La commission procède d'abord à l'examen du rapport de la mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, Bpifrance (M. Laurent Grandguillaume, rapporteur).
Le président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, a annoncé le 2 octobre 2013 que 2014 serait « l'année de l'évaluation des grandes lois votées par le Parlement ». La loi du 31 décembre 2012 relative à la création de la banque publique d'investissement (BPI) en fait partie.
Je tiens à souligner la qualité des auditions et la pertinence des interventions entendues lors des travaux de la mission, en insistant surtout sur le travail en commun que nous avons pu mener depuis le début de l'année avec le rapporteur, Laurent Grandguillaume. Ce rapport d'information a une vocation pédagogique car il démontre que la mission de contrôle du Parlement s'exerce pleinement.
Structure jeune, Bpifrance figure désormais pleinement dans le paysage institutionnel français, ce qui implique que la définition de ses missions soit précisée pour plus de cohérence et de pragmatisme, afin que tout dirigeant d'entreprise sache ce qu'il peut en attendre. C'est l'enjeu du recentrage souhaitable de la politique de communication du groupe.
Bpifrance s'engage régulièrement aux côtés des collectivités territoriales, au premier rang desquelles les régions, pour renforcer le soutien aux entreprises dans les phases clés de leur développement. En effet, dans l'environnement économique que nous connaissons, l'accompagnement des mutations des PME en entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des très petites entreprises (TPE) en PME est essentiel. C'est dans ce sens que l'articulation des relations entre Bpifrance et les nouvelles grandes régions sera décisive dans les mois qui viennent.
Il convient, plus généralement, de « recréer » dans notre pays un environnement favorable aux entreprises et à l'envie d'investir, avec un système fiscal incitatif et non dissuasif. L'entreprise n'est pas notre ennemie ! Nous devons créer un « cercle de confiance » permettant aux chefs d'entreprise de passer, l'an prochain, à la vitesse supérieure, et il faut absolument d'éviter que ces derniers ne soient submergés par la constitution chronophage de dossiers même si les retards pris sur le poste « investissements » pendant la crise expliquent pour une bonne part la baisse de la croissance, et les retards préjudiciables dans le renouvellement de l'équipement des entreprises et des infrastructures, qui en conséquence sont vieillissants.
Bpifrance a permis d'offrir un interlocuteur unique aux entreprises et, malgré la lourdeur encore réelle du traitement de certains dossiers, elle a facilité leurs démarches. Plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté sur la complexité des dossiers à monter : elle rend parfois nécessaire le recours à des cabinets spécialisés, ce qui peut générer des frais supplémentaires. Néanmoins, les délais d'intervention ont globalement été réduits, ce qui a permis de dynamiser l'intervention publique en matière de soutien aux entreprises.
En 2014, 82 000 entreprises, totalisant 1,3 million d'emplois, ont ainsi reçu une aide de la part de la BPI. En matière de soutien à l'innovation, l'action de la BPI est particulièrement exemplaire. Elle permet notamment de renforcer et de structurer le marché français du capital-risque. Mais l'activité de la BPI est aussi fortement soumise à des contraintes externes et internes, qui encadrent son action et sa doctrine.
En premier lieu, il convient de rappeler que le mode d'action de la BPI repose presque exclusivement sur un principe de complémentarité obligatoire avec le secteur privé – le soutien à l'innovation constituant l'exception à ce principe. Ces modes d'intervention, en cofinancement ou en co-investissement, veulent que pour un euro d'argent public prêté ou investi, au moins un euro d'argent privé participe à la même opération de crédit ou d'investissement. Ces principes, qui sont au coeur de la doctrine de Bpifrance, sont largement imposés par le droit européen qui exige que toute structure publique de financement de l'économie se comporte comme un « investisseur avisé », sous peine de tomber sous la réglementation des aides d'État.
Ces règles aboutissent cependant à un paradoxe que la BPI ne résout pas entièrement : l'on comprend en effet mal la logique qui veut que son action soit tournée vers les secteurs pour lesquels les acteurs privés n'interviennent pas et qu'elle soit, dans le même temps, contrainte d'agir systématiquement à leurs côtés.
Bien sûr, l'action de la BPI a un effet d'entraînement sur le financement et l'investissement privé. Mais des projets solides, potentiellement créateurs d'emplois, que Bpifrance aurait pu financer, n'intéressent pas toujours les partenaires privés, qui opèrent des arbitrages financiers en faveur d'opérations plus rentables à court terme et moins risquées. Ces situations ne sont pas recensées systématiquement aujourd'hui ni par Bpifrance ni par les services de l'État. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place un mécanisme d'alerte des services de l'État dans de tels cas de figure.
Nous proposons aussi d'assouplir les règles en matière de cofinancement et de co-investissement. Les traités européens prévoient en effet de nombreuses exceptions au principe de l'investisseur avisé. Elles ouvrent la possibilité aux aides d'État lorsque l'intérêt social ou économique, ou encore celui des territoires, le justifient. Or, la BPI ne s'autorise pas réellement à utiliser ces dérogations, et elle se montre parfois plus « royaliste que le roi ». Ce n'est d'ailleurs pas injustifié car, pour s'affranchir des règles européennes, il faut passer par un système de notification complexe auprès de la Commission européenne, qui s'accorde difficilement avec le temps économique. Il y aurait donc matière à étudier, avec les services de la Commission, le moyen d'accélérer cette procédure. Sur ce sujet, l'exemple allemand a retenu notre attention : la banque publique allemande, la KfW, accorde des prêts par l'intermédiaire de banques privées avec qui elle passe des conventions de gestion, évitant ainsi les questions relatives aux aides d'État. Sans remettre en cause le principe général de la co-intervention avec le secteur privé, un mécanisme de ce type pourrait être étudié en France pour des secteurs particuliers.
La question de la capacité d'intervention de la BPI est posée. La Banque centrale européenne ne pourrait-elle pas, par exemple, financer directement les institutions publiques d'investissement pour favoriser le développement de fonds de capital-risque ou de fonds de garantie européens ? Nous constatons avec satisfaction que la BPI a été la première à établir un accord avec la Banque européenne d'investissement (BEI) dans le cadre du plan Juncker pour développer le soutien à l'innovation à travers la mise en place d'instruments cofinancés par l'Union européenne. Il est nécessaire de poursuivre dans cette voie pour augmenter les moyens publics au service de l'investissement.
J'en viens plus concrètement aux outils dont dispose la BPI en matière de financement et d'investissement.
