Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, « la vieillesse bien comprise est l’âge de l’espérance ». C’est cette citation de Victor Hugo qui doit guider notre examen de ce projet de loi, aujourd’hui, en deuxième lecture. Bien comprendre la vieillesse, c’est s’adapter à l’évolution de notre société, c’est valoriser le troisième âge, c’est appréhender la pluralité de ses acteurs, c’est réformer nos politiques publiques et les accorder aux changements démographiques.
Le sujet consiste aujourd’hui, pour nous, législateurs, à trouver la meilleure manière d’aider nos concitoyens à préparer et à vivre leur vieillesse. Il consiste également à trouver l’équilibre le plus juste entre ce qui relève de la prévoyance individuelle et ce qui relève – ou peut relever, en l’état actuel de nos finances publiques et sans reporter l’effort sur nos enfants et petits-enfants – de la solidarité nationale. Il s’agit d’une exigence éthique.
L’accompagnement du vieillissement de notre population doit être au coeur de nos préoccupations, au centre de nos politiques publiques. Les chiffres sont éloquents : selon l’INSEE, en France, on dénombrera 8,5 millions de personnes âgées de plus de 80 ans en 2060, soit plus de 12 % de la population totale, contre 5 % aujourd’hui. Quant aux personnes âgées de plus de 90 ans, qui sont environ 500 000 à l’heure actuelle, elles devraient être près de 3,5 millions en 2050.
Il apparaît évident que, si aucune mesure d’envergure n’est prise pour nous préparer à ce phénomène de vieillissement, cette transformation démographique pourrait s’accompagner d’importants risques économiques et sociaux, comme une forte augmentation des dépenses sociales, de possibles conflits générationnels et une augmentation de la pauvreté chez les plus âgés. Cependant, la maîtrise des conséquences du vieillissement est à notre portée, à condition de modifier nos modes de vie, d’habitat, de conditions d’emploi et de santé. C’est, finalement, une réforme culturelle.
Aujourd’hui, nous pouvons l’affirmer : malheureusement, le « grand soir » du vieillissement n’est pas dans ce projet de loi. En effet, dans la première mouture du texte qui nous a été présentée, nous nous sommes retrouvés face à un projet de loi très technique, comprenant soixante-six articles et un rapport annexé très bavard d’une soixantaine de pages. Des évolutions positives ont été proposées, que nous avons soulignées et soutenues : je pense notamment à l’augmentation de l’APA à domicile, à la diminution des restes à charge, au financement d’un volet consacré à la prévention, ou encore à l’aide au répit pour les aidants. Ces dispositions font d’ailleurs globalement consensus.
Cependant, ce texte fait une énorme impasse sur des sujets clés qui méritent une amélioration. Nos principales critiques portent sur ce qui ne figure pas dans le texte, qui a le défaut de ne pas aborder financièrement la problématique du vieillissement dans sa globalité.
Ce projet de loi n’apporte aucune réponse au problème pourtant majeur du reste à charge supporté par les familles pour leurs proches accueillis en établissement. Confronté à cet oubli, le Gouvernement nous a répondu que cet enjeu serait traité dans un hypothétique futur texte. Nous avons toujours du mal à y croire, et aucune garantie ne nous a été apportée. Madame la secrétaire d’État, vous nous dites que les contraintes budgétaires interdisent au Gouvernement d’être ambitieux, mais votre majorité a pourtant augmenté certaines dépenses relatives à d’autres politiques publiques. Nous ne sommes pas naïfs : compte tenu des délais d’examen des textes au Parlement, et du délai d’examen de ce texte plus particulièrement, il ne sera pas possible de légiférer à nouveau sur ce sujet avant la prochaine élection présidentielle. Au passage, l’application de votre projet de loi dès le 1er janvier 2016, que vous avez promise, va aussi être difficile à gérer, madame la secrétaire d’État, malgré votre implication qui est totale – je ne le nie pas.
Par ailleurs, le financement global et cohérent de la prise en charge de la dépendance, pourtant capital, est absent du texte alors même que la charge supportée par les départements va s’accroître. Rappelons en effet que le montant total de l’effort public consacré à la dépendance était estimé en 2010 à près de 22 milliards d’euros, soit 1,1 % du PIB. Principalement supporté par les organismes de Sécurité sociale, par les départements et par l’État, ce coût pourrait passer à 30 milliards d’euros à l’horizon 2025, soit une hausse de près de 40 % au cours des dix prochaines années.
