Intervention de Henri Emmanuelli

Réunion du 15 septembre 2015 à 15h00
Mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, bpifrance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Emmanuelli, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations :

Je suis content de vous voir, monsieur le ministre, car j'ai tellement entendu parler de vous pendant ce mois d'août que je me suis demandé si nous n'assistions pas à une seconde assomption.

En ce qui concerne la gouvernance, je crois que l'association, à parts égales, de l'État et de la Caisse des dépôts est une fausse solution. Il est en effet normal, cela ne me choque pas, que, dans une telle situation, l'État ait la main – et non la Caisse : je reste légitimiste. Cette association est donc fictive. Si je dis cela, c'est parce que je vois se profiler d'autres associations à « 50-50 », avec l'Agence française de développement (AFD) et d'autres. Je le dis franchement, ce n'est pas une bonne idée. Si le Gouvernement souhaite filialiser la Caisse des dépôts, et le débat est légitime, il doit le dire mais il ne doit pas agir de manière insidieuse en proposant ce type d'association, alors qu'il s'agit – appelons un chat un chat – de prendre à la Caisse l'argent qu'il n'y a plus dans le budget de l'Etat. Je ferai donc en sorte que nous ayons un débat sur ce sujet.

Du reste, on dit que la gouvernance de Bpifrance est satisfaisante, mais j'ai tout de même le sentiment, monsieur le ministre, qu'il était parfois difficile de se faire entendre. Quand on n'obtenait pas ce que l'on voulait à Bercy, on allait le chercher rue de Lille, et inversement. On était de partout et de nulle part ! D'autant que le Gouvernement, qui tenait la plume, et le Parlement ont commis l'erreur de faire nommer le directeur général de Bpifrance en Conseil des ministres. Car, qu'on le veuille ou non, toutes les personnes qui sont nommées en Conseil des ministres se prennent peu ou prou pour des ministres, et il est très difficile pour les véritables ministres de leur expliquer que tel n'est pas le cas. Cela vaut pour Bpifrance comme pour la Caisse des dépôts qui, bien qu'elle soit soumise au contrôle du Parlement, a un directeur général nommé en Conseil des ministres. Montesquieu aurait bien du mal à s'y retrouver ! Tout cela n'est pas sain.

Je crois donc qu'il est nécessaire de revoir – et je crois que vous êtes capable de le faire – l'organisation des relations entre l'APE, Bpifrance et la Caisse des dépôts. Contrairement ce que beaucoup croient, Bpifrance n'est pas le fonds souverain de l'État français. Certains chefs d'entreprise sont flattés de la voir entrer au capital de leur entreprise, mais d'autres sont effrayés car ils ont le sentiment qu'ils vont être étatisés, nationalisés ou « souverainisés ». Le fonds souverain de l'État, c'est l'APE, puisqu'elle gère le portefeuille de ses actifs financiers. Pourtant, elle ne se comporte pas toujours comme tel. Quand je vois qu'elle vend une partie d'une belle société, filiale d'une entreprise du secteur de l'armement, dont la réussite technologique dans le domaine des solutions de paiement est fabuleuse, à Bpifrance pour qu'elle ne passe à l'étranger, je me dis, là encore, que ce mélange des genres n'est pas sain. Je pars du principe qu'à Bercy, les gens sont intelligents, rationnels et cherchent la clarté mais, parfois, on ne comprend pas grand-chose. Je compte donc sur vous pour mener une réflexion sur les rôles respectifs de l'APE, de Bpifrance et, accessoirement, de la Caisse des dépôts, qu'il s'agisse de son action contracyclique ou, éventuellement, de son rôle de porte-avions financier, qui lui permettrait de contribuer à combler la faille de marché que vous avez mentionnée pour les tickets supérieurs à 20 millions et d'empêcher ainsi certaines sociétés qui ne trouvent pas les relais financiers nécessaires en France de se délocaliser.

Je crois donc que la gouvernance actuelle n'est pas la meilleure et – mais je sais que cet avis n'est pas partagé par tous – que l'un des deux acteurs, l'État ou la Caisse des dépôts, devrait prendre la main : il faut sortir du « 50-50 ».

Cela dit, que les choses soient claires : Bpifrance est une réussite. Elle s'est installée dans le paysage en un temps record et elle joue un rôle considérable, notamment dans le domaine du financement, grâce au fameux prêt à sept ans – deux ans de différé et cinq ans de remboursement –, qui est un outil de développement très intéressant pour les PME, les PMI, voire des sociétés plus importantes.

