Intervention de Marie-George Buffet

Séance en hémicycle du 28 septembre 2015 à 16h00
Création architecture et patrimoine — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Ce projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine arrive devant la représentation nationale après avoir emprunté un long et difficile chemin. Le Président de la République, alors candidat, avait pris des engagements qui ont mobilisé de nombreux acteurs et actrices de la culture. Ainsi, dans ses propositions 44 et 45, il s’engageait à mettre en place « un plan national d’éducation artistique », à « voter une loi d’orientation sur le spectacle vivant » ou encore à faire adopter « une grande loi signant l’acte 2 de l’exception culturelle française ».

Depuis, à de nombreuses reprises, nous avons entendu parler de projets ministériels concernant des lois à venir sur le livre, le spectacle vivant… Malheureusement, en ce domaine aussi, il y a eu des déceptions.

D’abord, en matière budgétaire avec plusieurs années de recul pour le budget de la culture et des baisses de dotation pour l’audiovisuel public. J’espère que l’exercice 2016 constituera un tournant significatif. Ensuite, en matière de choix politiques. Notre assemblée s’est réunie en juin 2013 autour d’une résolution visant à défendre l’exception culturelle en Europe à la veille des négociations sur le traité transatlantique.

À cet égard, nous attendons, au plan européen, des actes forts du Gouvernement pour faire vivre cette exception culturelle en faisant sortir toutes les activités qui en relèvent du diktat de la concurrence libre et non faussée.

Nous y reviendrons, je l’espère, dans le débat à propos des amendements que nous avons déposés pour faire reconnaître d’intérêt général les entreprises du secteur de la création comme de la production culturelle. Nous attendons aussi des actes forts en ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage par le secteur public en matière d’archéologie préventive.

Mais, je m’en réjouis, un projet de loi nous est enfin soumis. Ce n’est pas la loi d’orientation et de programmation pour la culture, espérée par de nombreux acteurs et actrices de l’activité culturelle. Ce n’est pas encore la grande avancée attendue par toutes ces femmes et tous ces hommes qui espéraient, avec la victoire de la gauche, passer de l’ère marchande en matière culturelle à une nouvelle avancée anthropologique portée par une politique publique audacieuse.

Mais le projet de loi qui nous est soumis peut être le moyen de franchir une étape importante, après avoir été considérablement amélioré par le travail en commission. Je remercie ici notre rapporteur pour son excellent travail et vous, madame la ministre, pour votre qualité d’écoute. Notre travail en commission a répondu à un certain nombre d’attentes exprimées par les organisations syndicales et d’autres acteurs au cours des nombreuses auditions réalisées. Ainsi, des secteurs complètement absents du projet de loi initial ont été introduits. Ce fut le cas de l’encadrement des pratiques amateurs dans le spectacle vivant, indispensable à leur épanouissement, même si la rédaction du texte peut et doit encore être améliorée.

Il en est de même des archives et de l’architecture. Le travail mené par de nombreux architectes, consigné dans le rapport qui vous a été remis, madame la ministre, trouve maintenant pour l’essentiel une traduction législative. Citons également l’introduction dans l’article 2 de la loi, relatif aux objectifs des politiques du service public en faveur de la création artistique, du parcours d’éducation artistique et culturel inscrit dans le code de l’éducation par la loi relative à la refondation de l’école. Soulignons aussi que cet article a pour objectif de favoriser la juste rémunération des auteurs et un partage équitable de la valeur, notamment par la promotion du droit d’auteur aux échelons européen et international.

Je me félicite de l’adoption d’un amendement favorisant l’équité territoriale proposé par notre groupe et d’un autre relatif au rôle des politiques publiques dans l’encouragement de la création et de l’accès du plus grand nombre aux activités et pratiques culturelles. Enfin, la reconnaissance du rôle des associations et donc de l’éducation populaire dans la réalisation de ces objectifs constitue un point positif. Je salue également l’amendement gouvernemental relatif à la lutte contre le trafic d’oeuvres d’art. Toutefois, il reste encore du travail pour finaliser le projet de loi du point de vue des enjeux et des attentes. Comme le dit Marc Slyper, responsable de la CGT Spectacle, le projet de loi reste bloqué au milieu du gué. Je traiterai donc, afin de le faire avancer, de trois pistes de travail.

En matière de politiques publiques tout d’abord, il existe un risque de faire glisser les politiques publiques en matière d’art et de culture sous la seule responsabilité des collectivités territoriales, en particulier des treize régions créées par la loi NOTRe. Il me semble donc nécessaire de réaffirmer le rôle de l’État garant de l’égalité républicaine en prenant acte du rôle des directions déconcentrées et en créant les conditions d’un travail de mise en commun et en cohérence entre les différents acteurs que sont l’État, les collectivités et les organisations culturelles et professionnelles, au profit d’une grande ambition nationale. Nous présenterons un amendement à cette fin. En matière culturelle en effet, la responsabilité nationale est engagée et ne peut se résumer à la seule délivrance de labels ou à la signature de contrats avec des collectivités territoriales soumises par ailleurs à des réductions drastiques des dotations de l’État.

Deuxièmement, il convient de combler l’absence étonnante dans le projet de loi du secteur audiovisuel. On nous a indiqué en commission que la loi du 30 septembre 1986, qui le régit et qui a déjà été modifiée soixante-treize fois, ne doit pas être concernée par le projet de loi, mais peut-on envisager qu’un vecteur culturel essentiel pour le plus grand nombre en soit absent ? Comment gommer l’apport de cet outil populaire qu’est notre audiovisuel public à la création et à l’accès aux oeuvres ? L’inclure dans le projet de loi vaudrait reconnaissance de son rôle et affirmation de ses missions ainsi qu’engagement à lui fournir les moyens de les accomplir. Peut-être est-ce là le problème !

Notre troisième préoccupation concerne les professionnels du spectacle, qui sont peu servis par le projet de loi alors que le Gouvernement s’est engagé auprès de leurs représentants à sécuriser les parcours professionnels des artistes et techniciens des métiers du spectacle. Ils ont certes obtenu un acquis important avec l’introduction dans la loi du régime spécifique des intermittents du spectacle, mais il nous faut encore légiférer pour faire reculer la précarité. Le spectacle ne peut vivre sans ses artistes et ses techniciens. Ces femmes et ces hommes doivent bénéficier des droits et protections dus à toute personne qui travaille. Tel est le sens de trois amendements présentés par les députés du Front de gauche.

Avant de conclure, je mentionnerai notre désaccord avec le titre III qui prévoit des habilitations à légiférer par ordonnance : un tel projet de loi mérite mieux ! Notre commission l’a déjà beaucoup enrichi, mais il doit encore être travaillé afin de répondre aux attentes des acteurs et actrices de la culture et réaliser toute l’ambition de cette loi attendue depuis plus de vingt ans. Les députés du Front de gauche comptent y contribuer et espèrent que notre assemblée saura se rassembler autour d’une grande ambition pour la culture.

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