Intervention de Sophie Dessus

Séance en hémicycle du 28 septembre 2015 à 16h00
Création architecture et patrimoine — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Dessus :

Croyez-vous au hasard quand les terroristes de Daech détruisent les cités antiques et s’acharnent sur le patrimoine afin d’effacer toute trace de civilisation, et cela avec le même acharnement méthodique que celui avec lequel ils assassinent hommes, femmes et enfants ? Ils le font parce qu’ils savent qu’en éradiquant les racines de la culture, ils réduisent à néant l’âme des hommes et anéantissent leurs espérances. Ils le font parce qu’ils savent que c’est la culture qui permet l’ouverture vers d’autres espaces mentaux, l’art qui abolit les frontières entre les nations, la création qui permet les dialogues entre les civilisations. Ils le font parce qu’ils savent que sans mémoire, il n’y a plus d’histoire, que sans histoire, il n’y a plus d’avenir et que détruire le patrimoine, c’est interdire la création.

Parce que nous, Français, encore plus que d’autres, nous sommes chargés, comme le concevait Malraux, de l’héritage du monde qui prendra la forme que nous lui donnerons, il nous fallait dans cette loi regrouper patrimoine et création, l’un ne pouvant aller sans l’autre, regrouper l’enracinement à nos valeurs et la remise en cause permanente de nos acquis. Le faire, c’est rappeler que si la culture émane d’une nation, elle appartient à l’univers, que si elle est le fruit d’une époque, elle est l’éternité, que si elle est nous, elle est aussi l’autre et que, en ce XXIe siècle, elle est sans doute seule à même de porter le message d’humanisme nécessaire à la survie de l’humanité.

Le texte s’ouvre sur la création, sa liberté et les profondes métamorphoses qu’elle doit affronter en entrant dans l’ère des nouvelles technologies, lesquelles remettent en cause la diffusion des oeuvres, leur sauvegarde, les droits d’auteur ou encore les droits sociaux. Face à l’infantilisme que tentent d’imposer les réseaux dits sociaux, face à l’asservissement du normatif et à l’uniformité architecturale qui sclérosent, face au pouvoir économique tentaculaire représenté par les géants du net que sont Amazon ou Google, les quelques articles dont nous allons débattre sont le socle d’un long cheminement.

Les articles consacrés au patrimoine restent fidèles à l’esprit des grandes lois Malraux et Lang, tout en prenant en compte les évolutions contemporaines. Il en est ainsi de la nécessité de simplifier, à l’époque des regroupements intercommunaux et régionaux, tout en réaffirmant le contrôle de l’État sur ce patrimoine architectural si cher aux Français ou l’attachement tout aussi fort d’un peuple à son patrimoine immatériel : qu’il s’agisse de notre langue, véhicule de notre pensée, à travers les siècles, matrice de notre littérature, à laquelle nous devons tant et qu’il nous faut faire rayonner ; qu’il s’agisse encore des métiers d’art, de la nécessité de leur transmission, de la reconnaissance de leur savoir-faire, qui est indissociable de la réalisation d’une oeuvre. Aujourd’hui, combien y a-t-il de maîtres et d’écoles chargés d’enseigner ces métiers patrimoniaux riches de promesses pour nos jeunes, non délocalisables et qui contribuent à l’excellence française ?

Enfin, en cheminant d’articles en articles, on voit surgir l’architecture. La question à laquelle il nous est demandé de répondre est des plus simples : quelle architecture dessinera le visage de la France de demain ? Autrement dit, quel héritage patrimonial léguerons-nous aux générations futures ? Soit nous revendiquons le droit au beau et à l’esthétique pour tous et partout, avec la volonté de réconcilier patrimoine, architecture, urbanisme, habitat et paysage, considérant qu’un logement, s’il est un abri, est aussi un art de vivre – exemple : La Cité radieuse voulue par Le Corbusier – soit nous sacrifions beauté et esthétique à des standards économiques et à l’uniformisation architecturale qui défigurent et sclérosent nos territoires. D’où la simplification, mais dans le respect de la préservation architectural ; d’où le transfert des ZPPAUP et des AVAP en cités historiques ; d’où la création d’un label pour le patrimoine du XXe siècle ; d’où certaines dérogations aux documents d’urbanisme pour laisser une place à l’imaginaire et une chance au Facteur Cheval du XXIe siècle.

Certains considèrent la culture comme secondaire, surtout en période de crise. C’est ignorer son poids économique et les retombées en matière d’emploi, soit plus de 75 milliards de chiffres d’affaires et 1,2 million de postes. Aussi, à nous de démontrer dans ce texte qu’à travers la culture, c’est le rayonnement, la compétitivité, la fierté d’être français qu’il nous faut afficher ! Cette culture porte les valeurs de la République. Elle a su réunir dans une même volonté créatrice le Blanc et le Noir, couleurs de l’humanité, celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas, ou encore plus simplement l’homme et l’homme. « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert », a prévenu Malraux. C’est cette culture que nous nous devons construire jour après jour, culture qui a fait la France, son histoire et ses valeurs, et qui continuera à en porter haut les couleurs à travers le monde.

Telle est l’ambition que vous avez voulue pour ce projet de loi, madame la ministre, et nous vous en remercions.

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