Intervention de Patrick Artus

Réunion du 13 décembre 2012 à 9h15
Mission d'information sur les coûts de production en france

Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis :

La montée en gamme de nos productions industrielles relève-t-elle de choix stratégiques globaux a priori, ou vaut-il mieux, comme le Fonds stratégique d'investissement (FSI), appuyer les projets des entreprises en pensant qu'elles sont les mieux placées pour juger de ce qu'elles peuvent ou non ? Il faut sans doute combiner les deux approches.

Les secteurs qui conservent un avantage comparatif sont l'agro-alimentaire, les industries du luxe, l'aéronautique et la pharmacie. Mais c'est à peu près tout.

Aux États-Unis, selon le Department of Energy, le recours au gaz de schiste viserait à réduire les dépenses militaires afin de rééquilibrer le budget fédéral et de financer les dépenses de santé. Il permettrait en effet de ne plus importer, à partir de 2016, aucune ressource énergétique du Moyen-Orient, ce qui permettrait aux Américains de se désengager de cette région. L'objectif, on le voit, est autant géopolitique que budgétaire.

La création de l'Office européen des brevets (OEB) constitue, en effet, un indéniable progrès et je suis d'accord avec vous sur l'intérêt qu'aurait un brevet unique. En revanche, je ne vous suivrai pas en ce qui concerne le cours élevé de l'euro.

Notons d'abord que ce haut niveau de la monnaie unique ne saurait être imputé à la politique de la Banque centrale européenne (BCE) : depuis le début de la crise, celle-ci a créé plus de monnaie que la Réserve fédérale américaine. Que peut-elle faire de plus ?

Précisons surtout qu'un taux de change favorable à l'euro ne représente pas nécessairement un handicap économique. Une dépréciation monétaire avantagerait à court terme nos produits industriels, mais nous appauvrirait en renchérissant nos importations, dans une proportion supérieure aux gains obtenus à l'exportation. Ce serait donc une très bonne chose pour un pays très industrialisé comme l'Italie, mais pas pour la France et pour son PIB. C'est d'ailleurs pourquoi la Grèce, très dépendante des importations, ne veut pas renoncer à l'euro.

Je prévois en effet une récession économique en France pour 2013 et 2014. En raison d'un marché du travail très peu réactif, nos cycles économiques sont plus longs que ceux d'un pays comme l'Espagne. En cas de crise, notre consommation résiste mieux qu'ailleurs car les salaires ne s'ajustent pas immédiatement. Mais les difficultés finissent par nous rattraper, avec deux ans de décalage sur les autres. Le pire de la crise est donc devant nous, probablement en 2013, quand nos concurrents commenceront à se redresser un peu.

On peut difficilement moduler le CICE en fonction du type d'entreprises ou du secteur d'activité, ne serait-ce que pour des raisons de droit constitutionnel. La proposition initiale de Louis Gallois me paraissait préférable : faire jouer les allégements entre 2 et 3,5 SMIC, le tri sectoriel s'opérant alors par le simple effet de ces seuils.

S'agissant de la crise de l'euro, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que l'Allemagne accepte jamais d'aider les autres pays européens en laissant filer chez elle inflation et salaires. En effet, comme l'a confirmé il y a quelques jours le ministre allemand des finances, M. Schaüble, elle entend bien conserver son avantage compétitif et prendra, éventuellement, de nouvelles mesures en ce sens, comme l'avait fait le gouvernement Schröder. On pense à cet égard la même chose au SPD et à la CDU : presque tous les économistes allemands jugent que certains pays d'Europe vivent au-dessus de leurs moyens et que c'est donc à eux de consentir les sacrifices nécessaires. Autrement dit, les Allemands ne paieront pas d'impôts supplémentaires pour subventionner Volkswagen afin que l'entreprise construise des usines au Portugal… Pour reconstruire notre industrie, nous ne pouvons donc compter que sur nos propres forces !

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