Intervention de Jean-Christophe Baudouin

Réunion du 16 septembre 2015 à 16h30
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Jean-Christophe Baudouin, directeur des stratégies territoriales au Commissariat général à l'égalité des territoires, CGET :

Le chef de l'État a rappelé, lors du dernier comité interministériel aux ruralités (CIR), l'importance de l'égalité des territoires et les exigences que sa recherche impose tant aux services de l'État qu'à tous les citoyens.

Tel est l'objet du CGET, service de l'État créé en 2014 et fondé sur une synthèse entre deux approches de l'aménagement du territoire. La première est héritée de l'après-guerre et de la période de la reconstruction ; longtemps incarnée par la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), elle s'inspire d'une vision gaullienne axée sur les infrastructures. La deuxième approche est née de la politique de la ville mise en place à la fin des années 1970, politique ciblée davantage sur les habitants et leurs besoins que sur les structures. Fruit d'une fusion entre la DATAR, le secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV) et l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), le CGET s'efforce d'incarner ces différentes logiques. Nous nous intéressons donc aux inégalités territoriales comme un des aspects d'un vaste enjeu de cohésion nationale.

Le CGET emploie 320 agents, regroupés dans trois directions : la direction de la ville et de la cohésion urbaine (DVCU), chargée de l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique de la ville ; la direction du développement des capacités des territoires (DDCT), qui pilote les actions pour le développement des territoires à enjeux et fragiles ; la direction des stratégies territoriales (DST), qui est transversale. C'est cette dernière direction que j'anime.

Le sujet qui vous intéresse, « Inégalités et solidarités territoriales », est un thème sur lequel nous travaillons chaque jour. La cartographie que nous établissons montre la situation des territoires en France et les inégalités entre eux, qui sont des inégalités à la fois régionales et sociales. Elle fait apparaître une France à la fois métropolitaine et urbaine, en pleine croissance démographique. La carte n° 2 vous en présente les caractéristiques. Des zones de faible densité de population y accusent une sous-représentation des jeunes et une surreprésentation des personnes de plus de soixante-cinq ans. Dans cette population, les revenus médians sont plus faibles qu'ailleurs. Les zones concernées englobent l'Est, le Massif central, le centre de la Bretagne et les Pyrénées. Le professeur Laurent Davezies a dû vous en parler. La population est de plus en plus mobile. Les déplacements entre domicile et lieu de travail rendent interdépendantes les zones urbaines et leur périphérie. Entre 1982 et 2008, ils ont augmenté de plus de 60 %, tandis que la durée et la longueur des trajets s'accroissaient également.

L'économie de la France est inscrite dans la mondialisation ; la croissance du produit intérieur brut (PIB) y est portée en grande partie par les zones urbaines. Entretenant une interdépendance, les pôles urbains et leur périphérie exercent entre eux une influence réciproque. Ce phénomène est générateur de systèmes et sous-systèmes que nous analysons.

Depuis 2008, une forte croissance des inégalités de revenus s'observe, plus entre individus d'ailleurs qu'entre régions. Je vous renvoie aux cartes n° 4 et 5 relatives aux inégalités territoriales au regard du revenu fiscal et à l'échelle des métropoles. En Île-de-France, par exemple, le revenu fiscal médian est de 9 400 euros à Clichy-sous-Bois contre 46 000 euros à Neuilly-sur-Seine. L'écart est moins fort entre régions. En 2013, le revenu fiscal médian en Île-de-France était d'un peu plus de 22 000 euros, contre 10 500 euros pour La Réunion, région la plus pauvre. L'écart est donc plus faible, même s'il demeure trop important. Ces analyses confortent notre vision de la correction de ces inégalités par l'intervention publique. Le professeur Laurent Davezies a dû y insister.

La crise économique a fait exploser la pauvreté. Le nombre d'allocataires du revenu de solidarité active (RSA) a augmenté entre 2009 et 2014 de près de 50 %. Les volumes financiers correspondants qui sont nécessaires chaque année sont phénoménaux.

Une spécialisation des territoires s'observe parallèlement. Les zones d'emploi se spécialisent, se recoupant en partie avec les zones de pauvreté. Mais une spécialisation générationnelle s'observe également, comme si les centres urbains, et principalement les métropoles, s'appropriaient la jeunesse ; je vous renvoie à la carte n° 8 sur la concentration des 18-24 ans.

Les inégalités les plus flagrantes sont celles qui sont fondées sur le revenu fiscal médian. La carte n° 9 présente les différences d'évolution de ces inégalités, dont l'amplitude tire souvent son origine d'une augmentation des hauts revenus, notamment des revenus des travailleurs frontaliers dans les régions frontières.

L'inégalité ne concerne pas seulement le niveau de revenus. L'accès inégal aux services, au logement et à l'emploi constitue un autre sujet de préoccupation. Présenté dans la carte n° 10, il a été l'objet de débats nourris à la dernière réunion du CIR. Il se mesure en temps moyen d'accès aux équipements intermédiaires, mais je vous laisse apprécier quel peut être également le temps moyen d'accès aux équipements de première nécessité. Là encore, les zones concernées sont l'Est, le Massif central, le centre de la Bretagne, les Pyrénées et le sud des Alpes. L'analyse vaut également pour le logement et l'emploi. Une forte tendance à la sur-occupation des logements s'observe ainsi depuis 2008.

Dans la France rurale, sur laquelle se sont particulièrement penchés les CIR de mars et de septembre, les inégalités dépassent, elles aussi, la sphère de l'analyse des revenus. Il y existe notamment un déficit de médecins généralistes, et l'accès aux soins de proximité n'y est pas optimal non plus. L'accès aux réseaux lui-même laisse à désirer, puisque tout le territoire n'est pas couvert par la 4 G et que 160 communes ne sont même pas couvertes en 2 G. Je vous renvoie sur ce point à la carte n° 14. Une polarisation s'opère en conséquence, qui conduit à une sous-représentation des diplômés bac +2 ou équivalent dans les zones rurales moins connectées et moins denses en services.

La France urbaine aussi est traversée par les inégalités. Les quartiers prioritaires en agrègent de nombreuses. Il se trouve, dans ces zones urbaines sensibles (ZUS), trois fois plus de personnes vivant sous le seuil de pauvreté qu'ailleurs ; l'écart avec le revenu moyen y est nettement supérieur ; des comportements de renoncement aux soins sont également source de préoccupation. Apparaissent ainsi des poches de pauvreté, qui sont presque en décrochage par rapport au reste des territoires des métropoles. Cela s'observe en particulier dans les figures n° 3 et 4 relatives au devenir scolaire des jeunes des ZUS. Seuls 27 % d'entre eux s'orientent vers une première générale, contre 40 % dans le reste du territoire. Pire encore, le taux d'emploi des jeunes diplômés du supérieur en ZUS est inférieur à ce qu'il est ailleurs, où il s'établit à 71 %. C'est un écart très important, même si je ne veux pas forcer le constat.

Appartenant aux services du Premier ministre et mis à la disposition du ministère du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, et de celui de la ville, de la jeunesse et des sports, le CGET a pour mission de fournir des outils d'aide à la décision. Sa pratique professionnelle se fonde sur l'analyse la plus complète possible afin d'avoir une vision très précise de la situation, cette dernière étant extrêmement évolutive aujourd'hui. Tant l'Observatoire de la ville que l'Observatoire des territoires – qui met aujourd'hui toutes nos informations à disposition en ligne, en vertu de notre politique de données ouvertes (open data) –, nous aident à voir la situation la plus fine, y compris au niveau d'un micro territoire.

Aujourd'hui, nous savons qu'une baisse des dotations est engagée, comme l'a rappelé le Président de la République au CIR. Dans le même temps, malgré ces contraintes financières, l'État est déterminé à réitérer son engagement contre les inégalités, sans doute en diversifiant les dispositifs pour mieux répondre à des besoins plus ciblés, plutôt qu'en adoptant une approche globale. Ce faisant, il recherchera l'effet levier maximal grâce à un recours accru à la contractualisation. Le CGET s'attachera, par conséquent, à mobiliser tant les moyens de l'État que les acteurs de terrain dans l'objectif, non seulement de diminuer ou d'atténuer les inégalités, mais aussi de développer les capacités des territoires. Son action se veut ainsi à la fois curative et préventive, car nous croyons que chaque territoire peut s'intégrer dans l'économie et le développement.

La contractualisation globale s'appuie en premier chef, comme l'a rappelé le Président de la République, sur les contrats de plan État-région (CPER). Ils représentent actuellement un total de 27 milliards d'euros, provenant pour moitié de l'État et pour moitié des régions. Nous attendons de ce financement qu'il ait un effet de levier sur les investissements. L'État finance leur volet mobilité multimodale à hauteur de 7,1 milliards d'euros, leur volet enseignement supérieur, recherche et innovation à hauteur de 1,2 milliards d'euros et leur volet territorial à hauteur de près de 1 milliard d'euros, issu du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT). S'ajoutent à cette contractualisation le pacte d'avenir pour la Bretagne ou le pacte pour la Lorraine, ainsi que le programme exceptionnel d'investissements (PEI) pour la Corse.

Deux types de territoires nous causent plus particulièrement des soucis. Il s'agit d'abord des territoires ruraux, dont il fut beaucoup question au CIR de mars dernier ainsi qu'aux assises de la ruralité. Les maisons ou pôles de santé peuvent remédier à certaines de leurs difficultés. Non moins de 700 ont déjà vu le jour, l'objectif étant d'atteindre 800, voire 1 000. Il faut aller vite. Nous envoyons un autre signe en créant 1 000 maisons de services au public, chiffre qui peut sembler insignifiant, mais qui est en réalité très important. Peu onéreux, le simple maintien d'une station-service indépendante que les gérants n'ont plus les moyens de mettre aux normes conserve un pôle de convivialité. Grâce à mon expérience à Cergy-Pontoise, je peux même vous dire qu'elle peut être pôle de rencontres, même dans des zones très urbaines, quand les commerces de proximité en ont disparu.

Nouvelle mesure arrêtée au CIR de septembre, la couverture en très haut débit, ou 4 G, sera étendue autour des 22 000 kilomètres de voies ferrées. Ces dispositifs peuvent aussi avoir un effet de levier, car ils portent en eux la capacité de mobiliser à la fois État et collectivités. Le plan France Très haut débit a déjà recueilli le soutien de 87 départements, mais il faudra qu'il soit soutenu par les cent un. Car rien ne peut se faire par l'État seul ; il lui est impossible d'agir sans les collectivités. Encore faut-il réfléchir aux modalités de cette association.

Des solutions innovantes ont pu être trouvées. Dans le domaine du logement, le prêt à taux zéro a été étendu pour la rénovation dans 30 000 communes de zone rurale. Ce ne sont pas des petites mesures, elles peuvent avoir un effet important. De même, des contrats de réciprocité entre villes et campagnes ont été signés, qui ne sont pas anodins. Ils participent de l'articulation entre les territoires, car l'on ne saurait opposer aires urbaines et zones rurales qui fonctionnent, au contraire, en interdépendance. Parmi les territoires déjà identifiés figurent Lyon métropole et Aurillac, Toulouse métropole et Massif des Pyrénées, Brest métropole et Centre Ouest Bretagne, Communauté urbaine de Le Creusot et Montceau les Mines et parc naturel régional du Morvan.

Toutes les décisions prises en CIR précisent, pour chaque territoire, le dispositif retenu et l'effet levier attendu. Sur les 438 contrats de ville prévus, 325 ont déjà été signés. Ce ne sont pas forcément d'énormes sommes d'argent, mais ces mesures sont capitales. Nous travaillons avec tous les acteurs locaux, collectivités locales bien sûr, mais aussi associations qui ont un rôle à jouer sur les territoires. Nous cherchons à nous appuyer sur elles, mais l'absence totale de réseau associatif sur certains territoires est pour nous très préoccupante. Par ailleurs, le nouveau programme national de rénovation urbaine (PNRU) prévoit des mesures pour lesquelles un effet levier est envisageable.

Dans le cadre du comité interministériel, un point important a également été fait sur l'ingénierie. Dans quelle mesure les territoires en ont-ils besoin ? Comment l'État peut-il les aider dans ce domaine ? Le dispositif d'appui interministériel au développement et à l'expertise en espace rural (AIDER) est conçu pour apporter des réponses, en permettant de mobiliser à leur profit l'ingénierie d'État disponible dans les commissariats généraux ou les centres d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Car il arrive que certains centres-bourgs ne puissent, faute d'ingénierie, répondre à des appels à projets ou à des manifestations d'intérêt.

Les mesures prises dans le cadre de la simplification sont un autre point, même s'il est peu médiatique. Économiser une vidange de piscine peut en allonger le temps d'ouverture et supprimer des coûts, de même que la suppression d'un document d'urbanisme peut également apporter un soulagement. Voilà autant de sources d'économies, sans augmentation des dotations. Il ne s'agit peut-être pas d'un effort structurant, mais cela renforce la sérénité des collectivités.

Enfin, dans le domaine de l'investissement, le Président de la République a annoncé une aide supplémentaire de un milliard d'euros, dont la moitié est destinée aux territoires ruraux, une partie alimentant la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Sur ce point, le Gouvernement nous a enjoint de conduire des actions qui se déploient au plus proche des problèmes posés.

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