Comme vous le savez, les autorités françaises ont fait de notre relation avec l'Amérique latine une priorité. M. Laurent Fabius l'a rappelé avec force lors de la dernière conférence des Ambassadeurs, nous devons avoir pour ambition d'y renforcer notre présence, qu'il s'agisse des plus grands pays - Brésil et Mexique auxquels tant de liens nous attachent - ou des néo-émergents comme la Colombie et le Pérou, auxquels nous lient des valeurs, une culture et de considérables possibilités communes.
Dans cette région du monde, l'action de la France s'inscrit dans la durée et dans une stratégie de long terme, portée par ses relations amicales avec tous les États de la zone.
Francophone et francophile, le Président péruvien Humala, dont le mandat se termine en juillet 2016, s'est attaché à développer la relation bilatérale. Sa visite officielle en France en novembre 2012 y a fortement contribué. Les deux présidents se sont à nouveau rencontrés à Paris en octobre 2013 et en juillet 2014. Ce dialogue a été prolongé lors des visites régulières des membres du gouvernement français au Pérou et leurs homologues péruviens en France. Le Président Hollande a prévu de s'y rendre en visite officielle en février 2016. La thématique de l'environnement est centrale dans la concertation bilatérale, puisque Paris succède, le 30 novembre 2015, à la présidence péruvienne de la COP20, mais d'autres domaines, tels que les échanges universitaires et scientifiques, la lutte contre la drogue ou la coopération en matière de santé sont particulièrement prometteurs.
Le dialogue politique entre la France et la Colombie a quant à lui pris une nouvelle dimension au cours des derniers mois, à l'occasion des deux visites du Président Santos à Paris en 2014 et 2015. Deux projets importants ont ainsi vu le jour en janvier : le lancement d'un Comité stratégique franco-colombien destiné à renforcer la relation bilatérale dans tous les domaines ; l'organisation de saisons culturelles croisées France-Colombie prévues en 2017. Le Premier ministre Manuel Valls a conforté cette dynamique en se rendant à Bogota le 25 juin 2015 avec la signature de plusieurs accords bilatéraux dans les domaines de la fiscalité, la culture, la recherche et les échanges universitaires, la coopération décentralisée ou l'enseignement agricole.
Voici rapidement brossées nos relations bilatérales. Mas notre dialogue avec l'Amérique latine s'appuie aussi sur une nouvelle dynamique, celle du dialogue institutionnalisé à la fin des années 1990 entre l'Union européenne et la majorité des pays d'Amérique latine. Sans sous-estimer l'influence réelle qui reste celle des Etats-Unis et en ayant à l'esprit que nombre de pays latino-américains se tourne aujourd'hui résolument vers l'Asie, les Européens ont une carte à jouer en Amérique latine. L'influence grandissante de pays émergents tels que le Brésil et le Mexique, la richesse de la région en matières premières et la place croissante de l'Amérique latine dans l'approvisionnement de l'Union en produits agricoles sont autant de raisons de renforcer le partenariat euro-latino-américain. Mais au-delà du seul volet économique et commercial, il s'agit aussi pour l'Union européenne de promouvoir son modèle.
Les relations entre l'Union européenne et le Pérou et la Colombie reposaient jusqu'au présent accord sur un accord-cadre de coopération signé avec la Communauté andine des nations (CAN) le 23 avril 1993. Cet accord, qualifié de « troisième génération », accordait une large place à la protection des droits de l'Homme et au respect des principes démocratiques tout en essayant de donner une impulsion aux relations commerciales.
Sur la base de cet accord, des négociations ont débuté en 2007 en vue de conclure un accord commercial entre l'UE et la CAN. Les négociations se sont poursuivies avec le Pérou et la Colombie pour se conclure au niveau technique en mai 2010. Le texte de l'accord commercial a ensuite été paraphé en mars 2011. C'est ce texte qui est aujourd'hui soumis à notre approbation.
L'accord est de facture classique, il est très similaire à l'accord récent avec l'Amérique centrale. Il prévoit tout d'abord une libéralisation tarifaire totale mais progressive des échanges de produits industriels et de la pêche. Dès l'entrée en vigueur de l'accord, cette libéralisation sera, pour les produits industriels, de 80 % avec le Pérou et de 65 % avec la Colombie. Pour les produits agricoles et agroalimentaires, la libéralisation comportera des exceptions.
Le changement sera progressif, car le Pérou et la Colombie jusqu'à la signature de l'accord en juin 2012, puis de son application provisoire respectivement au 1er mars et au 1er juillet 2013, étaient bénéficiaires du système de préférence généralisé (SPG), qui prévoyait déjà des baisses de barrières tarifaires entre nos pays. Afin de faciliter la transition depuis le régime unilatéral vers l'accord, les deux pays bénéficient des deux régimes préférentiels jusqu'au 1er janvier 2016. Les opérateurs ont donc le choix d'exporter vers l'Union sous les conditions de l'accord ou du système de préférence généralisé. Je vous renvoie au rapport pour le calendrier précis de la mise en oeuvre de l'accord, détaillé par type de production.
