Intervention de Laurent Grandguillaume

Réunion du 30 septembre 2015 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Grandguillaume, rapporteur de la mission d'information commune sur Bpifrance :

Bpifrance a permis d'offrir un interlocuteur unique aux entreprises et, malgré la lourdeur encore réelle du traitement de certains dossiers, elle a facilité leurs démarches. Plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté sur la complexité des dossiers à monter : elle rend parfois nécessaire le recours à des cabinets spécialisés, ce qui peut générer des frais supplémentaires. Néanmoins, les délais d'intervention ont globalement été réduits, ce qui a permis de dynamiser l'intervention publique en matière de soutien aux entreprises.

En 2014, 82 000 entreprises, totalisant 1,3 million d'emplois, ont ainsi reçu une aide de la part de la BPI. En matière de soutien à l'innovation, l'action de la BPI est particulièrement exemplaire. Elle permet notamment de renforcer et de structurer le marché français du capital-risque. Mais l'activité de la BPI est aussi fortement soumise à des contraintes externes et internes, qui encadrent son action et sa doctrine.

En premier lieu, il convient de rappeler que le mode d'action de la BPI repose presque exclusivement sur un principe de complémentarité obligatoire avec le secteur privé – le soutien à l'innovation constituant l'exception à ce principe. Ces modes d'intervention, en cofinancement ou en co-investissement, veulent que pour un euro d'argent public prêté ou investi, au moins un euro d'argent privé participe à la même opération de crédit ou d'investissement. Ces principes, qui sont au coeur de la doctrine de Bpifrance, sont largement imposés par le droit européen qui exige que toute structure publique de financement de l'économie se comporte comme un « investisseur avisé », sous peine de tomber sous la réglementation des aides d'État.

Ces règles aboutissent cependant à un paradoxe que la BPI ne résout pas entièrement : l'on comprend en effet mal la logique qui veut que son action soit tournée vers les secteurs pour lesquels les acteurs privés n'interviennent pas et qu'elle soit, dans le même temps, contrainte d'agir systématiquement à leurs côtés.

Bien sûr, l'action de la BPI a un effet d'entraînement sur le financement et l'investissement privé. Mais des projets solides, potentiellement créateurs d'emplois, que Bpifrance aurait pu financer, n'intéressent pas toujours les partenaires privés, qui opèrent des arbitrages financiers en faveur d'opérations plus rentables à court terme et moins risquées. Ces situations ne sont pas recensées systématiquement aujourd'hui ni par Bpifrance ni par les services de l'État. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place un mécanisme d'alerte des services de l'État dans de tels cas de figure.

Nous proposons aussi d'assouplir les règles en matière de cofinancement et de co-investissement. Les traités européens prévoient en effet de nombreuses exceptions au principe de l'investisseur avisé. Elles ouvrent la possibilité aux aides d'État lorsque l'intérêt social ou économique, ou encore celui des territoires, le justifient. Or, la BPI ne s'autorise pas réellement à utiliser ces dérogations, et elle se montre parfois plus « royaliste que le roi ». Ce n'est d'ailleurs pas injustifié car, pour s'affranchir des règles européennes, il faut passer par un système de notification complexe auprès de la Commission européenne, qui s'accorde difficilement avec le temps économique. Il y aurait donc matière à étudier, avec les services de la Commission, le moyen d'accélérer cette procédure. Sur ce sujet, l'exemple allemand a retenu notre attention : la banque publique allemande, la KfW, accorde des prêts par l'intermédiaire de banques privées avec qui elle passe des conventions de gestion, évitant ainsi les questions relatives aux aides d'État. Sans remettre en cause le principe général de la co-intervention avec le secteur privé, un mécanisme de ce type pourrait être étudié en France pour des secteurs particuliers.

La question de la capacité d'intervention de la BPI est posée. La Banque centrale européenne ne pourrait-elle pas, par exemple, financer directement les institutions publiques d'investissement pour favoriser le développement de fonds de capital-risque ou de fonds de garantie européens ? Nous constatons avec satisfaction que la BPI a été la première à établir un accord avec la Banque européenne d'investissement (BEI) dans le cadre du plan Juncker pour développer le soutien à l'innovation à travers la mise en place d'instruments cofinancés par l'Union européenne. Il est nécessaire de poursuivre dans cette voie pour augmenter les moyens publics au service de l'investissement.

J'en viens plus concrètement aux outils dont dispose la BPI en matière de financement et d'investissement.

Pour le financement, deux outils sont principalement utilisés : la garantie et le prêt. Bpifrance déploie une vaste gamme de produits destinée à toutes les entreprises – cette gamme est peut-être même parfois trop vaste, puisqu'elle compte plus de quatre-vingts produits. Toutefois, nous avons pu constater que la réponse apportée aux TPE et aux PME était encore insuffisante. Les banques commerciales sont réticentes à prêter aux plus petites entreprises, et Bpifrance ne propose pas directement de produits de faible montant répondant à leurs besoins de trésorerie spécifiques. Nous proposons qu'en plus d'un petit prêt de développement, qui sera proposé dès le début de l'année prochaine aux TPE via internet, Bpifrance offre des micro-crédits avec les banques commerciales et renforce l'accompagnement des TPE en lien notamment avec les sociétés de cautionnement mutuel comme la SIAGI.