Pour le financement, deux outils sont principalement utilisés : la garantie et le prêt. Bpifrance déploie une vaste gamme de produits destinée à toutes les entreprises – cette gamme est peut-être même parfois trop vaste, puisqu'elle compte plus de quatre-vingts produits. Toutefois, nous avons pu constater que la réponse apportée aux TPE et aux PME était encore insuffisante. Les banques commerciales sont réticentes à prêter aux plus petites entreprises, et Bpifrance ne propose pas directement de produits de faible montant répondant à leurs besoins de trésorerie spécifiques. Nous proposons qu'en plus d'un petit prêt de développement, qui sera proposé dès le début de l'année prochaine aux TPE via internet, Bpifrance offre des micro-crédits avec les banques commerciales et renforce l'accompagnement des TPE en lien notamment avec les sociétés de cautionnement mutuel comme la SIAGI.
Il conviendrait aussi de faire plus pour les entreprises de l'économie sociale et solidaire.
Nous proposons de généraliser, sur l'ensemble du territoire, les « prêts rebonds » proposés dans certaines régions, comme l'Île-de-France, pour les entreprises connaissant des difficultés passagères.
Nous soulignons les enjeux du préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Bpifrance occupe aujourd'hui 90 % de ce marché qui a été déserté par les banques commerciales. La BPI s'est montrée particulièrement efficace dans le traitement des dossiers. Il faut saluer son action car le préfinancement du CICE est vital pour beaucoup de petites entreprises. Des difficultés sont toutefois survenues et à la suite des défaillances de certaines des entreprises bénéficiaires, le taux de sinistralité a fortement augmenté. Bpifrance s'est, en conséquence, montrée plus prudente, ce qui a eu tendance à ralentir le traitement des dossiers. Le décalage observé a alarmé plusieurs acteurs de terrain, par exemple en Basse-Normandie, qui ont alerté notre mission d'information commune. Le 15 septembre dernier, le ministre de l'économie nous a confirmé que l'administration avait fait le nécessaire. La direction générale des finances publiques a ainsi simplifié le dispositif en supprimant l'obligation de dépôt des comptes, et la profession des liquidateurs a été sensibilisée à la nécessité d'accomplir les démarches nécessaires pour que le CICE soit versé directement à Bpifrance. Par ailleurs, le préfinancement du CICE des PME a été adossé au fonds de garantie du financement des créances professionnelles afin de simplifier le traitement des sinistres et de les couvrir à hauteur de 70 %. Ces mécanismes correctifs ont permis de revenir aux conditions de préfinancement du CICE qui prévalaient jusqu'à la fin de l'année 2014.
En ce qui concerne la branche investissement, la BPI opère essentiellement de deux manières : soit elle procède à des investissements directs dans des PME ou dans des ETI et des grandes entreprises, soit elle a recours à des fonds de fonds qui permettent d'alimenter des fonds privés de capital-développement, capital d'amorçage, capital-risque ou encore de capital-retournement.
Nous constatons la faiblesse des moyens humains dont dispose la BPI dans le domaine de l'investissement en fonds propres : moins de trois cents personnes travaillent pour l'ensemble de la branche participations, pour un avoir global de plus de 22 milliards d'euros. Pour l'équipe fonds de fonds, seulement dix-huit personnes assurent le suivi de près de trois cents fonds partenaires qui investissent eux-mêmes dans plus de trois mille entreprises pour un stock d'environ 1,7 milliard d'euros. Le suivi réel des investissements publics et la définition des priorités stratégiques s'en ressentent malgré la grande qualité des personnels. Il nous semble qu'un effort supplémentaire pourrait être mis en oeuvre pour renforcer la branche investissement de la BPI. Cet effort pourrait en outre passer par le recrutement de personnes spécialisées dans le développement industriel alors que les profils financiers ont jusqu'à maintenant été privilégiés.
Force est de constater que, si l'on met à part les participations détenues dans les grandes entreprises, la majeure partie des investissements en fonds propres de la BPI s'opère via des fonds de fonds, c'est-à-dire de manière indirecte. Ce type d'intervention démultiplie les possibilités d'intervention de la BPI et renforce en même temps le secteur du capital-investissement en France, mais il réduit la capacité, la sélectivité et le ciblage des interventions de la banque publique. Nous invitons à procéder à un rééquilibrage en faveur de l'investissement direct, bien que les deux modes d'intervention ne poursuivent pas tout à fait les mêmes objectifs. Cela permettrait notamment de mieux répondre aux besoins d'entreprises qui s'inscrivent dans le cadre des politiques de filières décidées par l'État, et qui ne trouvent parfois pas à Bpifrance une oreille attentive à leurs problèmes spécifiques.
Enfin, la question cruciale des entreprises en difficulté ne nous semble toujours pas avoir trouvé de réponse satisfaisante. C'est pourquoi nous proposons la création d'une capacité publique, ou semi-publique, de retournement. Aujourd'hui Bpifrance n'intervient qu'indirectement en retournement, via des fonds privés qu'elle finance, pour une force de frappe qui demeure loin des nécessités du marché. M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, a souligné, devant notre mission d'information commune, que cette capacité de retournement faisait défaut en France, ce qui aggrave la désindustrialisation. Dès lors, deux options se présentent : créer une capacité de retournement spécialisée au sein de Bpifrance, dont les activités seraient cloisonnées et garanties par l'État, ou mettre en place des fonds régionaux de retournement, en lien avec les régions et des acteurs privés, dans lesquels la banque investirait de manière importante. Ce débat mérite d'être mis en avant et nous pouvons espérer que des solutions concrètes se dessinent rapidement.
Après que le rapporteur a évoqué le cadre d'action de Bpifrance et ses outils, j'en viens à la question de son insertion dans le paysage économique national.
Il n'est pas toujours aisé de comprendre les mécanismes de décision et de gouvernance de la Bpifrance, qui diffèrent d'ailleurs suivant le type d'intervention. La complexité ne résulte pas seulement d'une organisation duale, autour des deux activités juridiquement distinctes de financement et d'investissement, elle se retrouve également dans la conduite des missions de l'institution car, si la BPI agit la plupart du temps en tant que structure autonome et indépendante, elle peut également agir en tant qu'opérateur de l'État, notamment dans le cadre de la gestion du programme d'investissements d'avenir (PIA). L'impulsion donnée par les deux actionnaires principaux que sont l'État et la Caisse des dépôts est ainsi variable d'un domaine à l'autre. La question de l'actionnariat à 5050 de la BPI peut aussi être posée : lorsque deux capitaines dirigent un même navire, malgré leur étroite coordination, des divergences peuvent survenir et il est plus difficile de définir un cap.
Par ailleurs, la BPI doit coordonner son action avec d'autres acteurs comme la direction générale des entreprises du ministère de l'économie, les commissaires au redressement productif, la Caisse des dépôts ou encore l'Agence des participations de l'État ou l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Ces interactions multiples mériteraient d'être clarifiées.
