Article premier : « La création artistique est libre ». Cinq mots seulement, mais cinq mots qui changent tout car ils inscrivent clairement dans la loi un principe fondamental. En effet, la création artistique ne peut se résumer à un chapitre de la liberté d’expression. Elle est à la fois plus et autre chose, une somme d’univers et de volontés, d’idées et de vagabondages qui trouve sa définition uniquement dans les multiples facettes et les véhicules nombreux et variés grâce auxquels elle existe. Oui, la création artistique est par essence liberté, dans toute sa force, toute sa diversité et toute son impertinence ! Chacun aura compris que le responsable du groupe SRC que je suis s’apprête à débattre du projet de loi avec un enthousiasme certain, épaulé par mes collègues Sophie Dessus pour la partie du texte relative au patrimoine, Martine Faure pour la partie relative à l’architecture et Hervé Féron pour la partie relative à la création.
Il s’agit d’un texte très attendu, en raison du principe premier qu’il affirme mais aussi de la richesse des territoires qu’il explore et des perspectives qu’il dessine pour des secteurs d’activité qui sont au coeur des travaux de la commission des affaires culturelles et de l’éducation que préside celui qui est aussi notre rapporteur, Patrick Bloche. Je tiens aussi à rappeler que ce texte est aussi l’aboutissement d’un travail global et de longue haleine mené conjointement par le Gouvernement et les membres de notre commission depuis le début du quinquennat, ce qui montre s’il en était besoin l’importance que notre gouvernement accorde à la culture et à la création et témoigne aussi d’une méthode de travail ouverte et de grande qualité dont je vous remercie, madame la ministre.
Le texte qui nous occupera cette semaine aborde en effet plusieurs thèmes qui ont été au coeur de nos travaux, tels que l’intermittence et la propriété artistique et littéraire. Il reprend aussi certains thèmes abordés dans le cadre de nos discussions budgétaires et comporte des articles traduisant les propositions des rapports relatifs à la rémunération pour copie privée, l’architecture ou encore la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
C’est en effet l’une des forces du texte gouvernemental, et l’une de vos réussites, madame la ministre, d’avoir été construit en partenariat avec la représentation nationale, qui fut pleinement écoutée. Je citerai ici quelques rapports d’information dus à nos collègues qui ont nourri le texte de leurs analyses et de leurs préconisations : celui de Martine Faure relatif au nouveau dispositif du service public de l’archéologie préventive, celui de Jean-Patrick Gille relatif aux conditions d’emploi dans les métiers artistiques, celui de Marcel Rogemont relatif au bilan et aux perspectives de trente ans de copie privée, ce qui n’est pas un mince sujet, et ceux de Patrick Bloche relatifs à la création architecturale et aux dix ans de la convention Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Je me félicite par ailleurs que nous débattions de cette grande loi sur la culture dans un contexte économique favorable. En effet, le budget alloué à la création nous permettra de mettre en oeuvre dès l’année prochaine les principes cardinaux qu’elle édicte. 2015 sera donc l’année de la culture comme vecteur d’émancipation, au coeur du combat pour faire vivre les valeurs républicaines et donner à chacun dès le plus jeune âge des clés de lecture pour comprendre son environnement et s’émanciper des influences extérieures – de la culture comme point central de toutes nos libertés.
Mais notre époque, il faut bien le reconnaître, n’est pas toujours celle de l’ouverture et de la tolérance. Plus que jamais, la liberté de création est remise en cause. Des formes de censure d’ordre politique, moral, religieux, voire budgétaire, que l’on a crues disparues un peu hâtivement, envahissent le champ public. Il est donc de notre devoir de protéger les artistes contemporains et les auteurs, et plus encore l’acte créatif d’où qu’il vienne. Les dernières années témoignent de ce besoin impérieux, comme le prouvent les réactions parfois violentes que suscitent certaines oeuvres. Du Lobster de Jeff Koons à Tree, l’arbre de Paul McCarthy vandalisé place Vendôme ou à Dirty Corner, l’oeuvre d’Anish Kapoor exposée dans les jardins de Versailles, sans parler de la censure morale entourant le film Love de Gaspar Noé ni de celle subie par Catherine Corsini à cause de l’affiche du film La belle saison, ou encore des polémiques répétées voire incessantes dont certaines programmations théâtrales font l’objet un peu partout en France, le danger de repli est bien réel.
La création est par essence révolutionnaire, car elle bouscule les idées reçues, réinvente les possibles et recrée à la fois le monde et le regard que nous portons dessus pour faire basculer l’ensemble vers une réalité divergente. S’il incombe à l’État de garantir le maintien de l’ordre, la production artistique contemporaine doit être à même de s’exprimer librement dans l’espace public. Prétendre lui interdire le bouleversement des sens ou des conventions qui sont au coeur de sa volonté émancipatrice, c’est tout simplement nier la nature même de l’acte créatif.
Telle est bien l’ambition du projet de loi et des cinq petits mots de l’article premier qui accorde un fondement juridique à la liberté de la création artistique et permet la protection de l’artiste. L’ambition du projet de loi est aussi de protéger les formes d’expression de l’art et les artistes des influences intérieures, mais aussi des nouvelles formes d’influence et des menaces extérieures, et ce jusque dans les modes de rémunération issus du monde numérique. C’est pourquoi la liberté s’est adossée à un volet relatif au patrimoine culturel. Il est aujourd’hui vital de garantir juridiquement la préservation de notre patrimoine culturel qui est le socle de notre civilisation, d’une partie de notre histoire, et le support de notre mémoire individuelle et collective.
L’enjeu est avant tout politique. Ceux qui ont détruit les Bouddhas de Bâmiyân et ceux qui cherchent à détruire Palmyre, chef-d’oeuvre classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, espèrent ce faisant priver l’humanité de trésors inestimables et inégalables pour celles et ceux qui veulent appréhender l’histoire de nos civilisations et leur devenir. Il est également nécessaire de protéger les échanges de biens culturels avec d’autres nations prises dans des conflits et dans un contexte de barbarie mettant des oeuvres en péril. Tout cela a pour unique but la protection de notre mémoire collective d’où qu’elle vienne un peu partout sur la planète.
Enfin, la deuxième partie du projet de loi, relative à la modernisation de la protection du patrimoine, réforme le code de l’urbanisme afin d’associer la préservation de nos richesses patrimoniales et la nécessaire évolution de l’aménagement du territoire naturellement induite par l’évolution des normes environnementales et sociales, la démographie ou encore les nouvelles règles d’urbanisme.
Au fil des débats en commission et de l’examen des amendements, y compris des riches et nombreux amendements gouvernementaux, le texte s’est densifié, amélioré et complété. Je ne doute pas que cette semaine d’examen en séance publique viendra encore le renforcer afin qu’il réponde encore mieux aux attentes des acteurs de la culture, des créateurs, des collectivités territoriales, plus que jamais partenaires de l’État en la matière, des amateurs et des professionnels, et aux obligations qui nous incombent vis-à-vis de notre patrimoine matériel et immatériel – bref afin qu’il réponde à cette étrange vitalité, cette force de vie qui nous porte à toujours repousser les limites de la beauté, de la connaissance et de la créativité et à créer et gagner à chaque instant un supplément de liberté. La culture doit rester cette arme pacifique qui fait de l’émancipation de chacun un extraordinaire voyage et brise les barrières féroces du déterminisme social.