Il conviendrait aussi de faire plus pour les entreprises de l'économie sociale et solidaire.

Nous proposons de généraliser, sur l'ensemble du territoire, les « prêts rebonds » proposés dans certaines régions, comme l'Île-de-France, pour les entreprises connaissant des difficultés passagères.

Nous soulignons les enjeux du préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Bpifrance occupe aujourd'hui 90 % de ce marché qui a été déserté par les banques commerciales. La BPI s'est montrée particulièrement efficace dans le traitement des dossiers. Il faut saluer son action car le préfinancement du CICE est vital pour beaucoup de petites entreprises. Des difficultés sont toutefois survenues et à la suite des défaillances de certaines des entreprises bénéficiaires, le taux de sinistralité a fortement augmenté. Bpifrance s'est, en conséquence, montrée plus prudente, ce qui a eu tendance à ralentir le traitement des dossiers. Le décalage observé a alarmé plusieurs acteurs de terrain, par exemple en Basse-Normandie, qui ont alerté notre mission d'information commune. Le 15 septembre dernier, le ministre de l'économie nous a confirmé que l'administration avait fait le nécessaire. La direction générale des finances publiques a ainsi simplifié le dispositif en supprimant l'obligation de dépôt des comptes, et la profession des liquidateurs a été sensibilisée à la nécessité d'accomplir les démarches nécessaires pour que le CICE soit versé directement à Bpifrance. Par ailleurs, le préfinancement du CICE des PME a été adossé au fonds de garantie du financement des créances professionnelles afin de simplifier le traitement des sinistres et de les couvrir à hauteur de 70 %. Ces mécanismes correctifs ont permis de revenir aux conditions de préfinancement du CICE qui prévalaient jusqu'à la fin de l'année 2014.

En ce qui concerne la branche investissement, la BPI opère essentiellement de deux manières : soit elle procède à des investissements directs dans des PME ou dans des ETI et des grandes entreprises, soit elle a recours à des fonds de fonds qui permettent d'alimenter des fonds privés de capital-développement, capital d'amorçage, capital-risque ou encore de capital-retournement.

Nous constatons la faiblesse des moyens humains dont dispose la BPI dans le domaine de l'investissement en fonds propres : moins de trois cents personnes travaillent pour l'ensemble de la branche participations, pour un avoir global de plus de 22 milliards d'euros. Pour l'équipe fonds de fonds, seulement dix-huit personnes assurent le suivi de près de trois cents fonds partenaires qui investissent eux-mêmes dans plus de trois mille entreprises pour un stock d'environ 1,7 milliard d'euros. Le suivi réel des investissements publics et la définition des priorités stratégiques s'en ressentent malgré la grande qualité des personnels. Il nous semble qu'un effort supplémentaire pourrait être mis en oeuvre pour renforcer la branche investissement de la BPI. Cet effort pourrait en outre passer par le recrutement de personnes spécialisées dans le développement industriel alors que les profils financiers ont jusqu'à maintenant été privilégiés.

Force est de constater que, si l'on met à part les participations détenues dans les grandes entreprises, la majeure partie des investissements en fonds propres de la BPI s'opère via des fonds de fonds, c'est-à-dire de manière indirecte. Ce type d'intervention démultiplie les possibilités d'intervention de la BPI et renforce en même temps le secteur du capital-investissement en France, mais il réduit la capacité, la sélectivité et le ciblage des interventions de la banque publique. Nous invitons à procéder à un rééquilibrage en faveur de l'investissement direct, bien que les deux modes d'intervention ne poursuivent pas tout à fait les mêmes objectifs. Cela permettrait notamment de mieux répondre aux besoins d'entreprises qui s'inscrivent dans le cadre des politiques de filières décidées par l'État, et qui ne trouvent parfois pas à Bpifrance une oreille attentive à leurs problèmes spécifiques.

Enfin, la question cruciale des entreprises en difficulté ne nous semble toujours pas avoir trouvé de réponse satisfaisante. C'est pourquoi nous proposons la création d'une capacité publique, ou semi-publique, de retournement. Aujourd'hui Bpifrance n'intervient qu'indirectement en retournement, via des fonds privés qu'elle finance, pour une force de frappe qui demeure loin des nécessités du marché. M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, a souligné, devant notre mission d'information commune, que cette capacité de retournement faisait défaut en France, ce qui aggrave la désindustrialisation. Dès lors, deux options se présentent : créer une capacité de retournement spécialisée au sein de Bpifrance, dont les activités seraient cloisonnées et garanties par l'État, ou mettre en place des fonds régionaux de retournement, en lien avec les régions et des acteurs privés, dans lesquels la banque investirait de manière importante. Ce débat mérite d'être mis en avant et nous pouvons espérer que des solutions concrètes se dessinent rapidement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion