre des entreprises étrangères qui investiront en Slovénie on comptera des sociétés françaises souhaitant profiter des progrès de l'Etat de droit et de l'environnement administratif plus favorable aux entreprises que nous sommes en train de définir.
Je suis partisan de la continuité, qui demande, pour commencer, la stabilité politique. Le Gouvernement que je dirige ne considère pas par principe que tout ce qu'ont fait les gouvernements précédents, ayant été mal fait, doit être défait ; pour autant, nous voulons procéder aux réformes indispensables, et à des changements radicaux lorsqu'ils sont nécessaires. C'est cet équilibre assez fragile que nous voulons atteindre pour favoriser la croissance économique de notre pays.
La Slovénie a connu en 2014 une croissance de 2,6 % ; pour 2015, nous tablons sur une croissance de 2 %. Le ministre des finances escompte un déficit public inférieur à 3 % en 2015. J'espère que « la règle d'or » relative au déficit public sera incluse dans la Constitution dans les semaines à venir. J'ai bon espoir qu'à l'horizon de deux ou trois ans, ces dispositions nous ouvriront une nouvelle perspective, celle d'un développement durable, attrayant pour les investisseurs étrangers.
J'en viens à la situation internationale. D'évidence, la préoccupation principale actuelle de l'Union européenne est la dette de la Grèce. À mon avis, nous dépensons trop d'énergie pour ce pays. Certes, la situation de la Grèce mérite de l'attention, mais ni la réunion des ministres des finances de l'Eurogroupe qui a eu lieu hier, ni le sommet des chefs d'État et de gouvernement qui a suivi n'étaient vraiment nécessaires ; néanmoins, nous sommes arrivés à la conclusion que l'on parviendrait peut-être, dimanche, à un accord constructif. La Slovénie reste solidaire du peuple grec, dont elle sait la situation difficile, mais trouver une solution demandera que l'on résolve une équation très complexe. Lorsqu'il a fallu apporter à la République hellénique un soutien financier, la Slovénie a participé à l'effort commun, en garanties et en prêts, à hauteur de 3,2 % de son PIB – alors même que nous étions plus pauvres que le pays auquel nous venions ainsi en aide. La Slovénie étant l'un des pays les plus exposés à un défaut de la Grèce, nous avons toute légitimité pour demander au gouvernement grec de se montrer responsable, et nous considérons qu'il ne l'est pas vraiment.
Après toutes ces négociations, après toutes ces aides, après tout le soutien apporté à la Grèce, organiser un référendum sans prévenir de cette intention les partenaires européens dont on a rejeté les propositions, alors même que la durée prévue pour organiser la consultation est insuffisante pour informer le peuple grec correctement, c'est se livrer à une sorte de manipulation. C'est pourquoi la Slovénie, les autres membres de l'Eurogroupe et les États de l'Union européenne dans leur ensemble ont perdu un peu de leur confiance en la Grèce. C'était perceptible hier, et le Gouvernement grec a été instamment appelé à ne pas se comporter de manière irresponsable.
Le « Grexit » est désormais une possibilité réelle et la Commission européenne se prépare à cette option aussi. Dimanche prochain, la Grèce se doit de présenter un programme convaincant aux institutions européennes, aux ministres de l'Eurogroupe et aux chefs d'État et de gouvernement. Si une décision n'est pas enfin prise dimanche prochaine, je serai très déçu. Des négociations assez futiles et vaines traînent en longueur depuis des mois et il est insensé que nous dépensions ainsi notre énergie pour des choses qui ne sont pas, ou qui ne sont plus, réalistes. Mais je crains que le Gouvernement grec présente un train de réformes structurelles qui, parce qu'il est convaincant sur le papier, serait accepté par les autres membres de la zone euro alors que la capacité de la Grèce à réaliser effectivement un tel programme est douteuse. J'aimerais être agréablement surpris, et il est possible que la Grèce reste au sein de l'Eurogroupe, mais je suis sceptique. Dans tous les cas, je suis de ceux qui se prononceront en faveur d'une solution rapide.
Bien entendu, la position géostratégique de la Grèce est importante, mais je ne lie pas l'appartenance de la Grèce à l'Union européenne et son appartenance à la zone euro. La Grèce est membre de la famille européenne et doit le rester, et la Slovénie restera solidaire des Grecs et soutiendra une aide humanitaire, mais elle n'appuiera le programme de réforme grec que s'il est réaliste.