Enfin, il est clair que des partenariats dynamiques ont été mis en place avec la plupart des régions pour la constitution de fonds permettant des interventions communes avec Bpifrance. Pour autant, l'association des régions à la gouvernance nationale de Bpifrance demeure trop limitée, et leur implication dans la gouvernance reste variable d'une région à une autre. Les comités régionaux d'orientation (CRO) ne sont pas réunis selon les mêmes agendas. Les présidents de conseils régionaux doivent être des « forces motrices » encore plus qu'ils ne le sont aujourd'hui : ils doivent réunir plus souvent les CRO et veiller à ce que leurs membres soient régulièrement informés par Bpifrance.
Le déplacement de notre mission d'information commune à Caen, en Basse-Normandie, a été riche d'enseignement. Les entrepreneurs que nous avons rencontrés étaient motivés et enthousiastes concernant le déploiement de Bpifrance.
En conclusion, la valeur ajoutée de la BPI dans le paysage économique est réelle et positive. Toutefois, l'approche financière qui lui permet de garantir son sérieux et sa pérennité pourrait être complétée par une approche plus industrielle et sociale. C'est aussi cela que les citoyens sont en droit d'attendre d'une banque publique financée très majoritairement par de l'argent public. L'investisseur avisé doit aussi être un investisseur assumé pour jouer pleinement son rôle en appui de la politique économique et industrielle de la nation.
Ce rapport d'information montre que Bpifrance remplit aujourd'hui sa mission. Cette jeune institution est devenue en très peu de temps un acteur reconnu de la vie économique nationale et territoriale grâce à la qualité de ses équipes et au rôle essentiel qui est le sien en matière de stratégie d'investissement. La présidente de la mission d'information vient de le dire : « La valeur ajoutée de la BPI dans le paysage économique est réelle et positive. »
Le nombre d'entreprises que Bpifrance a pu soutenir dans le cadre de sa doctrine mérite d'être souligné. Tournée vers les PME, les ETI et les TPE, Bpifrance les a soutenues pour innover, grandir, exporter et embaucher. L'année dernière, le rapporteur a rappelé que 82 000 entreprises, totalisant 1,3 million d'emplois, ont reçu une aide de la part de la BPI. J'ajoute que la mission d'information de notre assemblée sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, que présidait Olivier Carré, et dont le rapporteur était Yves Blein, a montré le rôle de Bpifrance dans le préfinancement du CICE dès 2013-2014.
L'ensemble de ces éléments font de Bpifrance un acteur incontournable et irremplaçable. Le rapport d'information montre cependant que des améliorations sont possibles sur plusieurs points.
La mission fait des préconisations utiles concernant l'assouplissement des règles de cofinancement. Il faut également accroître la coordination sur le territoire entre les acteurs publics du soutien à l'innovation. Ce soutien ne relève pas uniquement de Bpifrance, qui peut toutefois jouer un rôle d'animation, même s'il s'agit de l'une des vocations des comités régionaux d'orientation. Il est enfin nécessaire d'améliorer encore la coopération entre Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations, et l'Agence des participations de l'État. Nous avons désormais la chance de disposer d'un « pack » de la puissance publique pour l'investissement ; il faut soutenir le « maul » – vous me permettrez d'utiliser ce vocabulaire en période de coupe du monde de rugby – et accroître la réactivité dans l'examen des dossiers car les entrepreneurs ont besoin de réponses rapides.
Lors des débats parlementaires qui ont présidé à la création de Bpifrance, nous avions insisté sur la prise en compte des enjeux européens pour le soutien à l'innovation, je pense en particulier à la mise en place de fonds européens de capital-risque qui agiraient conjointement avec la Banque européenne d'investissement. Il s'agit d'un enjeu majeur pour les jeunes entreprises innovantes et pour leur localisation en Europe. Après une phase d'amorçage, elles sont bien souvent la cible de multinationales extra-européennes dont nous constatons parfois la voracité. Quelles sont les préconisations de la mission d'information commune sur ce sujet ?
Il semble que des marges de manoeuvre existent encore pour que Bpifrance agisse davantage sur le territoire en faveur des PME et TPE. Il est sans doute plus facile pour une banque de se tourner vers les grands projets qui permettent de faire du chiffre. Il faudra voir comment se mettront en place sur les territoires les plateformes évoquées dans le rapport : elles permettraient de davantage irriguer les petites entreprises pour des prêts de 10 000 à 20 000 euros. Oserais-je dire qu'une certaine paresse pourrait ne pas avoir incité la BPI à aller vers les petits projets ? La BPI est un « monument » qui publie de très belles plaquettes ; les petits projets ne sont peut-être pas assez valorisants pour elle. Il faut qu'elle ait envie de « faire bouillonner » le territoire.
En matière de préfinancement du CICE, un certain volontarisme ferait défaut. J'ai aussi entendu parler de prêts accordés dans ce cadre à des taux d'intérêt relativement élevés. Ces sujets ont-ils été abordés dans le cadre de vos travaux ?
Lors de la création de Bpifrance, nous imaginions une sorte de pré-banque du développement durable et de la transition énergétique. Les résultats ne sont pas aujourd'hui tout à fait à la hauteur. Que préconisez-vous dans ce domaine ?
Si les bilans de la BPI sont bons, ils peuvent aussi laisser penser que cette dernière ne prend finalement pas beaucoup de risques. Peut-être pourrait-elle aller davantage vers les entreprises qui ont besoin que l'on prenne un peu plus de risques pour elles ? Nous parlons de retournement et d'entreprises en mutation qui s'inscrivent dans le XXIe siècle.
Les directions régionales de Bpifrance ne fonctionnent pas nécessairement toutes de la même manière. Existe-t-il bien une volonté exprimée au niveau national pour soutenir les TPE, notamment celles qui innovent ? Éric Alauzet vient de le dire : les TPE ont souvent le sentiment que la BPI n'est pas faite pour elles. Des responsables de chambres de métiers m'ont récemment confié qu'ils avaient du mal à obtenir un simple rendez-vous.
Monsieur le rapporteur, j'apprécie beaucoup que, dans votre rapport écrit, vous invitiez Bpifrance à « davantage de sobriété dans sa communication ». Sur les territoires, l'on se demande souvent si l'argent investi pour produire de volumineux documents de communication ne serait pas mieux utilisé s'il finançait les TPE.
Les auditions que vous avez menées vous permettent-elles de disposer d'informations sur le développement international ? Vous reprenez les constats issus des travaux menés par Patrice Prat et Jean-Christophe Fromantin, dans le cadre du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale, sur le soutien public aux exportations, mais il y a eu la volonté de donner un véritable élan par la collaboration entre Business France et Bpifrance. Je suis cependant dubitative quand je constate la persistance de doublons pour certaines missions à l'étranger. Un rapport d'information ultérieur pourrait traiter de ces sujets.
