Intervention de Patrick Artus

Réunion du 13 décembre 2012 à 9h15
Mission d'information sur les coûts de production en france

Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis :

Le vrai problème du marché du travail français, c'est qu'il n'y a aucune corrélation entre l'évolution des salaires et celle de la situation économique. Dans tous les autres pays de l'OCDE, lorsque la compétitivité se dégrade ou que le chômage monte, la progression des salaires ralentit ; la baisse du coût du travail constitue alors une force de rappel qui corrige la compétitivité et exerce ainsi un effet stabilisateur. Nulle force de rappel en France : le salaire ne réagit à rien – ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Il a une vie autonome, augmentant toujours dans la même proportion, quelle que soit la situation économique.

Deux explications peuvent être invoquées. D'abord le fait que l'évolution du SMIC suive, non celle de la conjoncture, mais bien plutôt celle des prix – quand il ne la devance pas. Comme ce salaire minimum se monte à 47 % du salaire médian, il en résulte un tassement de la hiérarchie des rémunérations dont une grande partie se retrouve, comme lui, déconnectée de la croissance.

D'autre part, la France fournit l'exemple même du concept de « syndicats d'insiders » théorisé par Robert Solow dans les années 1970. Lorsque les syndicats ne représentent dans les négociations avec les employeurs que les salariés qui ont un travail dans l'entreprise – et non ceux qui l'ont perdu –, les salaires ont tendance à augmenter en période faste et à simplement stagner en période difficile, mais ils n'évoluent jamais de manière à ramener les chômeurs à l'emploi. Dès que la situation s'améliore, ceux qui ont eu la chance de garder leur travail obtiennent de nouvelles hausses de salaires, ce qui maintient ceux qui l'ont perdu en dehors de l'entreprise. Il y a donc un effet de cliquet qui explique qu'en France l'inertie du chômage lors des périodes de reprise économique soit la plus élevée de tous les pays de l'OCDE.

Les réflexions académiques sur le sujet s'accordent sur la nécessité de rendre le niveau du SMIC dépendant de la croissance, afin qu'il augmente davantage lorsque la situation est bonne, et qu'il augmente moins, voire qu'il baisse, en cas de récession. Cette idée, qui faisait partie des propositions de campagne du président Hollande et qui est actuellement en débat, m'apparaît raisonnable. D'autre part, pour les négociations salariales, il conviendrait de se rapprocher du modèle allemand ou scandinave, pour y inclure, outre les salariés en CDI qui ont gardé leur emploi, les chômeurs et les salariés en CDD ou en intérim. Comme le montrent surabondamment les études sur le marché du travail, le niveau de négociation est ici important : une négociation très décentralisée – par usine ou par établissement – favorise les syndicats d'insiders alors qu'une négociation par branche est plus propice à une démarche macroéconomique visant à ramener au travail les chômeurs. Le modèle allemand de négociation par branche semble donc supérieur au modèle français, très décentralisé. Certains travaux anglais encore moins politiquement corrects montrent qu'il est très mauvais d'avoir plusieurs syndicats en concurrence ; le modèle allemand – un syndicat par branche – donne là encore de meilleurs résultats.

En revanche, il n'y a pas de travaux en France sur le coût de l'environnement administratif. Ce n'est d'ailleurs pas tant l'administration que l'empilement de normes – de sécurité ou environnementales –, ainsi que leur application rigide par les directions régionales de l'industrie, qui sont mis en cause. Cependant, à ma connaissance, ce point non plus n'a pas fait l'objet d'études nationales. Certains patrons avancent bien des chiffres pour leur entreprise et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) évalue ce coût des normes en points de PIB, mais on ne sait comment elle est parvenue à ce résultat.

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