Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues, aux yeux de l’histoire, une société se juge à la place qu’elle fait à ses enfants, mais aussi à ses aînés. Cette loi que nous examinons en deuxième lecture porte un nom pétri d’espoir : loi d’adaptation de la société au vieillissement.
La société française vieillit. Près d’un quart de la population a plus de 60 ans aujourd’hui, et le nombre des plus de 75 ans a progressé de 45 % en vingt ans. L’espérance de vie augmente. En 2014, elle atteint 79 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes. Au cours des soixante dernières années, cela représente un gain de quatorze ans en moyenne – en moyenne, car les inégalités demeurent entre les ouvriers et les cadres supérieurs.
Dans ce contexte, le souhait de vivre le plus longtemps possible à domicile s’exprime : 90 % des Français préfèrent adapter leur logement plutôt que d’intégrer une maison dite « de retraite ». Enfin, la crainte de devenir dépendant est réelle. Près de huit Français sur dix craignent de devenir dépendants et un sur deux d’avoir à s’occuper d’un proche en perte d’autonomie.
Notre société est donc à la croisée des chemins. Notre responsabilité de législateur est de répondre aux défis du vieillissement avec humanité, pragmatisme et esprit de responsabilité. L’enjeu est de taille et les sommes en jeu sont considérables. Notre pays consacre, chaque année, 716 milliards d’euros à la protection sociale, dont 224 milliards aux seules personnes âgées. Les cotisations patronales et salariales « vieillesse » s’élèvent à 74 milliards d’euros. Les conseils départementaux, dont la compétence personnes âgées a été confortée, leur consacrent chaque année une part importante de leur budget. Dans mon département, en Ille-et-Vilaine, cela représente 10 % d’un budget d’un milliard d’euros.
Ce projet de loi est donc très attendu, tant par les personnes âgées que par leurs familles, les professionnels du service aux personnes auxquels je rends hommage, les acteurs du secteur sanitaire et médico-social et, bien entendu, les gestionnaires des collectivités locales. De nombreuses mesures contenues dans le texte vont incontestablement dans le bon sens, celles qui mettent l’accent sur la prévention de la dépendance, l’aide aux aidants ou encore le soutien de l’allocation personnalisée d’autonomie dans le maintien à domicile. Vous ne m’en voudrez pas cependant de m’attarder plutôt sur ses manques.
Le Président de la République nous avait promis une réforme globale, or, force est de constater que la loi n’apporte pas de réponse satisfaisante et durable à deux problèmes pourtant majeurs qui s’expriment sur le terrain : le reste à charge – parfois hors de portée – supporté par les familles pour leurs proches dépendants aux faibles ressources qui sont accueillis en établissement ; le financement de la prise en charge de la dépendance par les conseils départementaux dont les dépenses sociales ne cessent de croître quand les dotations, elles, diminuent.
À ces deux non-réponses s’ajoute une inquiétude liée à l’article 32 bis concernant les entreprises d’aide à domicile, qui prévoit le basculement automatique des services anciennement agréés dans le nouveau régime d’autorisation mais uniquement dans la limite du nombre d’heures effectuées dans les trois exercices précédents.
Il s’agit en réalité de la création d’un plafond qui limite de fait toute possibilité de développement de ces services aux personnes déjà fragilisées par les réductions d’avantages fiscaux décidées par le Gouvernement depuis trois ans.
Depuis la présentation de ce projet de loi en conseil des ministres, quinze mois se sont déjà écoulés. L’examen en « fractionné » des textes de loi ne constitue vraiment pas une méthode satisfaisante. Ceux qui sont concernés par ces textes ne savent plus où on en est, ce qui s’applique, ce qui est encore à venir.
Une soixantaine de décrets, madame la secrétaire d’État, devront être pris dans le prolongement du vote. Vous savez combien nous apprécierions de connaître leur contenu au moment de l’examen en séance. Bien souvent, en effet, ce n’est pas l’esprit de la loi qui est critiquable mais les décrets qui la déclinent ou les modalités de mise en oeuvre qui varient d’un territoire à l’autre.
Pour être utile, cette loi devrait tenter de répondre à toutes les situations et relever les défis posés en termes sanitaires, médico-social, de logement, de transport mais, aussi, d’accompagnement des personnes jusqu’au crépuscule de leur vie.
Pour être utile, cette loi devrait concrétiser les recommandations de la MECSS sur « la mise en oeuvre des missions de la CNSA » qui appellent au rapprochement entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social : renforcer la coordination et la coopération entre les acteurs, encourager les initiatives locales innovantes et étendre les expérimentations fructueuses, revoir les modalités de tarification, favoriser les échanges d’information entre les professionnels, développer les maisons départementales de l’autonomie. Tout y est. Il n’y a plus qu’à...
Pour être crédible, cette loi devrait enfin trouver sa traduction dans les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale que nous examinerons dans les semaines à venir.
En conclusion, j’espère que le débat qui suivra cette discussion générale permettra de mieux répondre aux enjeux.
Cette loi, si elle reste simple d’application et borde juridiquement les évolutions nécessaires à l’adaptation de la société au vieillissement, aura été utile. À défaut, elle susciterait – je dis bien, elle susciterait – de ma part un vote d’abstention positive.