Le rapport d'information demande à juste titre que les comités régionaux d'orientation se réunissent plus souvent. Cela me semble indispensable, surtout dans le contexte d'une nouvelle organisation territoriale de notre pays. Je pense même qu'il faudra organiser des relais dans le cadre des anciennes structures car je crains que la réactivité des CRO ne s'amoindrisse s'ils sont uniquement situés dans la capitale régionale de très grande région.
L'annexe 1 du rapport est consacrée à la dotation et à la consommation des fonds directs gérés par Bpifrance. Même si certains fonds ont été lancés assez récemment, l'écart entre leur taille et les montants investis m'étonne. La taille du fonds Écotechnologies, lancé en juin 2012, soit 150 millions d'euros, est à comparer aux 31,7 millions investis au 31 décembre 2014. Dans les faits, 80 millions d'euros sont encore disponibles. Est-ce dû au faible nombre de dossiers présentés ou à une trop grande sélectivité, à moins que l'on ne se tourne jamais vers les petits dossiers ? Le fonds Biothérapies innovantes et maladies rares est doté de 50 millions d'euros : 4,7 millions seulement ont été investis, et environ 38 millions d'euros restent disponibles. Quant aux montants encore disponibles du fonds Ambition numérique créé en décembre 2011, ils dépassent les 100 millions. Comment expliquez-vous la faible utilisation de ces fonds alors que nous savons que les entreprises et les projets ont besoin d'être soutenus ?
En raison des règles prudentielles et notamment de l'application des accords de Bâle III, les établissements financiers restent très en retrait sur de nombreux projets. Cette grande prudence suscite toujours des interrogations de la part des entreprises et au sein des chambres consulaires. En créant Bpifrance, le législateur visait précisément à ce que cette institution se substitue en partie aux organismes financiers traditionnels. J'ai pourtant le sentiment qu'elle se conforme aujourd'hui à des règles identiques. On ne saurait vraiment l'en blâmer, les règles prudentielles sont une réalité. Mais à quoi aura servi la création d'une banque publique d'investissement si elle fait la même chose qu'un organisme classique ?
Le refus de Bpifrance de s'engager auprès de certaines entreprises qui l'ont sollicitée peut comporter un risque pour ces dernières en termes de solvabilité et de crédibilité. Il est d'ailleurs judicieusement proposé dans le rapport d'information de « veiller à ce que Bpifrance ne joue pas le rôle d'une agence de notation ».
Aujourd'hui, s'il y a un conseil à donner aux porteurs de petits projets, ce n'est ni d'aller voir leur banque ou ni de solliciter la BPI, c'est de faire de faire appel au crowdfunding. Comment est-il donc possible de mieux accompagner les petits projets ?
Certaines entreprises de l'économie collaborative ont pu se développer grâce à des aides. Pour que leur activité dépasse les frontières du territoire national, elles ont cependant besoin de faire appel à des ressources très importantes qu'elles ne peuvent trouver en France. Elles sont alors dans l'obligation d'aller dans la Silicon Valley pour lever 5 ou 6 millions d'euros. C'est dommage ! Si nous ne prenons pas en compte les grandes plateformes de l'économie numérique qui se développent aujourd'hui, nous risquons de passer à côté de la troisième révolution industrielle qui va transformer la nature de notre économie. La France a bien Meetic ou Blablacar, mais cela ne sera pas suffisant. Les plus grandes entreprises aujourd'hui ne passent plus par un financement national et cela pose un véritable problème.
L'activité de la BPI est très hétérogène selon les territoires mais je peux témoigner que le CRO fonctionne en région Rhône-Alpes. Il appartient aussi aux élus et aux conseils régionaux de se montrer exigeants et de mobiliser les partenaires sociaux afin que Bpifrance soit au rendez-vous d'un certain nombre de financements. Dans ma région, les organisations salariales se sont manifestées fortement. Un peu comme cela se pratique déjà en Allemagne, il me paraît très sain que les représentants des salariés et les représentants patronaux puissent parler à la banque et à la BPI.
Dans ma région comme au niveau national, la BPI est sous-dotée, notamment pour ce qui concerne l'innovation. Chaque année, il lui manque une cinquantaine de millions d'euros et les choses ne vont pas en s'améliorant. Nous mettons en péril l'innovation et la reconquête industrielle dans notre pays pour 50 millions d'euros ! Nous devons régler ce problème lors de l'examen du budget. Si nous n'agissons pas, sur le terrain, le financement de ces projets cesse en septembre faute de crédits budgétaires !
Le ministre de l'économie a évoqué le financement du retournement. Pour se conformer aux règles édictées par Bruxelles, j'ai cru comprendre que Bpifrance ne serait jamais en première ligne, et que l'on s'abriterait derrière des organismes privés. Le sujet est très complexe et nécessite que l'on définisse les termes utilisés. Les PME et les ETI ont certainement de réels besoins en termes de retournement. Sachant qu'il faut faire intervenir des opérateurs privés, comment agir et dans quels délais ?
Monsieur Terrasse, vous évoquiez la timidité des organismes financiers dans le soutien à un certain nombre de petits projets portés par les TPE et PME. Bpifrance doit être un organisme différent des autres et combler les failles de marché en intervenant là où les acteurs privés ne sont pas présents.
Les TPE et les PME n'ont pas été les premières « cibles » de Bpifrance, mais il nous a semblé, au cours des auditions, que cette dernière avait pris conscience de cette situation. Nous proposons, en tout état de cause, qu'une attention particulière soit accordée par Bpifrance aux PME et aux TPE qui ont de réels besoins de financements à court terme, en particulier des besoins en fonds de roulement pour du fonctionnement. Nous proposons notamment la mise en place d'une plateforme permettant de délivrer des micro-crédits de trésorerie.
Globalement, Bpifrance fonctionne bien partout en France, mais elle fonctionne différemment d'une région à l'autre selon la force des liens créés entre l'antenne régionale et les institutions locales régionales. Il faudra aborder ce sujet en tenant compte des nouvelles grandes régions, sachant que Bpifrance entend maintenir le nombre de ses antennes. De nouvelles politiques économiques régionales devront permettre l'établissement de liens forts afin que tous les acteurs coordonnent leurs actions pour rendre service aux entreprises.
Le préfinancement du CICE a permis à Bpifrance de se faire connaître par les entreprises. Nous avons constaté une certaine réticence ces derniers mois en raison de difficultés de recouvrement en cas de défaillance des entreprises. Bpifrance a évolué cependant sur ce point.
La BPI n'avait pas pour objectif d'intervenir directement auprès des micro-entreprises et des TPE. En la matière, elle passe par les banques commerciales qui peuvent mobiliser la garantie de Bpifrance directement à hauteur de 200 000 euros. Notre rapport propose cependant d'aller plus loin grâce à un continuum de financement adapté pour les très petites entreprises. Il s'agirait de mettre en place un micro-crédit de trésorerie, des prêts de développement, et des sociétés de caution mutuelle qui permettraient aux entrepreneurs de s'adresser aux banques commerciales en disposant d'une lettre de pré-garantie. Cette « inversion » du système de garantie pourrait constituer une bonne solution pour les TPE et les micro-entreprises.
