Intervention de Vanik Berberian

Réunion du 2 septembre 2015 à 15h00
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France :

Je vous remercie d'avoir bien voulu consacrer un peu de temps à entendre le point de vue de l'AMRF.

À écouter votre propos liminaire, monsieur le président, je prends conscience de la dureté de mes propos, dont je ne changerai néanmoins pas une virgule, tout en m'efforçant de préciser ici ma pensée. Nous défendons en effet l'échelon communal, quelle que soit la taille de la commune : que la commune soit petite, moyenne ou grande, la question ne se pose pas en termes de poids, mais en termes d'utilité par rapport à la population. Cet attachement à l'échelon communal est d'ailleurs à l'origine de notre association, créée il y a un peu plus de quarante ans lorsque M. Marcellin, ministre de l'intérieur, a voulu fusionner les communes de manière autoritaire.

Ce principe étant posé, nous ne sommes pas dogmatiques et nous acceptons d'envisager des formes nouvelles d'organisation communale, comme la commune nouvelle. Nous ne sommes ni pour ni contre la commune nouvelle. Ce n'est pas parce que nous défendons bec et ongles l'échelon communal que nous sommes opposés à toute évolution des périmètres. Nous n'en faisons pas un dogme ; nous considérons simplement qu'une décision de cette gravité et de cette importance ne peut être prise qu'au niveau le plus essentiel de la démocratie, c'est-à-dire à celui de la population locale.

Notre position a souvent été jugée rétrograde au motif que 36 000 communes, c'était trop. Cet argument a souvent été entendu dans les médias et les débats récents. Nous estimons tout au contraire que, loin d'être un poids, c'est une chance et que cela offre à notre pays un niveau de démocratie exceptionnel. D'ailleurs, les Français ne s'y trompent pas, qui se déplacent en masse pour voter aux élections municipales.

Le récent débat sur la réforme territoriale a occulté le fait que l'échelon communal ne se résume pas à un périmètre administratif. C'est beaucoup plus que cela. C'est un périmètre vivant, un espace de partage, où le monde associatif est très actif, et un lieu d'appartenance : les gens se reconnaissent de leur commune, et même lorsqu'ils n'en sont pas originaires – c'est dire si c'est important à leurs yeux.

Cela étant, si une commune de quelques centaines d'habitants considère qu'elle n'a plus les moyens de fonctionner, c'est-à-dire de répondre aux besoins de ses habitants et qu'elle décide de fusionner avec une ou plusieurs autres communes, cela doit être possible, car une structure, quelle qu'elle soit – nous nous plaçons ici à l'échelon municipal, mais cela vaut également pour les échelons départemental ou régional –, n'a pas vocation à exister pour elle-même, mais pour rendre un service. Si le contexte change, elle doit donc pouvoir évoluer. J'insiste donc bien sur le fait que nous ne sommes pas opposés à une évolution du périmètre des communes.

Si nous sommes si sévères avec la réforme territoriale, c'est qu'elle porte en germe, de manière plus ou moins explicite, la disparition de l'échelon communal. Elle s'est faite sans réflexion préalable sur l'aménagement du territoire ; or, c'est cette réflexion qui aurait dû conduire à la réorganisation de notre architecture territoriale. Au lieu de cela, on est parti du postulat qu'un mouvement de regroupement était forcément bénéfique, qu'il permettrait des économies d'échelle et qu'en étant plus nombreux on était forcément plus forts.

Nous ne partageons pas ce point de vue. Les comparaisons avec d'autres pays européens, auxquelles on nous renvoie, sont parfois un peu rapides : non seulement elles ne prennent pas en compte la densité de population et la superficie des pays concernés, alors que l'exceptionnel maillage territorial de la France est une originalité qui, à nos yeux, est aussi un atout.

Nous sommes engagés dans un processus qui n'est pas nouveau et qui consiste à systématiquement fragiliser l'échelon de proximité pour renforcer l'échelon supérieur. Dans la mesure où, comme dans les poupées russes, il existe toujours un plus petit ou un plus gros que soi, c'est un processus sans fin, dont rien ne garantit pourtant qu'il offrira un meilleur niveau de services, que les citoyens s'y retrouveront, et qu'il permettra des économies. Si nous préconisons de conserver une architecture qui a fait ses preuves, ce n'est donc pas au nom d'un quelconque attachement au passé mais parce que nous considérons qu'elle a toute sa pertinence, aujourd'hui encore.

J'étais dans l'Oise, il y a deux heures, pour l'inauguration d'une école « numérique » qui a mis en place un dispositif d'ordinateurs portables en réseau. Ce projet était d'autant plus intéressant qu'il a été élaboré en fonction des spécificités des territoires ruraux, à savoir de faibles moyens financiers, peu de réseaux et une faible densité de population. Il s'intègre par ailleurs, avec subtilité et intelligence, dans une perspective de développement de la francophonie – j'ai du reste noté que les trois quarts des gens qui s'intéressaient à cette présentation étaient des Africains. C'est la preuve que l'intelligence n'est pas l'apanage des zones urbaines mais qu'elle existe aussi dans les territoires ruraux. Et c'est bien cela que nous revendiquons.

