Monsieur le président, madame la présidente et rapporteure de la commission de la défense, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui vient parachever le travail global que nous avons entrepris ensemble depuis 2012 sur le renseignement. Je tiens à remercier chaleureusement Mme Patricia Adam et M. Philippe Nauche de leur initiative : nous avons en effet un besoin urgent d’un tel texte.
À travers le Livre blanc de 2013, puis la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 récemment actualisée, le Président de la République et le Gouvernement ont accordé au renseignement une priorité sans précédent, encore confortée au mois de juillet.
Il en a d’abord résulté une amplification de l’effort consenti en termes de ressources humaines, d’équipements et de technologies, y compris dans le domaine de la cyberdéfense. Cet accroissement est à la mesure des défis auxquels nos services sont confrontés pour préserver notre sécurité. Nous avons ensuite résolument poursuivi une tâche d’adaptation et de modernisation du cadre juridique applicable aux services de renseignement. La présente proposition de loi vient mettre la dernière main à ce processus.
En premier lieu, la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, adoptée ici même en décembre 2013, a défini un nouvel équilibre entre des moyens accrus et un contrôle renforcé des services. Elle a programmé les moyens, ouvert le champ majeur de la cyberdéfense – dont on parle maintenant, heureusement, de plus en plus –, facilité l’accès à certains fichiers et posé le cadre du programme API- PNR, tout en renforçant significativement les pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement.
Cette démarche s’est poursuivie avec la loi sur le renseignement du 24 juillet dernier, à laquelle le président Urvoas a si fortement contribué. Il s’agit d’un tournant majeur, qui était particulièrement attendu. Devant les révolutions technologiques intervenues ces deux dernières décennies, dont nos adversaires sont les premiers à profiter, il fallait impérativement moderniser le cadre juridique de notre action en matière de renseignement. Il fallait mettre à jour notre législation pour qu’elle réponde pleinement aux besoins du contrôle démocratique de l’activité des services, qu’elle s’adapte à la diversité des moyens et techniques de renseignement et en contrôle la puissance dans un esprit de protection des libertés individuelles.
Mesdames, messieurs les députés, la France se situe désormais au premier rang des démocraties qui ont fait le choix de fonder en droit la légitimité de l’action et des techniques des services de renseignement.
Je rappelle ici, en réponse à certaines observations à mes yeux bien excessives, que la loi du 24 juillet 2015 innove dans de nombreux domaines. Elle modernise fortement les textes relatifs aux techniques de renseignement des services déjà encadrées par la loi – interceptions de sécurité et accès aux données de connexion. Elle inscrit dans la loi un grand nombre de techniques nouvelles – sonorisation, géolocalisation par balisage, IMSI-catching, suivi renforcé de certaines personnes présentant une menace terroriste, utilisation d’algorithmes pour exploiter des données de connexion dans le champ de la lutte contre le terrorisme.
En contrepartie, la loi sur le renseignement crée une autorité administrative indépendante dotée d’une compétence très étendue par rapport à l’existant, de moyens et d’une structure sans commune mesure avec ce qui existe aujourd’hui pour les seules interceptions de sécurité et données de connexion. Cette autorité est susceptible d’intervenir dans pratiquement tout le champ du recueil de renseignements par moyen technique. Je sais, madame la présidente de la commission, que vous êtes très attentive aux moyens dont sera dotée la future CNCTR pour effectuer ce contrôle. Je veux vous rassurer, comme l’a déjà fait Bernard Cazeneuve : le Gouvernement sera extrêmement vigilant quant aux moyens dont disposera la CNCTR pour assumer effectivement ses missions.
Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2015 crée un contrôle juridictionnel effectif sur l’action très particulière des services, avec l’institution, au sein du Conseil d’État, d’une formation spécialisée dont les membres sont habilités ès qualités au secret de la défense nationale.
Dans ce cadre, le Parlement avait voté fin juin une disposition qui définissait le régime légal de la surveillance des communications électroniques internationales. Ce régime est nécessairement distinct de celui des interceptions de sécurité, qui ne peut s’appliquer qu’aux personnes situées sur le territoire national.
Dans sa décision du 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que ce régime légal n’était pas suffisamment détaillé par le législateur et qu’il renvoyait trop largement à des textes réglementaires sur les points suivants : « les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés » et « les conditions du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées […] et de leurs conditions de mise en oeuvre ». Le Conseil constitutionnel a donc censuré cette disposition, mais sur un motif qui ne touchait pas au fond du texte adopté – vous l’avez rappelé, madame la présidente de la commission. Il a par ailleurs donné des indications pour orienter le travail du législateur pour la suite.
C’est tout l’objet de cette proposition de loi, qui remédie à ce grief d’incompétence négative en intégrant dans la loi elle-même nombre de règles qui étaient destinées, en fait, à figurer dans le décret d’application.
Au titre des conditions d’exploitation, la proposition de loi précise que la surveillance des communications internationales ne vise que des personnes ou entités situées à l’étranger. Elle explicite clairement que les communications échangées entre des numéros ou identifiants rattachables au territoire national qui seraient interceptées seraient immédiatement détruites, même si elles transitent par des territoires étrangers. On ne peut donc nous soupçonner de mettre en place, par ces dispositions, un moyen détourné de surveiller des Français, comme je l’ai parfois lu.