Il faut créer une capacité publique en matière de retournement mais il faut aussi qu'il y ait plus de partenaires privés qui interviennent. M. Emmanuel Macron a abordé la question ; nous devrons avancer sur ce dossier. Ce qui est certain, c'est que nous manquons de moyens pour exercer ce retournement. Certaines régions, comme la Franche-Comté, ont mis en place des outils pour intervenir en la matière. Sur ce sujet aussi, il y a une faille de marché et il est possible de faire intervenir nos capacités publiques en complément de partenaires privés. Nous attendons les propositions du ministre de l'économie.
Lionel Tardy a évoqué le programme d'investissement d'avenir et l'activité fonds de fonds de la BPI. La situation qu'il constate peut sans doute avoir plusieurs explications : la BPI fait, à coup sûr, parfois preuve d'une trop grande prudence. Elle a fait cependant de nombreux efforts mais j'ai déjà souligné qu'une équipe de moins de vingt personnes gérait près de trois cents fonds. Il faudrait à coup sûr intervenir plus finement pour permettre l'exécution des différents objectifs.
La BPI est très présente dans la Silicon Valley et suit de près les innovations qui apparaissent dans cette zone très dynamique. La BPI innove et accompagne les mutations ; nous ne sommes pas inquiets sur ce sujet.
Concernant les enjeux européens de soutien à l'innovation évoqués par Guillaume Bachelay, je rappelle que Bpifrance a été la première institution européenne à signer un accord avec la BEI. Il est évidemment possible d'aller plus loin et, en particulier, de saisir les opportunités qui se présentent dans le cadre du plan Juncker.
La mission d'information soutient les efforts de la BPI visant à obtenir des institutions européennes la mise en place de fonds européens de capital-risque agissant conjointement avec la BEI. Il s'agirait ainsi d'encourager la mise en place de fonds de fonds de capital-risque multi-pays gérés par les opérateurs nationaux. Pour la France, la taille cible d'un tel fonds de fonds pourrait être de 300 millions d'euros dont une contribution de Bpifrance de 40 millions d'euros.
Nous souhaiterions aussi que le fonds Sociétés de projets industriels (SPI), qui soutient le passage à l'industrialisation de nouvelles technologies et de nouvelles filières, soit abondé plus amplement par la BEI.
Un débat plus large existe concernant la création monétaire et la Banque centrale européenne. Nous proposons de permettre à Bpifrance et à la BEI d'accéder directement au financement de la BCE pour des projets spécifiques d'investissements cohérents avec les priorités économiques décidées au niveau de l'Union européenne.
La BPI est présente dans les institutions européennes. Elle pèse pour que notre pays attire des capacités supplémentaires et que jouent des effets de levier afin que nos entreprises puissent investir.
La Commission autorise, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information commune sur la banque publique d'investissement Bpifrance.
Elle examine ensuite le rapport d'information de M. Jean-Marie Beffara en conclusion des travaux de la mission d'information sur le financement public de l'audiovisuel en France.
Le financement et la gestion des groupes publics de l'audiovisuel posent un certain nombre de problèmes comme le montre l'actualité – je pense, par exemple, à la nomination de la nouvelle présidente de France Télévisions.
Notre mission d'information a donc entrepris un travail utile sous la houlette de son rapporteur qui est également rapporteur spécial de la mission Médias, livre et industries culturelles. Il a notamment effectué un intéressant déplacement à Londres où il a rencontré des représentants de la BBC et le ministre britannique de la culture. Tout n'est évidemment pas transposable d'un pays à l'autre, mais certains modèles qui fonctionnent peuvent toutefois nous inspirer.
Les finances de l'audiovisuel public sont pour le moins « tendues ». Nous constatons un inquiétant effet de ciseau : les ressources publiques et commerciales progressent de moins en moins rapidement, alors que les charges augmentent de plus en plus vite. Cette situation est d'autant plus dangereuse que l'avenir est incertain pour les groupes privés ou publics.
Un très grand écart existe par ailleurs entre les engagements de la puissance publique à l'égard de l'audiovisuel public et leur traduction dans les faits. La plupart de ces engagements ne sont, en effet, pas respectés.
Lors de nos travaux, nous avons rencontré une large gamme d'interlocuteurs représentant aussi bien le secteur public que le secteur privé. Ce contact avec les acteurs nous amène à penser qu'il faut évidemment poursuivre la restructuration de l'audiovisuel public. Des « économies structurelles » ont déjà été entreprises, mais nous devons aller plus loin. Il n'y a pas d'avenir pour l'audiovisuel public sans une restructuration, une réorganisation – qu'importe les termes, prenons les moins violents –, et des économies de gestion qui ne peuvent passer que par une refonte du modèle en termes d'organisation et probablement de fonctions, de moyens et de missions. C'est vrai tant pour Radio France que pour France Télévisions. Nous rendons hommage aux efforts déjà accomplis ces dernières années ; ils portent leurs fruits aujourd'hui. Les choses ne vont cependant pas encore assez loin.
Je l'indique dans l'avant-propos, je ne partage pas la position du Rapporteur concernant deux des préconisations du rapport d'information.
Je ne pense pas qu'il soit possible à court terme d'élargir l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), plus connue sous le nom de redevance, car j'estime que nous nous trouvons dans un contexte fiscal que j'ai qualifié d'« oppressant ». Les contribuables ne sont pas prêts à payer davantage ni d'ailleurs à voir de nouveaux supports soumis à la CAP. Évidemment, le Rapporteur ne demande pas une taxation généralisée de tous les ordinateurs ou de toutes les tablettes, sa proposition est plus fine, mais elle reste à mon sens très difficile à mettre en oeuvre aujourd'hui.
Je ne pense pas non plus qu'il soit possible de réintroduire la publicité entre 20h00 et 21h00 sur les chaînes publiques. Les recettes publicitaires sont extrêmement variables et le « gâteau » ne peut pas s'agrandir quand les opérateurs se multiplient – la question s'est posée récemment concernant l'avenir de LCI. Pour ma part, j'estime que nous devons camper sur nos positions et conserver le modèle actuel sans publicité à partir de 20h00. Le Rapporteur et moi-même nous rejoignons cependant sur notre proposition extrême : la meilleure des situations pour un groupe comme France Télévisions serait qu'il n'ait pas besoin du tout d'avoir recours à la publicité, et que son financement repose sur un autre modèle économique, car la publicité fait évidemment peser une contrainte très forte sur la nature des programmes.