Enfin, chacun sait qu'agiter l'idée d'un « ennemi extérieur » sert à ce qu'une population fasse bloc. Mais si ce procédé peut renforcer temporairement les partis populistes, il n'a que des résultats désastreux à long terme, le peuple devenant passif et perdant tout élan, toute dynamique pour avancer. Nous ne considérons nullement la Grèce comme un ennemi ; nous jugeons que la situation actuelle est mauvaise et pour elle et pour nous. Aucun État membre de l'Union européenne ne doit fonder sa politique intérieure sur la notion d'« ennemi extérieur » – Bruxelles, en l'occurrence. Pour ce qui la concerne, la Slovénie est consciente que l'appartenance à l'Union lui impose des règles, et elle est reconnaissante à la Commission européenne de ses recommandations ; tout cela nous aide à progresser vers la sortie de crise. Nous savons que les restrictions auxquelles nous nous soumettons et nos efforts financiers tendent au redressement de notre économie : ils nous sont nécessaires à nous, Slovènes, ils ne sont pas destinés à satisfaire un prétendu « ennemi extérieur ».
Dans un autre domaine, les pays membres de l'Union européenne doivent avoir la même approche à l'égard de la Russie et des autres pays. Dernièrement, l'Union a adopté une position commune sur l'Ukraine, la lutte contre le terrorisme et certains autres défis politiques et sécuritaires auxquels nous sommes confrontés. C'est positif, car seule une Europe unie peut trouver une solution à ces problèmes. Bien sûr, il y aura toujours des divergences entre nous, mais nous devons en discuter franchement pour trouver les bonnes réponses. Mais fonder l'Union uniquement sur la lutte contre le terrorisme ou sur les sanctions imposées à la Russie serait une erreur. Nous devons nous concentrer sur les thèmes qui nous sont communs : l'achèvement du marché intérieur, la compétitivité de l'économie européenne, la manière de répondre aux propositions de réforme de M. Cameron et la méthode propre à régler le problème des migrations.
La Slovénie est bien entendu favorable à la lutte contre le terrorisme. Notre pays joue un rôle constructif dans l'espace Schengen, dont elle est un point d'entrée. Elle est partie aux coalitions internationales qui se sont formées pour lutter contre le terrorisme, et y intervient principalement dans des domaines autres que militaire. Mais, comme lorsqu'il s'agit de combattre l'alcoolisme, le trafic de stupéfiants ou la criminalité organisée, on ne doit jamais penser acquise la victoire contre le terrorisme : l'hydre a plusieurs têtes, comme on le voit avec Daesh. Il ne faut pas s'en tenir à la seule approche militaire, et favoriser aussi des méthodes pacifiques: le dialogue, l'éducation et la promotion des droits et des libertés. La réunion à Paris d'une multitude de chefs d'État et de gouvernement, au début de l'année, après la tragédie de l'attentat contre Charlie Hebdo, a témoigné de ce que nous nous opposons tous, fermement, aux agressions terroristes et aux atteintes aux droits et aux libertés. C'est d'une importance particulière alors que, dans trois jours, nous commémorerons le génocide dont les Bosniaques ont été victimes à Srebrenica. Il y a deux décennies, l'Union européenne et la communauté internationale ont échoué à prévenir ce massacre – même si, à l'époque, certains, tels le général Morillon, s'y sont efforcés.
La 7e circonscription des Français établis hors de France, dont je suis le député, comprend la Slovénie. J'aimerais, monsieur le Premier ministre, savoir ce que vous pensez de la situation en Macédoine, qui traverse une période politiquement dangereuse, et en Bosnie-Herzégovine, pays qui connaît une période de glacis, les Accords de Dayton ayant permis la paix sans préparer l'avenir. On l'a vu lors du sommet de Brdo, auquel le président Hollande a participé, la Slovénie joue un rôle stabilisateur important dans les Balkans occidentaux ; prend-elle des initiatives pour tenter de trouver des solutions dans ces deux foyers de crise ?