J'insisterai ici sur les enjeux, économiques et humains de l'accord. Au plan économique, l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange ne devrait pas profondément bouleverser la structure des échanges de biens entre le Pérou et l'Union européenne d'une part, et la Colombie et l'Union européenne d'autre part, en raison des avantages tarifaires similaires préalablement offerts dans le cadre du Système de préférences généralisées. Sans apporter de nombreuses baisses tarifaires à court terme, à quelques exceptions près, ce nouvel accord de libre-échange devrait néanmoins permettre de renforcer les échanges.
L'accord a vocation à ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux pour les grandes industries exportatrices de l'Union, qui bénéficieront de la suppression des droits de douane. À titre d'exemple, les économies de droits de douane atteindront plus de 33 millions d'euros pour le secteur de l'automobile et des pièces détachées automobiles, environ 16 millions d'euros pour les produits chimiques et plus de 60 millions d'euros pour les textiles. Les produits pharmaceutiques et les produits des télécommunications bénéficieront, eux aussi, de réductions significatives de droits. Cet effet devrait être particulièrement favorable aux secteurs qui exportent déjà en grande quantité vers les marchés andins.
En ce qui concerne le Pérou, les principales perspectives de développement des exportations françaises ont été identifiées dans les secteurs des produits laitiers et des vins et spiritueux. Pour les produits laitiers, l'Union et la France ont d'ores et déjà tiré profit de l'accord avec un total des ventes de 6,1M€ en 2014 contre 2,6M€ en 2013 pour la France. Il reste d'immenses marges de progression cependant, car notre balance commerciale avec le Pérou demeure négative.
Pour la Colombie, ce sont de façon générale les exportations de biens de consommation qui devraient pouvoir profiter en priorité de la mise en oeuvre de cet accord grâce à la croissance soutenue de l'économie.
L'accord établit également un ensemble de normes qui vont au-delà de ce qui a été convenu dans le cadre multilatéral, notamment pour les obstacles non tarifaires à l'accès au marché, la concurrence, la transparence et les droits de propriété intellectuelle, ce qui permettra, en particulier, d'assurer la protection de 115 indications géographiques de l'UE sur les marchés colombien et péruvien, dont 43 françaises. Ces améliorations systémiques auront un impact positif sur les exportations de produits pharmaceutiques, mais également sur la vente de dispositifs médicaux, d'instruments d'optique, de voitures et d'autres types de machines dans lesquelles l'UE est hautement compétitive, mais désavantagée par des normes locales contraignantes ou des règlements techniques.
Au plan politique, il faut préciser que l'accord contient en son article 1er une référence aux « principes démocratiques » de l'Union permettant de suspendre l'accord en cas de non-respect des droits de l'Homme par l'une des parties. Plusieurs Etats membres, dont la France, ont souhaité et obtenu que cette clause suspensive puisse s'appliquer dès l'application à titre provisoire de l'accord. En conséquence, la mise en oeuvre des articles actuellement appliqués provisoirement pourrait d'ores et déjà être suspendue si l'Union européenne constatait que la situation des droits de l'Homme venait à se dégrader de manière significative en Colombie ou au Pérou. Lorsque l'accord entrera en vigueur, il pourra être suspendu soit sur la base de l'article 1 relatif aux principes démocratiques et droits fondamentaux, soit sur celle de l'article 2 relatif au désarmement et à la non-prolifération des armes de destruction massive. L'article 2 ne fait cependant pas l'objet d'une application provisoire.
Par ailleurs, des garanties en matière sociale sont présentes dans le chapitre « développement durable » de l'accord, très explicite sur les huit conventions fondamentales de l'OIT, puisque les parties sont encouragées à les mettre en oeuvre de façon effective. L'article 269 prévoit des échanges d'information entre les parties sur la ratification de conventions prioritaires (les conventions de gouvernance) et toute autre convention. En outre, les parties reconnaissent l'importance des activités de coopération entre autres dans le domaine du contrôle, du suivi et de la mise en oeuvre effective des conventions fondamentales de l'OIT (article 286).
Pour terminer, j'aimerais souligner que la partie commerciale de l'accord est déjà mise en oeuvre à titre provisoire depuis 2013. En revanche, le volet politique de notre dialogue, dont une partie relève des Etats membres de l'Union, doit encore être développé, et manque parfois de souffle. La France pourrait être le catalyseur d'un dialogue politique plus soutenu avec ces deux pays, et selon une méthode renouvelée. Les inégalités et l'absence d'état de droit sont aujourd'hui les deux principaux obstacles au développement en Amérique latine, qui s'alimentent mutuellement. Les deux pays sont aussi confrontés à de réels problèmes environnementaux. Dans les deux cas, la France a beaucoup à apporter, que ce soit en matière de coopération dans les domaines de la santé et des politiques sociales, de la lutte contre les inégalités, de la coopération en matière de justice et sécurité, mais aussi de développement durable, sujet de préoccupation crucial pour la population de ces deux pays et dans lequel la France a une véritable expertise et pourra donner corps à cet accord.
Au bénéfice de ces remarques, je vous invite à adopter le présent projet de loi.