Pour aller dans ce sens, il faudrait diversifier les ressources. La dernière partie du rapport d'information est consacrée à ce sujet. Les mécanismes de financement actuels sont peut-être compréhensibles vus de la planète Mars ; pour nous, ils restent obscurs ! Des rapports étonnants sont noués entre diffuseurs et producteurs, et des critères surprenants conduisent à une atomisation de la production. Les diffuseurs ne sont pas propriétaires de grand-chose et ils n'ont pas la propriété des mandats de commercialisation. Ce système fonctionne avec de l'argent public sans beaucoup de contrôle, c'est le moins que l'on puisse dire. Sans tout remettre en cause, nous proposons une réforme assez complète qui s'inspire du modèle britannique, afin que nous puissions conserver un audiovisuel public fort et préserver la création culturelle. Cet objectif était sans doute à l'origine de l'organisation actuelle du modèle de production. Je ne sais pas s'il a été atteint. En tout cas, la dispersion des producteurs est totale et nous n'avons pas fait naître de véritable puissance à l'exportation.
J'ajoute que toutes les taxes affectées doivent être correctement fléchées : il ne faut pas qu'elles profitent au budget général, mais bien à l'audiovisuel public.
Je remercie le Président de la mission d'information : même si nous divergeons sur certaines propositions, nous avons saisi ensemble les enjeux principaux de ce dossier.
Le financement de l'audiovisuel public représente 3,8 milliards d'euros en 2015, et plus de 22 milliards d'euros ont été alloués à ce secteur depuis 2010. Nous sommes donc en présence d'enjeux financiers extrêmement forts, auxquels s'ajoutent bien entendu des enjeux culturels tout aussi importants.
La mission d'information a souhaité raisonner à l'échelle d'un modèle économique. Cela implique de considérer l'articulation entre les différentes recettes selon leur nature, d'envisager les évolutions et les diversifications possibles, mais également de s'interroger sur les améliorations à apporter en matière de gouvernance au sein de chaque entreprise ainsi qu'à l'échelle globale du secteur.
Concernant par exemple la problématique des recettes publicitaires, il a été indispensable de comprendre les mécanismes de marché et les interactions qui se nouent de manière inéluctable entre les acteurs privés et publics. De même, les évolutions en matière d'investissement dans la production audiovisuelle indépendante concernent à la fois les diffuseurs privés et publics, ainsi que, bien sûr, les entreprises de l'industrie de production audiovisuelle. Il était donc nécessaire d'aborder les enjeux de l'audiovisuel public en prenant en compte tous leurs impacts sur son environnement économique.
Trois constats ont guidé la réflexion de la mission d'information et ont constitué un fil conducteur qui a orienté l'ensemble de nos propositions.
Premièrement, l'économie française est encore fragile, et l'effort de redressement des finances publiques constitue une exigence qui doit s'imposer à tous les opérateurs de l'État. Dans ce contexte, l'augmentation de la pression fiscale, notamment pour les moins favorisés, ne peut être une solution pérenne.
Deuxièmement, l'ensemble du secteur audiovisuel est en train de se métamorphoser depuis quelques années sous l'impulsion de ce qu'on a appelé la révolution numérique. Cette dernière a un impact sur les pratiques de consommation audiovisuelle, mais également sur les structures même du marché.
Troisièmement, dans le secteur de la télévision, le « choc d'offres » qu'a constitué l'émergence des chaînes gratuites de la TNT – nous sommes passés de cinq à quasiment vingt-six chaînes – a modifié les paramètres économiques qui prédominaient jusqu'ici chez les diffuseurs historiques.
Par ailleurs, une attention toute particulière a été accordée au cas de France Télévisions, car il s'agit du plus grand groupe public audiovisuel français mobilisant près de 65 % des dotations publiques et réalisant plus de 50 % des investissements dans la production audiovisuelle de l'ensemble des diffuseurs. France Télévisions constitue donc un élément majeur de l'équilibre, ou au contraire du déséquilibre, de l'ensemble du secteur. Il est également le groupe le plus concerné par la problématique des recettes publicitaires au sein d'un marché télévisuel déstructuré en concurrence directe avec l'audiovisuel privé.
La mission a également souhaité souligner les différences entre les multiples opérateurs de l'audiovisuel public. Cette étude plus « personnalisée » est indispensable, car elle nous permet de nous prémunir contre toute généralisation et de saisir les contraintes particulières de chacune des sociétés : entre l'Institut national de l'audiovisuel (INA), dont les ressources propres financent 30 % du budget, et Arte qui dépend à plus de 95 % du produit de la CAP, on comprend bien que les contraintes et le modèle économique ne sont pas les mêmes.
Le rapport d'information formule plusieurs propositions qui doivent amener à refonder le ou les modèles économiques de l'audiovisuel public.
La première partie du rapport aborde la question de la gouvernance et du financement de l'audiovisuel public.
Dans le cadre des contrats d'objectifs et de moyens (COM) qui régissent la stratégie des opérateurs de l'audiovisuel public, nous avons pu constater que les engagements financiers n'étaient pas toujours respectés. Les objectifs imposés aux sociétés sont imparfaitement corrélés aux moyens attribués. Autrement dit, l'audiovisuel public n'a pas toujours les moyens de ses ambitions. Par ailleurs, les efforts de restructuration nécessaires dans un contexte de finances publiques contraintes ont tardé à se mettre en place et se confrontent aujourd'hui à d'importantes rigidités de gestion.
Nous proposons en conséquence une gouvernance renforcée à l'échelle de l'ensemble de l'audiovisuel public, par la mise en place rapide d'un comité regroupant l'ensemble des présidents de l'audiovisuel public et d'un document contractuel commun à l'ensemble des sociétés. Cette gouvernance transversale devrait prendre une forme relativement souple : il ne s'agit pas de modifier les structures existantes, comme un récent rapport d'information du Sénat propose de le faire, mais de renforcer la coopération. La mission se prononce également en faveur d'une disparition rapide des crédits budgétaires, incompatibles avec une ressource sécurisée, car trop soumis à la régulation infra-annuelle.
L'évolution de la CAP doit faire l'objet quant à elle d'une clé de répartition prévisible sur la totalité de la période des différents contrats objectifs et de moyens. Il s'agit d'une condition préalable pour que chaque opérateur puisse adopter une stratégie de long terme, a minima à l'échelle d'une présidence. Le recours à la CAP, qui constitue une ressource publique, doit être étroitement conditionné à la poursuite d'objectifs d'économies structurelles et de maîtrise des dépenses. Cette discipline est indispensable quand il s'agit de deniers publics. Elle doit faire l'objet d'un contrôle renforcé de l'ensemble des opérateurs.
Le rapport d'information formule aussi des propositions sur la réforme de la CAP. L'évolution même du produit de cette taxe est aujourd'hui remise en cause du fait de la révolution numérique et de la modification des usages en matière audiovisuelle : de manière irréversible, le téléviseur n'a plus le monopole de la télévision. La réforme de l'assiette apparaît donc comme une nécessité pour sécuriser et pérenniser la ressource première de l'audiovisuel public.