Au regard du rebond de la croissance dans votre pays, entendez-vous maintenir le cap en matière de politique économique ou envisagez-vous des inflexions ? Quels sont les secteurs concernés par les privatisations ?
Enfin, la législation slovène empêche la reconnaissance des établissements enseignant des disciplines non linguistiques dans une autre langue que le slovène. Cette disposition freine le développement de l'école française de Ljubljana. Peut-on espérer une modification de la loi, au bénéfice des enfants slovènes, français ou d'autres nationalités désireux d'apprendre dans cette école ?
Quelle est la position de votre gouvernement sur la demande d'adhésion à l'Union européenne de six États issus de l'ancienne Yougoslavie, dont la Serbie et la Bosnie-Herzégovine ?
Quels secteurs, outre la construction automobile, sont prioritairement concernés par le plan d'action pour le partenariat stratégique signé entre nos deux pays le 23 avril dernier ? Quel est d'autre part le degré d'engagement de la Slovénie dans la préparation de la COP 21 ?
Les propos que vous avez tenus sur la crise de l'euro montrent que la voix des petits États européens qui ont beaucoup contribué au sauvetage de la Grèce mériterait d'être davantage entendue. Vous avez souligné avec justesse l'énergie considérable déployée pour tenter de résoudre la crise grecque. Tous les regards sont braqués sur la Grèce, dont le PIB ne représente que 1,5 % de celui de l'Union européenne, alors qu'une crise financière majeure se profile en Chine, première économie mondiale, où la Bourse de Shanghai a dévissé de 30 % en une semaine. L'ampleur de l'effort consenti par la Slovénie en faveur de la Grèce n'est pas assez connue. De même, il n'est pas assez su en France que le PIB par habitant d'une demi-douzaine de pays européens au moins est inférieur à celui de la Grèce. Je vous remercie aussi d'avoir souligné que les règles qui s'appliquent au sein de la zone euro n'ont pas été fixées dans l'intérêt de l'Allemagne ou d'on ne sait qui mais dans l'intérêt de tous les Etats membres, pour les aider à sortir ensemble de la crise grâce à une meilleure gestion. Enfin, vous avez insisté sur les risques du populisme ; malheureusement, c'est bien au populisme que s'apparentent des coups de poker référendaires qui, en instillant le poison de la défiance dans les relations entre les pays membres, les dressent les uns contre les autres. Je suis reconnaissante à la présidente de notre commission de vous avoir invité. Les Français ont besoin d'entendre d'autres voix, et je sais que vos propos traduisent le sentiment de nombreux pays européens. Je partage votre scepticisme sur la capacité du gouvernement grec, qui a tendance à jouer au poker politique avec l'argent des autres, à trouver une solution négociée de sortie de crise. Je vous remercie de votre franchise avec laquelle vous exprimez des positions justes.
Permettez-moi de rappeler que l'Union ne compte pas de « petits » États mais des États plus ou moins peuplés. Facétieux, M. Jean-Claude Juncker l'avait dit autrement : « Il n'y a que deux grands pays dans l'Union européenne : la Grande-Bretagne et le Grand-Duché »… (Sourires)
Le grand philosophe slovène Slavoj Žižek ne porte pas sur la crise de la zone euro et la situation de la Grèce la même appréciation que vous, monsieur le Premier ministre. Citant Freud, il rappelle que plus on obéit, plus on se sent coupable, et il salue le fait que le peuple grec et son gouvernement se revendiquent innocents d'une partie de la dette accumulée. Ils n'ont pas entièrement tort : outre que la Commission européenne s'est montrée irresponsable en acceptant les comptes publics truqués que lui avaient transmis M. Samaras, nous avons ensuite collectivement renfloué des banques françaises et allemandes irresponsables elles aussi – et l'on demande maintenant des efforts considérables au peuple grec. En réalité, la crise de la zone euro révèle la crise du projet européen. Dans quel domaine – fiscal, social, institutionnel, budgétaire – la Slovénie soutiendrait-elle un projet ambitieux d'intégration européenne renforcée ?
Pensez-vous que la crise grecque puisse remettre en cause du modèle européen dans ses volets économique, politique ou monétaire, ou dans sa capacité à ajuster l'espace Schengen ?
Quelle est la position de la Slovénie sur les flux migratoires vers l'Union européenne ? Que pensez-vous de l'« absence d'Europe » pour trouver une solution à la situation qui perdure en Syrie ?
