Intervention de Linda Gourjade

Réunion du 16 septembre 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLinda Gourjade, rapporteure :

Le programme national de réduction du tabagisme (PNRT), présenté en Conseil des ministres le 25 septembre 2014, prévoit notamment la ratification du protocole pour l'élimination du commerce illicite des produits du tabac.

C'est le projet de loi proposé par le Gouvernement pour autoriser sa ratification que je vous présente aujourd'hui. Ce protocole complètera et renforcera les actions déjà engagées dans ce domaine.

Le protocole a été adopté le 12 novembre 2012, à Séoul, par la 5e conférence des Parties à la convention-cadre de l'Organisation Mondiale de la Santé pour la lutte antitabac.

A ce jour, le protocole a été signé par 53 Etats et par l'Union européenne. La France sera, si vous l'approuvez, le 10e pays à le ratifier. Quarante pays devront l'avoir fait pour que ce texte entre en vigueur.

Le protocole permettra de lutter plus efficacement contre le commerce illicite des produits du tabac dont les conséquences sont néfastes à plus d'un titre.

Au plan fiscal, les pertes annuelles seraient de plus de 10 milliards d'euros au sein de l'Union européenne, en raison du non-paiement des droits et taxes. Au plan international, l'estimation des pertes totales de revenus était de 40 milliards de dollars en 2010.

Outre l'impact sur les finances publiques, le commerce illicite des produits du tabac entrave la politique fiscale du tabac, menée au service de la santé publique. Les enjeux sont immenses : le tabac représente un coût social de 120 milliards d'euros. Il convient de protéger les prix pratiqués en France dans le réseau des buralistes en renforçant la lutte contre les trafics et les dérives des achats transfrontaliers. Par ailleurs, s'il existe déjà des risques sanitaires très élevés pour les produits légaux du tabac, les risques sont évidemment majorés quand il s'agit de contrefaçons ou de cigarettes dont la vente n'est pas autorisée en France.

Enfin, la Commission européenne estime que les trafics sont presque exclusivement entre les mains de réseaux criminels organisés, opérant par-delà les frontières. Ce commerce illicite participe du développement de l'économie parallèle. Il enrichit les groupes criminels et contribue à financer d'autres activités relevant de la criminalité organisée, notamment les trafics de stupéfiants et d'armes, la traite des êtres humains, voire des activités terroristes.

Selon la douane, les achats hors réseau des produits du tabac représentaient en 2011 environ 20 % de la consommation, soit 15 % d'achats transfrontaliers, qui sont licites dans la limite de la consommation personnelle des particuliers, et 5 % d'achats illégaux. Les chiffres sur lesquels s'appuient les cigarettiers sont assez différents : selon eux, les achats hors réseau représenteraient 26,3 % des ventes, les achats transfrontaliers licites 11,6 % et les achats illicites 14,7 %.

Le commerce illicite peut prendre de multiples formes : la contrebande de produits authentiques du tabac, suivant diverses techniques, la contrebande de contrefaçons ou encore la distribution de marques de cigarettes licites dans leur pays de production et fabriquées par des producteurs indépendants, mais non autorisées en France, les « cheap whites » ou « illicit whites ». La marque de cigarettes « Jin Ling » serait ainsi produite à Kaliningrad, en Ukraine et en Moldavie.

Les « cheap whites » représenteraient 45 % du marché des cigarettes au Royaume-Uni et en Allemagne. En France, la douane estime que désormais le marché de la contrebande est essentiellement alimenté par des « illicit whites », plutôt que par des cigarettes authentiques ou des contrefaçons.

Le protocole qui nous est soumis comporte principalement trois séries de mesures utiles pour renforcer la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac.

Tout d'abord, ces mesures visent à améliorer le contrôle de la chaîne logistique. Le protocole demande de soumettre à une licence ou à une autorisation un certain nombre d'activités, notamment la fabrication des produits du tabac, ainsi que leur importation et exportation. L'obligation de vérification diligente, qui s'imposera aux acteurs de la chaîne logistique, concerne notamment l'identification des clients, le contrôle des ventes afin de s'assurer que les quantités sont proportionnées à la demande sur le marché de destination, et le signalement des clients qui violeraient leurs obligations.