Depuis le premier semestre 2013, le taux d'équipement en téléviseurs de la population française connaît une baisse tendancielle qui s'est poursuivie en 2014, passant de 98,1 % au troisième trimestre 2013 à 96,2 % au troisième trimestre 2014. Ce mouvement semble irréversible. S'il n'est pas pris en compte par les pouvoirs publics, il entraînera immanquablement la sortie d'un certain nombre de contribuables de l'assiette de la CAP, dont l'érosion provoquera inéluctablement une hausse de son montant afin de garantir son rendement, ce qui ne serait pas compatible avec l'objectif de stabilité fiscale.
Je propose donc d'étendre l'assiette à tous les supports permettant la réception de la télévision en illimité. Chaque foyer ne serait évidemment assujetti qu'au paiement d'une seule contribution quel que soit son niveau d'équipement. Cette mesure aurait pour conséquence d'assujettir 720 000 foyers supplémentaires à la CAP. Dans le même temps, je propose d'instaurer un demi-tarif pour les jeunes de moins de 25 ans. Aujourd'hui, un million de jeunes, non rattachés au foyer fiscal de leurs parents, payent la CAP à taux plein. Cette mesure représenterait une économie de 68 euros par an pour ce million de jeunes. L'effet combiné de ces deux mesures générerait un produit supplémentaire de CAP d'environ 30 millions d'euros, soit un rendement quasi constant mais durable. Cette pérennisation constitue l'intérêt de la réforme proposée.
La seconde partie du rapport traite de la principale ressource propre de l'audiovisuel public que constitue la recette publicitaire.
Cette problématique concerne en premier lieu France Télévisions, car la publicité représente actuellement 11 % de ses ressources. Outre le débat, justifié par ailleurs, sur les conséquences en termes de programmation, il s'agit également d'une question économique forte : au vu de la dégradation du marché publicitaire de la télévision, pour des raisons conjoncturelles certes, mais également du fait de modifications structurelles, comme par exemple la montée en charge d'internet ou la multiplication des chaînes gratuites, la recette publicitaire ne constitue plus une recette pérenne, prévisible et dynamique. Pour France Télévisions, le problème est accentué par l'interdiction de vendre des espaces publicitaires sur la tranche la plus rémunératrice du prime time.
Cette instabilité a des conséquences pour l'ensemble des opérateurs, puisqu'un choc de recettes sur France Télévisions amènera nécessairement une régulation pour les autres acteurs.
Je ne propose pas aujourd'hui une solution, mais une alternative qui doit pousser les pouvoirs publics à assumer le modèle économique qu'ils choisissent.
Il est possible de faire le choix d'une solution de court terme risquée pour le marché publicitaire : le retour partiel de la publicité de 20h00 à 21h00 pour un gain d'environ 100 millions d'euros. Cette première option permettait à France Télévisions de redevenir concurrentiel en assumant la recette publicitaire comme composante à part entière du financement de l'audiovisuel public.
Mais nous pouvons adopter une autre solution plus durable impliquant un changement de modèle économique : la suppression progressive de la publicité. Elle se traduirait par un manque à gagner d'environ 250 millions d'euros, qui pourrait être comblé par la poursuite de la réduction des coûts, par l'affectation d'une partie de la taxe sur les opérateurs de communication électronique plafonnée à hauteur de 160 millions d'euros, montant équivalent à la dotation budgétaire de France Télévisions dans le budget pour 2015, et par la diversification des autres ressources propres.
Dans les deux cas, il s'agit d'affirmer un choix clair du modèle économique souhaité pour l'audiovisuel public, avec les impacts que cela suppose sur la programmation qui demeure étroitement dépendante des exigences de son financement. La situation actuelle est un entre-deux qui fragilise l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel public.
La dernière partie du rapport porte sur la diversification des ressources propres et plus particulièrement sur la valorisation possible des investissements des diffuseurs en faveur de la production audiovisuelle indépendante.
Les textes législatifs et réglementaires qui encadrent les interactions entre les acteurs de l'audiovisuel ne sont plus adaptés aux évolutions technologiques, économiques et aux modes de consommation de l'audiovisuel.
La relation entre les producteurs et les diffuseurs, la valorisation économique de la production audiovisuelle, mais aussi son rayonnement à l'international doivent être repensés avec un logiciel du XXIe siècle. Par exemple, dans le système hérité des « décrets Tasca », une anomalie économique perdure puisque les investissements en faveur de la production audiovisuelle, soit 400 millions d'euros par an pour France Télévisions, ne font l'objet d'aucun « retour sur investissement » ni d'aucun actif, et s'apparente en fait à une subvention
La valorisation de la production audiovisuelle est un sujet très complexe dans un secteur qui de surcroît est encore débutant dans l'exercice de la transparence, ce qui rend tout chiffrage difficile. Cette adaptation ne pourra se faire que dans la plus grande concertation et dans le dialogue entre tutelle, distributeurs, diffuseurs, auteurs et producteurs des secteurs public et privé.
La mission d'information présente plusieurs axes d'évolutions qui ne sont pas nécessairement cumulatifs et qui nécessitent des études d'impact plus approfondies. Ils représentent néanmoins des opportunités de valorisation économique de l'ensemble de la filière et donc de ressources complémentaires pour l'audiovisuel public.
Nous proposons de réformer le décret du 27 avril 2015 afin de permettre aux diffuseurs de détenir des parts de coproduction à partir d'un financement à hauteur de 50 %. Nous souhaitons aussi que se développe la maîtrise des mandats de commercialisation par les diffuseurs, en favorisant la mise en concurrence entre diffuseurs et producteurs. Aujourd'hui, de nombreuses oeuvres ne sont jamais commercialisées après leur première diffusion parce que personne n'a d'intérêt économique à le faire. Nous proposons enfin d'assouplir les obligations en faveur de la production indépendante, notamment en abaissant le taux d'investissement obligatoire en sa faveur de 95 % à 70 % pour France Télévisions. Pour les 30 % restants, la mission propose une obligation de 15 % dans la production dépendante et une « fenêtre de mise en concurrence » entre production dépendante et indépendante de 15 %, sur le modèle qui fonctionne aujourd'hui assez bien à la BBC.
Il s'agit pour nous d'une réforme ambitieuse et globale visant à remplacer un financement incertain, imprévisible et peu pérenne par des ressources sécurisées à la trajectoire dynamique et pilotées de manière efficace, le tout en faveur d'un service public audiovisuel rénové, capable de s'imposer sur la scène internationale.