Je vous remercie d'avoir pris acte de la très forte exposition de la Slovénie à la dette grecque et de notre contribution à l'Union européenne en général. La Slovénie est certes un petit pays par sa taille, mais il est d'autres critères, et je vous suis très reconnaissant de nous considérer sur un pied d'égalité.
La Macédoine, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine se caractérisent par leur instabilité politique, et les risques d'aggravation ne peuvent être négligés. Il est bon que la France et les autres pays de l'Union européenne s'impliquent dans le processus de Brdo et dans les initiatives destinées à promouvoir le dialogue entre la Serbie et le Kosovo. Il est mauvais, en revanche, de laisser entendre à ces pays que leur demande d'adhésion à l'Union européenne n'aura jamais de suite favorable. Bien entendu, leur adhésion n'est pas possible à court terme, mais il faut permettre sans tarder à la Bosnie-Herzégovine, à la Macédoine et au Monténégro de faire un pas dans cette voie. Si nous ne leur permettons pas de s'intégrer à notre histoire commune, nous les perdrons et ils choisiront de s'allier à une autre force géostratégique ou ils pencheront vers la radicalisation. C'est d'autant plus nécessaire que le Monténégro s'apprête à intégrer l'Alliance atlantique, facteur de stabilisation de la région. Je serais très heureux que les États membres d'une Union dont le premier mérite est de garantir la paix depuis très longtemps sur le continent s'accordent pour dire leur soutien aux pays des Balkans occidentaux.
La croissance économique qu'a connue la Slovénie l'an dernier est principalement due à la hausse des exportations de ses entreprises, mais elle tient aussi à la stabilisation des normes. Certaines réformes sont encore inachevées, en matières fiscale et sociale notamment, mais les entreprises ressentent déjà les effets des dispositions prises par le gouvernement pour stabiliser l'environnent législatif et réglementaire. De plus, le budget pour 2015 a prévu une nette augmentation des moyens consacrés au soutien de l'investissement, ce qui favorise la croissance.
Le gouvernement au pouvoir en 2013 avait pris la décision de privatiser quinze entreprises publiques. La Slovénie souffrant à l'époque d'une crise profonde, le processus a été enclenché quelque peu précipitamment mais, parce que nous tenons à ne pas entamer la crédibilité de l'Etat, nous continuerons dans la voie ainsi tracée. Cinq privatisations ont déjà eu lieu ; les dix autres seront menées à bien selon des modalités diverses selon les cas. Ainsi, l'État restera propriétaire de 51 % du capital du port de Koper, mais il cédera intégralement d'autres entreprises. Nous appelons l'attention des investisseurs français sur l'intérêt de ces acquisitions. Revoz, la filiale slovène de Renault, est un excellent exemple de la coopération possible entre la France et la Slovénie, et nous souhaitons voir se multiplier les investissements directs de cette sorte. J'en parlerai tout à l'heure avec le Président Hollande.
Un projet de loi reconnaissant l'enseignement en langue étrangère devrait être présenté au Parlement slovène avant la fin de l'année ; le texte améliorera la situation de l'école française de Ljubljana. De nombreux Slovènes parlent le français ; à Ljubljana, il y a un Institut français … ainsi qu'une colonne érigée à la gloire de Napoléon et de son armée, rappelant le temps des Provinces illyriennes. Les Français ont contribué au renouveau culturel de la Slovénie, et les Slovènes en ont le souvenir.
Le partenariat stratégique entre la Slovénie et la France a pour domaines prioritaires de coopération économique l'industrie automobile – dans lequel nos PME sont très actives –, les infrastructures et les transports ; la modernisation de nos chemins de fer devrait particulièrement intéresser les investisseurs français.
Je remercie M. Lellouche pour ses commentaires. Le danger du populisme guette toujours les démocraties ; j'ai évoqué cette question dans mon ouvrage intitulé Comment expliquer la démocratie à mes enfants ? Hier soir, à Bruxelles, les Premiers ministres d'Italie, de Malte et de Slovaquie ont indiqué que le referendum grec leur pose des problèmes intérieurs, leur population respective demandant à leur tour l'organisation de referendums sur différents points, ce dont les gouvernements concernés ne veulent pas, car ils sont conscients des risques de populisme que cela induirait.
