Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, j’associe à mon intervention mes collègues Alfred Marie-Jeanne et Bruno Nestor Azerot.
Le projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer qui nous avait été soumis prétendait adapter la législation en vigueur afin de mieux répondre aux enjeux auxquels chaque territoire d’outre-mer est confronté. C’est ainsi qu’en s’appuyant notamment sur les consultations réglementaires qui nous ont été détaillées dans le tableau synoptique fourni dans le dossier législatif, il prévoyait des mesures spécifiques pour certaines collectivités d’outre-mer, en tenant compte des évolutions statutaires de celles qui relèvent des articles 73 et 74 de la Constitution.
Aujourd’hui, force est de constater que, pour ce qui concerne la Martinique, ce texte ne tient pas toutes ses promesses, que des initiatives intempestives et infondées ont été prises sans concertation et que, loin de servir les intérêts et les spécificités de la nouvelle collectivité de Martinique, elles tiennent lieu de socle pour asseoir des intérêts particuliers.
En effet, à la suite de l’adoption de ce texte, le 16 juillet dernier, nous avons été, à l’instar de la ministre des outre-mer, alertés par la présidente du département de Martinique quant aux problèmes posés par l’amendement devenu l’article 15 decies nouveau.
Cet amendement, déposé par le Gouvernement, a été initié et soutenu unilatéralement par le président de la région Martinique, sans consultation préalable, contrairement à ce que vous prétendez, madame la ministre – je rappelle les propos que vous avez tenus, le 7 juillet dernier, en commission des lois : « Nous avons donc proposé cette solution aux présidents des deux conseils généraux, ainsi qu’aux présidents des deux conseils régionaux, qui l’ont acceptée ». En réalité, la consultation des conseils généraux de Martinique et de Guyane n’a jamais eu lieu.
Cet amendement stipule que, pour assurer la transition et la continuité au lendemain de l’élection de la collectivité territoriale de Martinique, en décembre prochain, le directeur général des services – DGS – de la collectivité territoriale de Martinique sera le directeur général des services de la région, tandis que le DGS du département officiera en tant qu’adjoint.
Pour justifier ce choix, vous déclariez encore en commission, le 7 juillet : « Nous avons fait ce choix, car le directeur des services de la région occupe un rang administratif supérieur à celui du directeur des services du département ; c’est une donnée administrative ». Une hiérarchisation est donc clairement instituée entre les deux collectivités. Comment, en effet, ce qui est vrai pour le directeur général des services ne le serait-il pas pour ceux qui occupent des grades inférieurs ?
Rien ne justifie cette hiérarchisation, d’autant que la situation de région monodépartementale – je pourrais dire : de département monorégional – de la Martinique et de la Guyane est particulière, les deux collectivités majeures occupant un même espace géographique et aucun texte législatif n’établissant de hiérarchie entre les deux.
Au demeurant, lorsque l’on compare l’antériorité du conseil général de Martinique, son budget, son effectif et son patrimoine à ceux du conseil régional, le moins que l’on puisse dire est que le premier n’a aucun complexe à entretenir par rapport au second. Cet article est donc infondé et illégitime.
Soulignons, madame la rapporteure, que nous ne sommes pas ici dans le prolongement de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe –, qui prévoit la fusion des régions de la France hexagonale, mais que nos territoires sont régis par la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, induite par la consultation populaire de janvier 2010, où les Martiniquais et les Guyanais se sont prononcés non pas pour une absorption du conseil général par le conseil régional, mais pour la substitution à ces deux collectivités d’une nouvelle collectivité territoriale.
Lors de la réunion de la commission des lois du 7 juillet, Mme Chantal Berthelot, notre collègue de Guyane, s’était à juste titre étonnée de ces dispositions et interrogée quant à la pertinence de leur inscription dans la loi.
Il ne s’agit certes pas pour moi de m’opposer à la continuité des services – qui pourrait y être opposé ? –, ou de dire à certaines personnes qu’elles seront licenciées au lendemain des élections. De grâce, madame la ministre, ne caricaturez pas mes propos !
N’en déplaise à tous ceux qui font aujourd’hui du rétropédalage – comme M. Aboubacar, qui déclarait le 7 juillet, en commission des lois, que « la continuité du service public est en effet absolument nécessaire », ce dont je conviens avec lui et que « cela n’explique pas pour autant que le DGS de la région ait le pas sur le DGS du département, alors qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les deux collectivités » –, vous me connaissez assez pour savoir que je ne polémique pas sur des questions de personnes, mais mon devoir est d’insister sur la nécessité de respecter des principes moraux et une certaine éthique qui, aujourd’hui plus que jamais, manquent cruellement en politique.
Sans égard au mérite du parcours remarquable des uns et des autres, et notamment de l’actuelle DGS de la région, il n’est pas normal d’accorder de fait une priorité à un agent recruté par la voie directe, au risque de compromettre la démarche de co-construction engagée de longue date par les équipes administratives et syndicales de deux collectivités déjà fragilisées par le processus de refonte.
Actuellement, le malaise est bien présent au sein de l’hôtel du conseil général de Martinique. La grogne s’intensifie et les agents dénoncent une mise sous tutelle du département au bénéfice de la région à deux mois des élections, à tel point que, le 17 septembre dernier, la présidente du conseil général de Martinique a dû mettre en place une cellule psychologique pour son personnel : voyez les dégâts provoqués !
Aussi mes collègues de Martinique et moi-même en appelons-nous à votre raison, afin que des dispositions urgentes soient prises en vue de rétablir la sérénité et de permettre au futur exécutif de la collectivité territoriale de Martinique de choisir, parmi les directeurs généraux des services exerçant leurs fonctions au département et à la région, le futur directeur général des services qui sera chargé de la transition.
En quoi l’exécutif qui sera désigné par le peuple martiniquais ne serait-il pas qualifié pour choisir son DGS en toute légitimité et en toute légalité ? Il y va même du respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Je regrette profondément que l’on en revienne immanquablement, invariablement, au gré des textes étudiés, aux racines du centralisme, au racisme du colonialisme, où Paris décide de tout, en tout et pour tout.