Intervention de Hervé Féron

Séance en hémicycle du 28 septembre 2015 à 16h00
Création architecture et patrimoine — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron :

Nous voici enfin réunis pour examiner ce projet de loi que nous attendions depuis plusieurs années, à l’heure où la culture, la liberté d’expression et la liberté de créer sont mises à mal aux quatre coins de la planète.

Destruction du patrimoine en Syrie, en Irak, au Yémen, vandalisme vis-à-vis des oeuvres de Paul McCarthy et Anish Kapoor, emprisonnement de l’artiste ukrainien Oleg Sentsov en Russie… Dans un tel contexte, on ne peut rester indifférent et on mesure toute l’importance de ce projet de loi.

Comme vous l’avez dit ailleurs, madame la ministre, c’est le propos de l’art que de ne pas être tiède. L’art est, par essence, destiné à émouvoir, à interpeller ou même à choquer. Il fait réfléchir, permet de prendre du recul, d’avoir un regard critique sur les choses qui nous sont présentées comme des vérités générales. C’est d’ailleurs pour cela que les régimes liberticides et obscurantistes affectionnent si peu les artistes. Comme on peut le lire dans Le Condamné à mort de Jean Genet, « écrire c’est lever toutes les censures ».

Mais l’art est aussi fraternel, il est républicain. Dans un monde qui se déchire, sujet à la tentation de l’entre-soi et au mirage de l’identité nationale, l’art rassemble autour de valeurs communes, invite au regard vers l’autre, renoue le lien social, crée le désir du vivre ensemble cher à Ernest Renan. Encore faut-il que personne n’en soit exclu, et surtout pas les jeunes, dont les pratiques culturelles sont le reflet d’un monde qui se transforme.

Madame la ministre, je me permets de reprendre vos termes pour dire que la « génération du dehors », celle des jeunes, doit devenir une « génération du dedans », qui se sente chez elle dans la vie culturelle. Pour cela, vous avez raison, ouvrons les bibliothèques le dimanche, les musées aux scolaires, la commande publique au street art. Surtout, profitons de l’exceptionnelle opportunité numérique, puissant vecteur de rayonnement et de développement pour nos artistes émergents, pour démocratiser l’art et créer une véritable égalité des places culturelles.

Afin d’aider les talents de demain à s’affirmer sur la scène artistique, les médias doivent également jouer leur rôle en se prêtant à certaines règles permettant d’assurer un minimum de diversité et de soutien aux artistes francophones. C’est l’objet d’un amendement adopté en commission, qui, je le sais, a suscité de vives critiques chez les radios privées. Néanmoins, je reste persuadé du bien-fondé de notre démarche. Nous avons reçu le soutien de toute la filière musicale pour notre proposition en faveur de la diversité culturelle et nous sommes prêts à débattre pour défendre cette mesure de bon sens.

Encourager la transition numérique ne doit pas nous faire perdre de vue les enjeux liés au partage de la valeur sur internet, dans lequel les artistes musicaux ne trouvent plus leur compte aujourd’hui. Victimes d’un véritable phénomène de paupérisation depuis des années, ils demandent un rééquilibrage des relations avec les plateformes de streaming et les maisons de disques.

Parce que l’on peut craindre que la mission de médiation de Marc Schwartz n’ait pas les résultats escomptés, je suis persuadé que nous saurons proposer des solutions équilibrées permettant d’assurer un niveau de rémunération décent pour les artistes-interprètes.

Madame la ministre, il nous faut soutenir les artistes-interprètes, du plus petit au plus célèbre, car sans eux, l’industrie du disque n’est rien, pas plus que la société. Si nous chassons les poètes de la cité, comme il est écrit dans La République de Platon, notre société n’aura plus d’identité, plus d’âme, car en faisant cela, nous la viderons de ce qu’elle a de plus beau et de plus précieux, à savoir l’accès privilégié au savoir et à l’émotion.

Nous aurons peut-être également l’occasion d’aborder des questions qui demeurent en suspens mais qui semblent relever du domaine réglementaire : la réforme de la classification des oeuvres cinématographiques, l’exposition de la création musicale à la télévision publique, la concentration dans le spectacle vivant ou encore la réforme de la chronologie des médias. Sur tous ces sujets, qui reviennent régulièrement dans l’actualité culturelle, une grande partie des députés ici présents seraient désireux de connaître votre position.

Madame la ministre, les débats promettent d’être passionnants et je souhaite vous redire à quel point nous, députés socialistes, sommes heureux travailler à vos côtés. Ce projet de loi, j’en suis convaincu, dispose des atouts nécessaires pour répondre aux attentes du monde de la création. Il est de notre devoir de ne pas les décevoir.

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