Nous plaidons donc pour que cesse la concentration des moyens humains et financiers, des activités économiques et des lieux de pouvoir dans les pôles urbains et pour une répartition plus équilibrée de ces ressources sur le territoire. C'est sans doute une utopie, à tout le moins un pari audacieux, dans la mesure où, en France comme ailleurs, toutes les forces conduisent à ce mouvement de concentration. Et cela ne concerne pas uniquement la réforme territoriale : cela vaut pour toute l'organisation de nos services publics, qu'il s'agisse de l'éducation nationale et des conventions signées dans certaines régions avec le ministère pour mettre en réseau des écoles déjà mises en réseau – des réseaux de réseaux, en quelque sorte –, ou des hôpitaux que l'on ferme en invoquant des raisons de sécurité. En réalité, on éloigne les services de la population, et tout est fait pour distendre le maillage de proximité au profit des noeuds urbains.

Je nuancerai ce propos pour ce qui concerne La Poste, qui a bien compris qu'elle tirait sa force de son implantation locale et de l'image très positive véhiculée par ses voitures jaunes et ses facteurs. Du coup, elle a adopté une autre stratégie, et misé sur la mutualisation des services, ce qui constitue à nos yeux une bonne réponse à l'évolution du contexte. En effet, la vie ne peut se développer sur nos territoires sans l'existence d'un socle de services publics, même si ce socle change au fil du temps – par exemple, nous sommes tout à fait ouverts à ce que l'activité postale soit rendue de façon différente –, ce que ne semble pas en revanche avoir compris la SNCF, qui ferme ses petites gares ou n'y fait plus arrêter les trains, et coordonne très mal les correspondances avec les TER, alors que la question de la mobilité est primordiale dans les territoires ruraux, comme l'est d'ailleurs le développement du très haut débit – par fibre ou satellite, peu importe la technique – dont nous sommes d'ardents partisans.

Nous défendons la ruralité, non seulement au nom de certaines valeurs, mais également parce que s'y trouvent des solutions aux problèmes posés par l'hypertrophie urbaine : j'invite ceux qui nous opposent le coût de nos 36000 communes à le comparer à ce que coûte l'hyperconcentration des populations dans les zones urbaines.

Les associations d'élus se sont d'emblée montrées ouvertes à l'idée que les collectivités devaient contribuer à l'effort général et réaliser leur part d'économies. J'ai toutefois indiqué dès l'origine, et notamment au moment de la réforme des rythmes scolaires, qu'on ne pouvait demander à tout le monde le même niveau d'efforts, et que certains en font depuis plus longtemps que d'autres. L'AMRF est favorable à cette réforme, car elle doit permettre aux enfants de pratiquer des activités auxquelles ils n'auraient pas eu accès autrement, mais les dotations de l'État doivent tenir compte de la situation financière des communes : pour certaines, les 50 euros alloués par élèves sont utiles ; pour d'autres, ils ne sont pas nécessaires ; pour les dernières enfin, ils sont insuffisants.

La DGF est moitié moindre pour un habitant d'une commune rurale que pour un urbain, mais le gazole ou l'heure d'animation, eux, coûtent le même prix en ville ou à la campagne. Nous sommes donc heureux que la mission Pires Beaune se soit penchée sur la question de la DGF et la correction des inégalités – entre l'urbain et le rural, de même qu'au sein d'une même strate. Nous sommes donc d'accord sur le principe de faire des efforts, mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin. À ce propos, parler de dotations de l'État aux collectivités me paraît un raccourci malheureux : il ne s'agit pas de doter les collectivités en tant que telles mais bien de permettre la fourniture de services publics aux citoyens.

J'attire ensuite votre attention sur le fait que le travail de remise à plat des normes dont l'on parle depuis des années constituerait un véritable gisement d'économies. Permettez-moi enfin une remarque plus politique, concernant l'optimisation fiscale dans les grandes entreprises, qui a de quoi nous laisser rêveurs…

En ce qui concerne plus précisément l'incidence des baisses de dotation sur les budgets des collectivités, c'est une question complexe. Pour autant, tout le monde dit la même chose, quel que soit le niveau de la collectivité. Mais le système qui détermine ces baisses de dotations a des effets très variables, y compris en pourcentage, de même que sont diverses les réponses apportées par chaque collectivité, et l'on ne peut donc en tirer de règle générale. Nombre de collectivités se sont efforcées de préserver l'investissement, pour maintenir l'activité économique dans le secteur du BTP, aux abois ; certaines ont rogné sur les dépenses de fonctionnement, ce qui est souvent impossible dans les communes les plus pauvres, où il est difficile d'aller plus loin dans les mesures d'économies, à moins de reconsidérer le niveau de services que l'on veut fournir aux habitants. Sans compter celles qui – je force un peu le trait – cherchent à mettre au compte des baisses des dotations de l'État des économies qu'elles aimeraient bien réaliser dans leur propre gestion municipale… De tels procédés sont intellectuellement discutables.

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