L'article 8 du protocole demande l'instauration d'un régime mondial de suivi et de traçabilité. Les systèmes retenus au plan national ou régional n'ont pas vocation à être identiques, mais interopérables. Il en résulte d'importantes marges de manoeuvre. Des marques d'identification uniques, sécurisées et indélébiles seront apposées sur les paquets de cigarettes, les cartouches et les conditionnements extérieurs. Afin de permettre la reconstitution des mouvements des produits, de nombreuses informations relatives à leur fabrication et à leur circulation devront être enregistrées. Les données seront accessibles sur demande auprès d'un point focal mondial. Il devrait s'agir d'un portail sécurisé.

Une deuxième série de mesures est relative aux infractions. Une liste d'actes illicites liés aux trafics des produits du tabac est établie. Les Parties devront prendre leurs dispositions pour que ces actes soient effectivement considérés comme illicites en droit interne et qu'ils fassent l'objet de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. Ces sanctions n'ont pas nécessairement vocation à être pénales. En vue de renforcer la détection et la répression du commerce illicite, le protocole comporte aussi des stipulations relatives aux livraisons surveillées et à d'autres techniques d'enquête spéciales.

Enfin, le protocole demande le développement de coopérations internationales dans de nombreux domaines : les échanges d'informations, sous forme de données agrégées ou de données personnelles, dans le respect des législations nationales, c'est-à-dire en France la loi « Informatique et libertés » ; le renforcement des capacités, notamment par la recherche de financements pour aider les pays en développement ou à économie en transition ; l'assistance administrative mutuelle ; ou encore la coopération judiciaire.

Si l'enjeu immédiat est d'assurer la ratification du protocole en France, il convient aussi de favoriser son entrée en vigueur aussi large que possible dans le monde. Des actions de promotion du texte au plan international et de sensibilisation à ses enjeux peuvent y contribuer.

En France, le protocole consolidera la situation actuelle. La douane utilise déjà une large palette de coopérations internationales qui sont présentées dans mon rapport écrit. Notre dispositif est également très complet pour la répression des actes que le protocole demande de traiter comme illicites, à une exception près. En revanche, ce n'est pas le cas partout dans le monde. Le protocole a pour mérite de rapprocher les mesures de lutte contre le commerce illicite des produits du tabac. En ce qui concerne le dispositif de suivi et de traçabilité, la mise en oeuvre du point focal mondial nous permettra de sortir de la seule logique européenne.

Au-delà du projet de loi dont nous sommes saisis, il resterait à assurer et compléter la mise en oeuvre du protocole. Sans attendre, en France et en Europe, nous avons déjà engagé les travaux sur le système de suivi et de traçabilité. Une directive européenne de 2014 traite notamment de cette question. Cette directive a déjà été transposée dans le code général des impôts. La Commission européenne doit maintenant adopter des actes délégués et d'exécution pour compléter l'application du dispositif.

Il s'agit des normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement au plan communautaire du système d'identification et de traçabilité. Les travaux sont en cours au sein d'un groupe d'experts au plan européen. Il faudra être vigilant sur le plein respect des stipulations du protocole, notamment en ce qui concerne le rôle de l'industrie du tabac.

Dans une communication au Conseil et au Parlement européen en date du 6 juin 2013, la Commission européenne mettait également l'accent sur l'utilité d'autres mesures qui permettraient de prolonger et de compléter la mise en oeuvre du protocole.

La Commission insistait notamment sur les différences importantes de taxation et de prix sur les produits du tabac au plan européen. Il en résulte un environnement favorable à la contrebande mais aussi au développement des achats transfrontaliers. Ces derniers sont manifestement disproportionnés. Une convergence des niveaux de taxation, par le haut, serait particulièrement utile.

La Commission européenne a également mis en lumière des lacunes dans l'utilisation et le partage des informations dans le cadre de l'analyse du risque, l'absence d'outils de contrôle, tels que des scanners ou des chiens renifleurs, en quantités suffisantes dans certains Etats membres, l'existence de marges de progrès dans les échanges de renseignements et d'informations opérationnelles entre les différentes autorités de l'Union participant à la lutte contre la fraude douanière, la criminalité organisée et la criminalité transfrontalière, le niveau de corruption qui persiste dans certaines autorités de répression, notamment douanières, alors que la corruption est l'une des principales méthodes utilisées par les trafiquants, le niveau et la qualité variables des coopérations entre l'Union européenne et les pays tiers, ainsi que le niveau très variable et parfois insuffisant des sanctions administratives ou pénales prévues contre les trafiquants de produits du tabac.

Ces différentes lacunes appellent des mesures correctrices qui ne pourront que renforcer la lutte contre le commerce illicite du tabac.

Au bénéfice de ces différentes observations, je vous invite à adopter le projet de loi autorisant la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac.

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