L'audiovisuel public est à la croisée des chemins. Les évolutions sont naissantes mais inéluctables. Plus l'érosion de l'assiette de la CAP sera forte, plus la réforme sera difficile. Le choix concernant la publicité sur France Télévisions doit s'inscrire dans une perspective d'avenir pour le service public, compatible avec son éthique et ses obligations. Enfin la valorisation et la répartition des recettes issues de l'évolution du modèle économique de l'audiovisuel sont d'autant plus faciles à réaliser aujourd'hui que nous ne sommes qu'au début d'une nouvelle ère.
Sans urgence absolue, mais avec la volonté d'être au rendez-vous des transformations en cours, nous devons, avec détermination et responsabilité, assurer stabilité et perspectives à l'audiovisuel public français. C'est un enjeu économique et culturel majeur.
Dans l'hémicycle, dans quelques instants, lors de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, certains députés demanderont une taxation supplémentaire du cloud pour alimenter la redevance pour copie privée. Les situations ne sont pas les mêmes, mais les problèmes sont proches et s'expliquent par le changement de modes de consommation lié à de nouvelles donnes économiques. En matière de télévision, le poids des chaînes historiques leaders est en baisse en raison de la multiplication des acteurs : vingt-cinq chaînes nationales et quarante chaînes locales sont accessibles gratuitement, et l'on compte onze chaînes nationales payantes. Face à la profusion de l'offre gratuite, les gens se demandent pourquoi ils paieraient un service qu'ils ne consomment pas ou qu'ils ne souhaitent pas consommer.
L'augmentation des taxes ou l'élargissement des assiettes constituent des solutions qui auront leurs limites car nous n'en sommes aujourd'hui qu'au début de l'« uberisation » de l'économie. Nous n'avons encore rien vu ! Le législateur ne propose systématiquement qu'une solution : augmenter les taxes, augmenter la base… Ce n'est que reculer pour mieux sauter ! Il faudra des réformes de fond de l'audiovisuel public, du numérique, de l'économie car, quoi qu'il arrive, les évolutions futures ne seront pas favorables aux acteurs historiques. Toutes les augmentations de taxe du monde n'y changeront rien.
Cette analyse des propositions du Rapporteur est un peu réductrice. La mission d'information a souhaité éviter l'augmentation brutale de la CAP en posant la question légitime des supports : à partir du moment où vous recevez du contenu de l'audiovisuel public, il n'est pas absurde de vous demander de le financer. Il me semble que cette question peut se poser, même si j'estime que la période est inappropriée pour cela.
Nos travaux vont aussi plus loin. Notre analyse des ressources commerciales de l'audiovisuel public nous amène à proposer de réorganiser les rapports qu'il entretient avec le monde de la production indépendante. Nous abordons la question des restructurations et des réformes de fond. Nous demandons que l'État respecte ses engagements et assure une visibilité au gestionnaire notamment en clarifiant et en hiérarchisant les contrats d'objectifs et de moyens. Dans ce contexte, la BBC offre un intéressant modèle d'autonomie et d'intégration. Ces sujets sont abordés sans détour par la mission d'information.
La Commission autorise, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information de la mission d'information sur le financement public de l'audiovisuel en France.
Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné M. Jean-Claude Buisine rapporteur spécial sur la mission Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture et M. Joël Giraud rapporteur spécial sur la mission Statistiques et études économiques stratégie économique et fiscale ; Accords monétaires internationaux pour le projet de loi de finances pour 2016.
Informations relatives à la Commission
La Commission a reçu en application de l'article 12 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) :
– un projet de décret de transfert de crédits d'un montant de 1 034 667 euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), dont 995 000 euros en titre 2 et de 7 équivalents temps plein travaillés (ETPT), du programme 156 Gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local de la mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines à destination du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde de la mission Action extérieure de l'État et du programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement de la mission Aide publique au développement.
Ce décret correspond au montant des moyens nécessaires en 2015 à l'adaptation de trésoreries auprès des ambassades de France dans le cadre de la rationalisation et de la réorganisation des réseaux à l'étranger.
Les annulations se répartissent de la façon suivante :
- programme 156 : 1 034 667 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, dont : 995 000 euros en titre 2 et 7 équivalents temps plein travaillés.
Les ouvertures se répartissent de la façon suivante :
- programme 105 : 734 283 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, dont : 694 616 euros en titre 2 et 5 équivalents temps plein travaillés ;
- programme 209 : 300 384 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, dont : 300 384 euros en titre 2 et 2 équivalents temps plein travaillés ;
– un projet de décret de transfert de crédits d'un montant de 8 000 000 euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), du programme 104 Intégration et accès à la nationalité de la mission Immigration, asile et intégration, du programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse de la mission Justice et du programme 230 Vie de l'élève de la mission Enseignement scolaire à destination du programme 304 Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solitaire de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.
Un dispositif national de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation des mineurs isolés étrangers (MIE) a été mis en place en 2013 pour faire face au problème de la gestion par les départements de ces mineurs relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ce dispositif repose sur une prise en charge par l'État de la mise à l'abri et de l'évaluation des jeunes (250 euros jour dans la limite de 5 jours) et une orientation, par une cellule nationale placée au ministère de la justice, pour mieux répartir ces mineurs entre les départements.
Pour financer ce dispositif, il a été décidé, en 2013, de mobiliser le reliquat du fonds de soutien aux départements à hauteur de 10,4 millions d'euros. Cette mobilisation s'est faîte par la voie d'un rétablissement de crédits au profit du programme 122 puis d'un transfert à l'Agence de services et de paiement (ASP) à charge pour elle de rembourser les départements.
Lors d'une réunion interministérielle qui s'est tenue le 20 novembre 2014, le Premier ministre a décidé d'apporter un financement complémentaire de 9,5 millions d'euros répartis entre le ministère de l'intérieur (3,5 millions d'euros), le ministère de la justice (2,5 millions d'euros), le ministère de l'éducation nationale (2,0 millions d'euros), le ministère des affaires sociales (1,5 millions d'euros) et d'utiliser le Fonds national de financement de protection de l'enfance (FNFPE) comme outil de versement des crédits à l'Agence de services et de paiement.
Afin de simplifier la gestion du dispositif et de limiter le nombre de signataires de la convention nécessaire entre l'Agence de services et de paiement, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) (au sein de laquelle le Fonds national de financement de protection de l'enfance est constitué), l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), il a été décidé de procéder au transfert des crédits vers le programme 304 porté par la direction générale de la cohésion sociale.
Les annulations se répartissent de la façon suivante :
- programme 104 : 3 500 000 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement ;
- programme 182 : 2 500 000 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement ;
- programme 230 : 2 000 000 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement.
Les ouvertures se répartissent de la façon suivante :
- programme 304 : 800 000 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 30 septembre 2015 à 16 heures 15
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Marie Beffara, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Romain Colas, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Régis Juanico, Mme Véronique Louwagie, Mme Monique Rabin, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Éric Woerth
Excusés. - Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Aurélie Filippetti, M. Laurent Wauquiez
Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy