Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a dit Mme la ministre, la France fait partie des tout premiers pays ayant signé le protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac adopté en novembre 2012. En votant ce projet de loi, nous serons aussi parmi les tout premiers à ratifier ce texte et nous contribuerons ensemble à rendre possible son entrée en vigueur au plan international. Je rappelle que cette entrée en vigueur n’aura lieu qu’après le dépôt du quarantième instrument de ratification. Au 4 septembre, seuls neuf États avaient ratifié le protocole.
La lutte contre le commerce illicite des produits du tabac est une priorité, compte tenu de l’ampleur de ce phénomène dans le monde entier et de ses conséquences néfastes à plus d’un titre. Le programme national de réduction du tabagisme, adopté en conseil des ministres au mois de septembre 2014, prévoyait d’ailleurs la ratification de ce protocole. Au plan fiscal, les pertes annuelles seraient de plus de 10 milliards d’euros au sein de l’Union européenne et de plus de 40 milliards de dollars dans le monde. Outre l’impact sur les finances publiques, les trafics illicites entravent la politique fiscale du tabac menée au service de la santé publique. Il convient de protéger les prix pratiqués en France dans le réseau des buralistes en renforçant la lutte contre le commerce illicite et contre les dérives des achats transfrontaliers.
Par ailleurs, s’il existe déjà des risques sanitaires très élevés pour les produits légaux du tabac, les risques sont évidemment majorés quand il s’agit de contrefaçons ou de cigarettes dont la vente n’est pas autorisée en France.
Enfin, le commerce illicite des produits du tabac est pour l’essentiel entre les mains de réseaux criminels organisés, qui prospèrent grâce à de tels trafics et peuvent ainsi en profiter pour financer d’autres activités relevant de cette criminalité organisée, notamment les trafics de stupéfiants et d’armes et la traite des êtres humains, voire des activités terroristes.
L’Organisation mondiale des douanes estime qu’une cigarette sur dix fumée dans le monde pourrait être issue du commerce illicite. Les trafics prennent des formes multiples. Ils peuvent concerner des produits du tabac authentiques mais détournés, des contrefaçons de marques légales ou encore les cheap whites, ces marques de cigarettes légales dans leur pays de production mais non autorisées ailleurs, par exemple en France. La marque de cigarettes Jin Ling, que l’on retrouve en Europe, serait ainsi produite à Kaliningrad, en Ukraine et en Moldavie.
Le protocole qui nous est soumis aujourd’hui par l’intermédiaire de ce projet de loi a pour objet de compléter et de renforcer les actions déjà engagées pour lutter contre les trafics.
Tout d’abord, le protocole permettra d’améliorer le contrôle de la chaîne logistique, par la délivrance de licences ou d’autorisations, par l’imposition d’une obligation de vérification diligente et par l’instauration de systèmes de suivi et de traçabilité interopérables qui permettront d’échanger des informations au moyen d’un point focal mondial et de retracer les mouvements des produits du tabac au plan international.
Une deuxième série de mesures, tout aussi utiles, concerne la répression des trafics. Les parties au protocole devront prendre leurs dispositions pour interdire en droit interne un ensemble d’actes constitutifs du commerce illicite des produits du tabac ou participant directement à ce phénomène. Le protocole demande que tous ces actes fassent l’objet de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. En vue de faciliter la détection et la répression des trafics, le protocole favorise les livraisons surveillées et d’autres techniques d’enquête spéciales.
Le renforcement des coopérations internationales est un autre pilier du protocole. Ces coopérations doivent s’intensifier dans tous les domaines : les échanges d’informations, sous forme de données agrégées ou de données personnelles, dans le respect des législations nationales – c’est-à-dire, en France, la loi informatique et libertés – le renforcement des capacités, notamment grâce à la recherche de financements pour aider les pays en développement à mettre en oeuvre les engagements qu’ils souscriraient au titre du protocole, l’assistance administrative mutuelle ou encore la coopération judiciaire.
En France, les services de la douane ont déjà recours à une large palette de coopérations internationales, et notre dispositif est déjà très complet en matière de répression. Au plan mondial, le protocole a pour grande vertu de contribuer au rapprochement des mesures de lutte contre le commerce illicite. En ce qui concerne le dispositif de suivi et de traçabilité, qui est l’une des mesures les plus significatives du texte, la mise d’un point focal mondial permettra de sortir d’une simple logique régionale, en particulier européenne, qui constitue déjà un premier pas.
Si l’enjeu immédiat de notre débat cet après-midi est d’autoriser la ratification du protocole en France, il convient aussi d’essayer de faire en sorte qu’il entre en vigueur aussi rapidement et aussi largement que possible dans le monde. Je crois que l’on peut être ambitieux en la matière. La Convention-cadre de l’OMS à laquelle ce protocole se rattache est l’un des traités les mieux ratifiés dans l’histoire des Nations unies, avec plus de 180 parties à ce jour. Il faut espérer que le protocole connaisse un avenir aussi universel.
Des actions de sensibilisation aux enjeux du commerce illicite du tabac, de promotion du protocole et d’accompagnement dans sa mise en oeuvre peuvent aider à favoriser son entrée en vigueur. Je sais, madame la ministre, que vous prenez en compte la dimension globale de la lutte contre le tabagisme. La réunion internationale que vous avez organisée le 20 juillet dernier à Paris en témoigne notamment.
En France et en Europe, il reste aussi à compléter la mise en oeuvre du protocole en ce qui concerne le dispositif de marquage et de traçabilité. Sans attendre l’entrée en vigueur du protocole, les travaux nécessaires ont déjà été engagés au plan européen et nous attendons maintenant que la Commission européenne adopte des actes délégués et des actes d’exécution pour l’application du dispositif.
Des auditions que j’ai menées, je retiens que, s’il peut parfois demeurer quelques préoccupations, voire des divergences sur les modalités de mise en oeuvre, au regard notamment du rôle qui pourrait éventuellement être laissé aux fabricants de tabac, ce ne sont pas les stipulations du protocole qui sont en cause. Elles servent au contraire de boussole. Nous devons rester vigilants sur le respect plein et entier du protocole. C’est naturellement la lecture la plus extensive qui doit prévaloir. Je sais que vous y êtes attentive, madame la ministre, et que nous aurons peut-être l’occasion de revenir sur ce point à l’occasion de la discussion du projet de loi de modernisation de notre système de santé.
Je voudrais également mettre l’accent, même très brièvement, sur quelques-unes des propositions faites par la Commission européenne en juin 2013 dans le cadre d’une communication relative à une stratégie globale de lutte contre le commerce illicite du tabac.
Outre plusieurs questions techniques, mais essentielles pour l’efficacité de l’action qui est menée, telles que les échanges de renseignements et d’informations entre les différentes autorités de l’Union participant à la lutte contre la fraude douanière, la criminalité organisée et la criminalité transfrontalière, je voudrais insister sur la nécessité de continuer à plaider pour une plus grande harmonisation au plan européen. L’importance des différentiels de taxation et de prix crée un environnement favorable à la contrebande et au développement d’achats transfrontaliers, qui sont souvent disproportionnés. Si nous parvenions à aller dans le sens d’une plus grande convergence en Europe, il conviendrait évidemment de le faire par le haut.
Au bénéfice de ces quelques observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi.