Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 29 septembre 2015 à 15h00
Débat sur la situation et l'avenir de l'agriculture

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, si nous sommes réunis cet après-midi pour débattre de la situation de l’agriculture, ce n’est pas le fait du hasard, cela résulte d’abord de la volonté du Gouvernement et le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste tient à l’en remercier.

Ce débat est aussi une conséquence des souffrances des agriculteurs et des éleveurs qui nous interpellent depuis de longs mois. C’est le cas dans le département de l’Aisne, comme Jean-Louis Bricout et moi-même pouvons en témoigner. Ce débat est également une conséquence de la manifestation du 2 septembre, à laquelle nous avons également participé.

Les députés du groupe RRDP considèrent que ce débat constitue une excellente occasion, non seulement pour faire un point sur la crise, ou les crises, mais surtout pour tracer ensemble des chemins d’espérance pour notre agriculture. Nous savons tous en effet que si nos agriculteurs nous nourrissent, ils ne vivent plus de leur travail.

Nous devons resituer cette discussion et les questions agricoles dans des perspectives – vous l’avez dit, monsieur le ministre – non seulement conjoncturelles, mais également structurelles.

Quelle Europe voulons-nous ? La PAC est-elle aujourd’hui incontournable pour le rayonnement agricole des États membres ? Protection de l’environnement, gaz à effet de serre : à la veille de la COP 21, quelle qualité alimentaire voulons-nous dans notre assiette ? Quelle place désirons-nous faire à notre agriculture dans le développement économique du pays ? Quelle compétitivité souhaitons-nous pour nos exploitations ? Parler agriculture, c’est aussi parler ruralité !

Compte tenu de toutes ces problématiques, le débat se doit de sortir des traditionnelles guerres partisanes. Si nos agriculteurs attendent des décisions dans chacun de ces domaines, ils attendent aussi de retrouver confiance et espoir. Sachons collectivement être à la hauteur de ces enjeux !

Rappelons que la France est une puissante nation agricole. Et puis, les enjeux agricoles portent sur des sujets au coeur même de l’identité française : c’était vrai dans le passé, et ça doit le rester pour l’avenir.

Dans notre monde postmoderne, pour paraphraser Jean-François Lyotard, nous souffrons d’observer que l’agriculture est la cible de discours ironiques et l’objet de préjugés et de dérision.

Les questions agricoles sont des questions stratégiques pour la France. Oui, nous devons les remettre à la place qu’elles méritent, probablement la première. Élus et citoyens, nous avons le devoir de renouer le pacte intime qui lie notre pays à nos paysans et à une agriculture non seulement compétitive, mais aussi respectueuse de l’environnement.

C’est encore l’un des rares secteurs économiques qui, en France, gagne des parts de marché à l’exportation, au-delà même de l’aéronautique, avec un excédent aux alentours de 60 millions d’euros.

Certes, la crise agricole française n’est pas homogène : si certaines filières et certains territoires s’en sortent, la majorité de nos paysans souffre, y compris certains qui sont parmi les meilleurs, qui sont bien organisés, qui investissent, trouvent des marchés, et dont la structure de production est moderne et efficace.

Nous ne voulons pas tomber dans l’écueil, facile mais stérile, qui consiste à opposer les filières les unes aux autres. Je pense notamment aux filières grandes consommatrices de main-d’oeuvre et de travailleurs déplacés, celles qui subissent une concurrence déloyale des producteurs étrangers en matière de coût du travail, d’exigences environnementales et de complexité des procédures administratives : les filières des fruits et légumes, de l’élevage ou encore du lait.

Développer l’emploi salarial est également un impératif pour faire reculer le chômage dans nos communes rurales. Aussi, dans la préparation de la nouvelle PAC, nous soutenons les nouvelles orientations pour le maintien des petites et moyennes structures.

Mais nous devons accélérer le phénomène d’harmonisation sociale, environnementale et réglementaire au niveau européen, afin de permettre à nos paysans de lutter à armes égales avec leurs voisins européens.

En tant qu’européens convaincus et résolument attachés à une PAC forte et équitable, nous, députés du groupe RRDP, disons qu’au-delà de la crise du marché et de la surproduction, il nous faut non pas moins d’Europe mais, au contraire, mieux d’Europe.

Il n’y aura pas d’agriculture française moderne et compétitive sans une politique agricole européenne forte et ambitieuse. C’est en effet le niveau pertinent d’action pour avoir les moyens d’intervenir efficacement lorsque les marchés s’effondrent et lorsque les difficultés s’accumulent. C’est avec la PAC que nous pourrons assumer les surcoûts d’une agriculture durable et performante écologiquement.

Convaincus également de l’importance de la compétitivité économique pour le développement des exploitations agricoles, nous tenons également à saluer, monsieur le ministre, l’application du CICE au monde agricole. Même s’il reste des difficultés pour des coopératives, c’est un bol d’air qui va aider des milliers d’exploitations.

Les mesures de la loi d’avenir sur l’installation progressive, sur l’adaptation des contrats de génération au secteur agricole, sur le renouvellement des formations ou encore sur la création d’un établissement public national de coopération scientifique agricole, vont dans la bonne direction. Mais c’est encore, bien évidemment, insuffisant.

Je me permets aussi de me faire l’interprète de mon collègue Joël Giraud, président du Conseil national de la montagne, très concerné par l’agriculture et la question de la pluriactivité.

Cette pluriactivité reste indispensable au maintien de l’agriculture dans les régions de montagne où les sols gelés et enneigés pendant six mois de l’année imposent d’avoir deux, voire trois métiers.

L’actuelle réglementation des GAEC interdit d’avoir une activité autre qu’agricole plus de trois mois par an, ce qui est impossible en zone de montagne. Les autres pays européens ont adapté leur réglementation à cette contrainte sans subir les foudres de Bruxelles.

La demande est donc forte aujourd’hui : la France des montagnes doit pouvoir conserver une agriculture mutualisée en dérogeant à cette règle des trois mois.

Enfin, nous devons favoriser l’approvisionnement local pour la restauration collective comme pour les repas à domicile. Dans nos lycées, nos collèges, nos communes et nos maisons de retraite, l’heure est à la mobilisation pour les circuits courts.

Ensuite, l’obligation de traçabilité est une nécessité. Le consommateur a le droit de connaître l’origine des viandes entrant dans la composition des plats et d’être informé de la présence d’OGM.

Traçabilité, étiquetage : voilà des combats qu’il nous faut mener sans relâche. Nous devons à cet égard, monsieur le ministre, saluer votre initiative avec le label « Viandes de France ». Cultivons ce patriotisme alimentaire.

C’est non pas un réflexe cocardier par rapport aux autres produits, mais un moyen de maintenir un patrimoine économique et social, et je suis certain que Jean Monnet et Robert Schuman n’y trouveraient rien à redire.

Au-delà de ces aspects, je veux revenir sur le plan de soutien du Gouvernement.

Vous avez proposé d’agir sur la trésorerie, monsieur le ministre, avec le rééchelonnement des annuités bancaires, l’activation du fonds d’allégement des charges porté à 100 millions d’euros, la prise en charge des cotisations sociales, le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, d’agir sur la modernisation des exploitations qui a été amorcée – je ne vais pas détailler toutes les mesures – et d’agir pour retrouver de la compétitivité sur toutes les exploitations, grâce un frein sur les normes franco-françaises avec un moratoire de six mois.

Au niveau européen, à la demande de la France, après le Conseil de Luxembourg du 15 septembre, il faut souligner l’évolution positive de la Commission sur la crise des filières d’élevage. Le paquet de 500 millions d’euros, c’est de l’argent frais. Vous avez obtenu, monsieur le ministre, que ces montants ne soient pas prélevés sur le budget de la PAC, ou encore que le stockage soit amélioré, l’augmentation étant étendue maintenant au lard.

Pour les aides directes, il y a 420 millions d’euros. La France a obtenu la deuxième enveloppe derrière l’Allemagne, soit 63 millions d’euros.

Quant aux avances de paiement PAC, cette souplesse, présentée par la Commission européenne comme exceptionnelle, est clairement insuffisante pour la France.

Il est indispensable de renforcer la vigilance sur l’évolution des marchés, l’évolution du marché du lait pouvant impacter directement celui de la viande bovine. Face à l’embargo russe sur la viande de porc, il est nécessaire d’ouvrir et de pérenniser de nouveaux marchés d’export. Si ces aides répondent à la crise porcine, n’oublions pas que le marché de la viande n’est pas florissant et que les revenus des éleveurs sont eux aussi très bas.

Mais l’urgence, ce sont les prix. Nous devons être capables de dire halte à la baisse des prix à la consommation. Si elle profite toujours aux mêmes, elle tire la société vers le bas. La guerre des prix dissimule souvent un vol, qu’il faudra bien payer un jour.

Nous savons que le prix est la résultante des marchés et du fonctionnement des filières. Nous devons soutenir, aider, pousser nos agriculteurs à s’engager encore plus dans le développement des organisations de producteurs et la contractualisation jusqu’à la grande distribution. Hélas, seulement 30 % des éleveurs bovins ont contractualisé.

Certes, voilà des réponses techniques, financières, concrètes, qui peuvent apparaître insuffisantes, mais elles sont néanmoins appréciées. Pour autant, tous les responsables que nous avons rencontrés, auditionnés nous ont dit que ce qu’ils attendaient en priorité, c’était de retrouver la confiance. Pour qu’ils retrouvent confiance en leurs élus, il faut d’abord leur faire confiance. C’est la première condition pour faire reculer leur désespérance, qui est grande. Ayons confiance en eux.

Une grande puissance agricole comme la France peut-elle encore tirer profit de ses formidables atouts et briller par ses performances qualitatives, ou doit-elle, à l’aube de ses performances passées, laisser dépérir ces trésors sous prétexte que la dictature des marchés serait une nécessité ? Notre réponse est non.

Si personne n’a de baguette magique, nous devons absolument écrire une nouvelle page de la grande histoire de l’agriculture française avec tous les acteurs.

Nous devons tracer un grand dessein pour retrouver la fierté en nos paysans et en nos agriculteurs et réaffirmer ainsi que labourage et pâturage demeurent les deux mamelles de la France, comme le disait Sully.

Nous, députés du groupe RRDP, sommes convaincus que nous avons encore de nombreux atouts pour réussir. Apprenons à les cultiver et faisons confiance à l’ensemble du monde agricole pour que la France renforce son modèle.

Je suis convaincu que, comme l’écrivait Jean de La Fontaine dans la fable Le laboureur et ses enfants, si le travail est un trésor, notre terre fertile l’est tout autant pour l’avenir de la France.

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