La Slovénie s'attache à contribuer à la protection de l'environnement, et je participerai personnellement à la COP21.
Le temps nous manque pour traiter au fond de la question soulevée par Slavoj Žižek. Je n'ignore pas la complexité et les multiples facettes du problème grec. Je suis aussi conscient que les difficultés des petits pays sont souvent provoquées par les mesures prises par les grandes banques internationales, ce dont il faut tenir compte pour la Grèce. Je sais qu'outre le mauvais fonctionnement de l'administration et l'irresponsabilité dans la conduite des affaires publiques ont joué en coulisse les intérêts des multinationales et des banques. Par souci de justice, nous devons nous efforcer de maintenir la Grèce parmi nous et de l'aider, mais encore doit-elle prendre la main que nous lui tendons et accepter ce soutien. Certains sociologues opposent la culture de la culpabilité – celle des sociétés occidentales – et la culture de la honte – la civilisation japonaise traditionnelle par exemple. Il est très gênant que le Premier ministre grec n'éprouve aucune honte à manipuler son peuple sur ce que fait l'Union européenne pour tenter d'aider la Grèce. Mais j'entends aussi les arguments qui incitent à faire pour la Grèce qui n'a pas été fait par le passé.
La crise grecque peut évidemment miner le projet européen. Jamais, au grand jamais, les idées extrémistes ne donnent de bons résultats à long terme. Pour notre part, nous avons dû, ces dernières années, trancher entre restrictions et soutien aux investissements. Nous sommes favorables aux dépenses nécessaires mais aussi aux restrictions qui s'imposent en certains domaines.
La question migratoire est le plus grand défi qui se pose à l'Union européenne depuis des décennies. Nous devons être solidaires des populations concernées et avoir une attitude humanitaire à l'égard des migrants, mais nous devons aussi prendre en compte d'autres facteurs. Il y a d'abord l'aspect sécuritaire : parmi les migrants se glissent des combattants qui s'infiltrent dans l'espace européen avec des intentions néfastes. De plus, les migrants « économiques », issus de plusieurs continents, forment une population très diversifiée et cela pose des problèmes complexes. Je suis convaincu qu'il nous faut montrer notre solidarité et agir au plus vite en coopérant avec les pays d'origine des migrants, en Afrique et au Proche-Orient, pour essayer de résoudre les crises là où elles éclatent – en Libye par exemple. Sur le fond, on ne pourra faire autrement que de stopper ces flux car les migrants sont trop nombreux. Nous n'y sommes pas encore, et j'espère que nous parviendrons à stabiliser la situation.
L'Union européenne et la communauté internationale ont une part de responsabilité dans la situation en Syrie, comme en Libye, en Irak et en Afghanistan : celle de ne pas avoir réagi à temps de manière appropriée. Je le redis, nous devons essayer de régler les problèmes à la racine. Au Conseil européen, des dissensions sont apparues quand on a débattu du nombre de migrants que l'Union peut accepter. La Jordanie seule compte plus de 1,5 million de réfugiés, et nous éprouvons des difficultés à déterminer comment accueillir 60 000 personnes ! D'évidence, il faut privilégier l'approche politique, c'est-à-dire résoudre les crises là où elles se produisent ; sinon, nous devrons faire face à des problèmes croissants. Déjà, des murs s'élèvent en Bulgarie, et la Hongrie a des plans similaires. C'est une horreur.
Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, pour votre franchise et de l'attachement que vous avez manifesté à la relation entre nos deux pays. Je remercie aussi les ministres que vous ont accompagné, ainsi que Mme l'ambassadrice de Slovénie en France, dont le départ me fera perdre une amie chère. (Applaudissements)
Informations relatives à la commission
Au cours de sa réunion du mercredi 8 juillet 2015 à 9h45, la commission des affaires étrangères a nommé :
– M. Hervé Gaymard, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) sur l'exonération de droits d'enregistrement des acquisitions immobilières destinées à être utilisées par le CERN en tant que locaux officiels (n° 2604) ;
– Mme Nicole Ameline, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Irak sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 2653) ;
– M. Meyer Habib, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (n° 2330) ;
La séance est levée à onze heures.