Intervention de Xavier Ragot

Réunion du 15 septembre 2015 à 13h30
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Xavier Ragot, président de l'OFCE :

Effectivement.

Une première approximation, qui nous paraît raisonnable, de l'effet de la baisse des dotations sur la croissance – avec un effet multiplicateur supérieur à 1 et une absorption partielle par la dette – s'établit à un facteur 1. Ainsi, une baisse des dépenses publiques de 11 milliards d'euros se soldera, à trois ans, par une baisse de 11 milliards d'euros de l'activité économique, soit 0,55 % du PIB – je parle de la baisse cumulée sur trois années consécutives.

Le taux moyen de prélèvements obligatoires étant de 50 % environ – c'est-à-dire que l'État prélève 50 % de la richesse produite –, si on baisse l'activité de 0,5 point de PIB, on va faire baisser les recettes fiscales de la moitié de ce montant, c'est-à-dire d'environ 0,26 point. L'effet attendu net à trois ans de l'impact sur la consolidation du budget de l'État ne serait que de 5,5 milliards d'euros, soit la moitié des 11 milliards d'euros attendus, du fait de la baisse de l'activité économique.

J'en viens aux effets à long terme de l'investissement public sur la croissance. Nous ne disposons que de peu d'informations sur cette question, et je souhaite que l'OFCE y travaille afin de mieux comprendre les mécanismes qui la régissent. Parfois, la notion même de patrimoine public est absente des réflexions menées dans le domaine de la fiscalité publique, ce qui est anormal. Si très peu de données sont disponibles au sujet de la France, certaines le sont au niveau international, notamment auprès du FMI. Ces données mettent en évidence un effet extrêmement important de l'investissement public sur la croissance à moyen terme – c'est-à-dire à un horizon de cinq ans. Le FMI retient un multiplicateur de 3, ce qui s'explique par le fait que son analyse est globale et inclut des pays en récession, souffrant d'un déficit de demande. En effet, l'effet multiplicateur maximal de l'investissement public est obtenu dans les environnements économiques les plus dégradés. À l'inverse, dans les pays qui vont bien et sont proches du plein-emploi – je pense notamment à l'Allemagne –, le multiplicateur est bien plus faible, de l'ordre de 0,7 : un euro d'investissement public augmente la croissance de 0,70 euro. Pour la France, le multiplicateur à moyen terme cumulé est difficile à estimer, mais l'OFCE penche – sans certitude, compte tenu du débat complexe sur l'offre et la demande dans notre pays – pour un multiplicateur proche de 2.

À très long terme, il faut tenir compte de facteurs peu souvent considérés, à savoir l'effet du stock de capital public – notamment les infrastructures – sur la croissance. Nous disposons de très peu d'études convaincantes sur les données françaises, mais certaines études effectuées sur les régions – notamment celle de Sylvie Charlot, Virginie Piguet et Bertrand Schmitt – aboutissent à des effets positifs, sans que les ordres de grandeur puissent être précisés ici, car ils sont sujets à débat. En tout état de cause, il ne fait pas de doute que l'augmentation du capital public à long terme a un effet multiplicateur sur l'investissement total à très long terme, avec une élasticité – c'est-à-dire un effet d'entraînement sur le stock de capital – de l'ordre de 0,17, c'est-à-dire qu'une augmentation du capital public de 1 % tend à augmenter le capital total privé dans l'économie en raison d'une augmentation de l'activité économique.

S'il est difficile d'analyser l'effet à long terme de l'investissement public, c'est aussi parce qu'il l'est tout autant de distinguer l'investissement public des frais de fonctionnement. Ainsi, l'évolution de la fermeture des crèches peut s'interpréter comme une rationalisation de la masse salariale des collectivités publiques, mais les économistes savent que le nombre de places de crèches disponibles a un effet sur le taux de participation des femmes au marché du travail. En France, où ce taux est élevé, l'investissement dans les crèches constitue une forme indirecte d'investissement dans le capital humain, ayant un effet de long terme positif sur la croissance, bien qu'il ne soit pas compté comme un investissement public, mais entre dans les frais de fonctionnement.

Il est légitime de commencer par se concentrer sur l'investissement public, mais il ne faut pas négliger d'élargir ensuite l'estimation de l'évolution des dépenses des collectivités locales en tenant compte de ses effets de long terme, structurants sur les territoires comme le sont notamment la circulation des hommes et des marchandises, ainsi que la connexion des bassins d'emploi. Ainsi, les dispositions de la loi Macron relatives aux autocars ont donné lieu à des estimations très élevées de leur effet sur la croissance, un effet attribué à la facilitation de la circulation de la main-d'oeuvre. Tout ce qui favorise la circulation au sein des territoires et l'accès au marché du travail a des effets de long terme sur la croissance que l'on connaît peu, mais qui doivent être pris en compte si l'on s'interroge sur l'évolution des dépenses publiques à long terme.

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