En ce qui concerne les crédits à court terme, vous avez évoqué la question du CICE, que j'ai découverte assez tardivement et qui m'a stupéfié. Qu'il faille des mois de concertation entre la direction des finances, celle du Trésor et celle des services fiscaux pour résoudre ce problème, alors qu'il suffisait de concevoir un formulaire ou de prendre un arrêté, c'est tout de même un peu agaçant. Cependant, les crédits à court terme sont, vous le savez, parmi les plus risqués, et nous avons un problème dans ce domaine.

Par ailleurs, il serait utile que nous disposions d'une étude de l'activité bancaire de Bpifrance, car il me semble que, comme dans toutes les banques du reste, les résultats sont très variables d'une région à l'autre. Dans certaines d'entre elles, cela fonctionne très bien ; dans d'autres, il faut appeler plusieurs fois, et il arrive qu'on ne vous rappelle même pas. Or, si l'on ne rappelle pas le président de la commission de surveillance de la Caisse – et cela m'est arrivé trois fois –, il n'est pas certain qu'on rappelle les chefs d'entreprise…

Quant à la question du cofinancement, elle est très complexe – je n'ai pas de solution miracle en la matière. Si l'on déroge à la règle du cofinancement, on perd aux yeux de Bruxelles la qualité d'investisseur avisé et l'intervention de Bpifrance entre dans la catégorie des aides d'État. Mais, si l'on colle à cette doctrine, que ce soit dans le domaine de l'investissement ou du crédit, on peut se trouver dans des situations difficiles. Ainsi, une entreprise qui s'était vu accorder une garantie par Bpifrance au mois de février dernier n'avait toujours pas l'argent au mois d'août, faute de cofinanceur. Il en est de même dans le domaine de l'investissement. Bpifrance fait son travail, mais que faire si elle ne trouve pas de cofinanceur ?

Je ne reviendrai pas sur le retournement, mais je me demande si la solution ne consisterait pas à créer, à côté de Bpifrance, un outil approprié à ces cas-limites. Je sais que vous ne laissez pas tomber ces entreprises : dans le cas de Gascogne, par exemple, votre ministère a fait intervenir massivement le Fonds de développement économique et social (FDES) pour apporter le complément nécessaire. Mais il s'agit d'une forme d'acrobatie qui n'est pas satisfaisante. Nous pourrions donc créer un véritable fonds de retournement – auquel pourraient être associés des gens du privé, si on les incite fortement –, ce que n'est pas, contrairement à ce que dit M. Dufourcq, le Fonds de consolidation et de développement des entreprises (FCDE), qui est un fonds de rebond. Ce fonds de retournement, vous le savez, est attendu, mais tout le monde est contre, notamment à Bercy où, sans doute parce que Schumpeter y règne sur les consciences, les membres des corps prestigieux considèrent que les canards boiteux sont à fuir.

Enfin, faut-il rappeler que le Fonds stratégique d'investissement (FSI) puis Bpifrance ont mis pas mal d'argent dans les fonds de fonds, qui sans ces deux opérateurs auraient eu bien des difficultés à lever des fonds ? Les sociétés de gestion sont formidables, mais il n'y a pas moyen d'obtenir quoi que ce soit d'elles : elles sont indépendantes. Elles perçoivent leur commission mais, lorsqu'on a besoin d'elles, elles ne sont pas là. En tant que ministre, vous n'avez donc aucun pouvoir sur le pilotage des fonds de fonds. Il est tout de même curieux qu'alors que la part des fonds d'origine publique y est si importante, les sociétés de gestion puissent faire ce qu'elles veulent au nom du dogme anglo-saxon de l'investisseur avisé et de la libre décision. Je suis choqué que, lorsqu'on demande à ces fonds de faire un geste sur des dossiers un peu difficiles mais intéressants, ils ne bougent pas. Je précise néanmoins que Bpifrance a réduit le nombre des fonds de fonds auxquels elle souscrit afin d'assainir le marché financier français dans ce domaine. Mais il faut trouver une solution pour que, lorsqu'on les appelle au secours à propos d'entreprises qui en valent la peine, ces gens se souviennent qu'ils gagnent pas mal d'argent grâce aux fonds publics.

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