Quant au contenu de votre texte, la réalité nous oblige à dire, madame la ministre, que les attentes des acteurs du monde de la culture, suscitées par le Gouvernement pendant de longues années, ne peuvent être que déçues par ce projet de loi. La déception est grande en effet, tant il est éloigné de l’ambition, de la vision et du nouveau souffle pour la création et pour notre patrimoine que nous étions en droit d’attendre.
En lieu et place nous avons un texte fourre-tout, qui mélange de grands principes généraux, parfois incantatoires, et qui empile des mesures complexes qui suscitent l’inquiétude, voire l’hostilité d’un grand nombre d’acteurs culturels.
Naturellement, tout n’est pas à rejeter dans ce projet de loi, dont certaines mesures vont dans le bon sens. Je pense en particulier à la reconnaissance législative de la liberté de création artistique, à l’évidence un beau symbole, même si nous pouvons douter de sa réelle portée juridique.
Parmi les avancées, je tiens à saluer également plusieurs dispositifs dans le domaine de l’architecture. Vous avez d’ailleurs repris un certain nombre de préconisations de la mission d’information relative à la création architecturale, créée au sein de la commission des affaires culturelle ; elle a mené ses travaux pendant plusieurs mois et j’en ai été un membre actif, aux côtés du président Patrick Bloche. La volonté de replacer l’architecte au coeur du processus de construction dans notre pays pour refaire du beau et éviter la standardisation est une démarche que nous soutenons.
Malheureusement, en dehors de ces avancées, votre texte néglige des pans entiers de l’action culturelle : rien sur la création cinématographique, rien sur la démocratisation de la culture, rien sur l’audiovisuel, rien sur la nécessaire régulation des grands acteurs dominants de l’Internet, qui bouleversent les usages et les pratiques, trop peu sur l’enseignement artistique – et que dire du vide sur le rayonnement et la diffusion de la culture française et de notre langue !
Les faiblesses et les carences de votre projet de loi n’échappent à personne. Ainsi en matière de création, s’agissant des droits d’auteur et des revenus des créateurs, l’institution d’un médiateur de la musique est, vous le savez, vivement contestée car ni les producteurs, ni les artistes, ni les acteurs du monde de la musique ne pensent que cette énième autorité administrative indépendante résoudra les problèmes que chacun connaît.
Le problème de fond, à savoir la répartition des revenus d’un marché en pleine mutation, n’est pas traité alors que le Gouvernement nous parle de ce projet de loi depuis trois ans et qu’il a multiplié les rapports et les réflexions sur le sujet. Pour quel résultat ? À cette heure, en plein examen du texte, vous en êtes encore à attendre, comme dans le Désert des Tartares ou comme soeur Anne qui ne voit rien venir, les conclusions de la mission de médiation que vous avez confiée à Marc Schwartz, ruinant ainsi toute volonté législative et politique dans ce domaine essentiel qu’est la musique. Quelle légèreté, madame la ministre, dans cette manière de légiférer ! Elle traduit bien, en tout cas, l’absence de vision du Gouvernement et votre incapacité à arbitrer la question essentielle des relations entre producteurs et artistes.
Les mêmes faiblesses se retrouvent au sein du volet patrimoine du projet de loi et de ce qui en constitue le coeur, la création des « cités historiques ». Au-delà du terme qui peut séduire, cette nouveauté inquiète les élus locaux et les défenseurs du patrimoine. Votre souhait de simplifier les procédures est légitime et, disons-le, nécessaire sur de nombreux points. Mais, madame la ministre, vous risquez d’aboutir au résultat inverse.
Loin de moi l’idée de considérer que les élus locaux se désintéressent du patrimoine, même si certains y sont plus attachés que d’autres. Mais dans un contexte où nombre de collectivités sont exsangues financièrement, et où une pression constante des constructeurs et des promoteurs immobiliers, mais aussi de l’État, s’exerce sur les élus pour construire toujours plus, le risque est grand de voir les communes choisir le régime de protection le plus faible pour les espaces protégés, en particulier sur la délimitation des abords.
Ainsi, la protection du patrimoine risque de s’exercer de manière inégale selon la sensibilité des élus, la situation de telle ou telle commune et les moyens dévolus aux services de l’État, en particulier aux architectes des Bâtiments de France. Les zones de protection du patrimoine risquent de s’en trouver fragilisées. De plus en plus d’élus locaux, toutes sensibilités politiques confondues, tirent la sonnette d’alarme. Même l’un de vos illustres prédécesseurs, M. Jack Lang, que le Président Hollande souhaite voir devenir votre inspirateur et votre mentor, s’inquiète de la suppression des zones sauvegardées et des zones de protection du patrimoine.