Les départements, déjà très contraints budgétairement, sont les principaux contributeurs de l’APA. Celle-ci a ainsi coûté plus de 5 milliards d’euros en 2012, pour 1,3 million de bénéficiaires. Selon l’INSEE, son coût devrait atteindre 12,4 milliards d’euros en 2025 puis 20,6 milliards d’euros en 2040. Le Gouvernement estime à 453 millions d’euros le coût des mesures nouvelles de ce projet de loi liées à l’APA – mesures qu’il entend compenser par une partie des recettes de la CASA, les restes devant financer les mesures relatives au volet prévention et formation des aidants. Je rappelle au passage que le Gouvernement détourne, depuis le début de son existence, les produits de la CASA vers d’autres politiques que celles du vieillissement.
Ce raisonnement élude totalement la question centrale du financement futur de l’existant, dont le coût est d’ailleurs amené à s’accroître mécaniquement dans les années à venir. En effet, sans même augmenter les droits des personnes, le financement de la dépendance, notamment de l’aide à domicile, est très fragile et nécessitera de notre part la création de nouveaux leviers financiers pour faire face à l’augmentation de la population. Or ce texte augmente les droits des plus dépendants, classés en GIR 1 et en GIR 2, pour un montant annuel de 375 millions d’euros, et crée un soutien aux aidants par l’instauration d’un droit au répit. Pour tout cela, le financement que vous proposez se révélera malheureusement très vite insuffisant. D’un point de vue technique, vos prévisions de financement ne tiennent pas la route à moyen et à long termes.
Ainsi, ce projet de loi ne nous apparaissait pas dangereux, mais plutôt sans ambition, sans réelle vision ni perspective. Mais nous avons assisté à un véritable revirement en deuxième lecture : alors qu’il était insuffisant mais inoffensif, le projet de loi est soudainement devenu dangereux.
C’est en effet le cas avec l’article 32 bis, qui vise à créer un régime unique d’autorisation pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile des personnes fragiles.
Cet article, absent dans la version initiale du texte, introduit par le Sénat, à la condition d’une expérimentation, impose soudainement la suppression du régime de l’agrément qui dépend des services de l’État, au bénéfice du régime de l’autorisation donnée par les départements. Si ce double régime n’est aujourd’hui pas satisfaisant, et nous nous accordons sur ce point, la nouvelle rédaction de l’article pose beaucoup plus de problème qu’elle n’en résout. Certes, madame la secrétaire d’État, l’exercice est extrêmement difficile, et je sais que vous avez le souci d’entendre les partenaires du secteur, y compris les départements.
Cette refonte « forcée » de tous les services vers le régime d’autorisation se fait en effet au détriment d’une part importante d’acteurs du secteur : les entreprises privées et les particuliers-employeurs. En raison de la précipitation qui entoure cette mesure, telle qu’elle existe actuellement, on se rend aisément compte que les modalités d’octroi de la nouvelle autorisation vont fortement handicaper les services anciennement agréés, donc pénaliser tout un secteur, pourtant créateur de nombreux emplois non délocalisables.
Le système proposé va laisser aux 102 conseils départementaux de multiples possibilités d’appréciation : le recours ou non aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens – CPOM –, les critères d’autorisation, les critères d’habilitation. Chaque conseil départemental développera ses propres règles et pratiques, complexifiant les démarches des structures.
Dans le même temps, l’article 32bis porte le délai de réponse pour les conseils départementaux à six mois au lieu des trois mois des DIRRECTE, directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Madame la secrétaire d’État, ce délai est évidemment incompatible avec les contraintes d’accompagnement financier, mais aussi avec les exigences économiques et obligations sociales. L’ADF – Assemblée des départements de France – soutient, à mes côtés, un amendement réduisant ce délai à trois mois et disposant que l’absence de réponse vaut acceptation.
Même si des aménagements sont prévus, la mesure est en elle-même nocive, sauf à être expérimentée au préalable. Les services anciennement agrées basculeront automatiquement pendant une période transitoire de sept ans dans le nouveau régime d’autorisation, mais uniquement pour le même volume horaire effectué durant les trois dernières années. Pour résumer, cette loi interdit donc aux services d’augmenter leur volume d’heures, mais je sais, madame la secrétaire d’État, que vous avez écouté leurs doléances.
À compter de 2022, il ne sera plus possible pour des porteurs de projets de déposer des demandes d’autorisation auprès des conseils départementaux, hors procédure d’appel à projets. Cela se fera immanquablement au détriment d’initiatives dynamiques susceptibles de porter de l’innovation.
Rappelons que le secteur en question regroupe 150 000 emplois, et 3 225 entreprises, le tout en à peine un peu plus de dix ans d’existence. C’est le secteur porteur du plus fort potentiel de créations d’emplois : il ne faut pas le fragiliser. À cet égard, je crois savoir que le Président de la République a pour ambition d’inverser la courbe du chômage …