Je remercie le Président de la mission d'information : même si nous divergeons sur certaines propositions, nous avons saisi ensemble les enjeux principaux de ce dossier.
Le financement de l'audiovisuel public représente 3,8 milliards d'euros en 2015, et plus de 22 milliards d'euros ont été alloués à ce secteur depuis 2010. Nous sommes donc en présence d'enjeux financiers extrêmement forts, auxquels s'ajoutent bien entendu des enjeux culturels tout aussi importants.
La mission d'information a souhaité raisonner à l'échelle d'un modèle économique. Cela implique de considérer l'articulation entre les différentes recettes selon leur nature, d'envisager les évolutions et les diversifications possibles, mais également de s'interroger sur les améliorations à apporter en matière de gouvernance au sein de chaque entreprise ainsi qu'à l'échelle globale du secteur.
Concernant par exemple la problématique des recettes publicitaires, il a été indispensable de comprendre les mécanismes de marché et les interactions qui se nouent de manière inéluctable entre les acteurs privés et publics. De même, les évolutions en matière d'investissement dans la production audiovisuelle indépendante concernent à la fois les diffuseurs privés et publics, ainsi que, bien sûr, les entreprises de l'industrie de production audiovisuelle. Il était donc nécessaire d'aborder les enjeux de l'audiovisuel public en prenant en compte tous leurs impacts sur son environnement économique.
Trois constats ont guidé la réflexion de la mission d'information et ont constitué un fil conducteur qui a orienté l'ensemble de nos propositions.
Premièrement, l'économie française est encore fragile, et l'effort de redressement des finances publiques constitue une exigence qui doit s'imposer à tous les opérateurs de l'État. Dans ce contexte, l'augmentation de la pression fiscale, notamment pour les moins favorisés, ne peut être une solution pérenne.
Deuxièmement, l'ensemble du secteur audiovisuel est en train de se métamorphoser depuis quelques années sous l'impulsion de ce qu'on a appelé la révolution numérique. Cette dernière a un impact sur les pratiques de consommation audiovisuelle, mais également sur les structures même du marché.
Troisièmement, dans le secteur de la télévision, le « choc d'offres » qu'a constitué l'émergence des chaînes gratuites de la TNT – nous sommes passés de cinq à quasiment vingt-six chaînes – a modifié les paramètres économiques qui prédominaient jusqu'ici chez les diffuseurs historiques.
Par ailleurs, une attention toute particulière a été accordée au cas de France Télévisions, car il s'agit du plus grand groupe public audiovisuel français mobilisant près de 65 % des dotations publiques et réalisant plus de 50 % des investissements dans la production audiovisuelle de l'ensemble des diffuseurs. France Télévisions constitue donc un élément majeur de l'équilibre, ou au contraire du déséquilibre, de l'ensemble du secteur. Il est également le groupe le plus concerné par la problématique des recettes publicitaires au sein d'un marché télévisuel déstructuré en concurrence directe avec l'audiovisuel privé.
La mission a également souhaité souligner les différences entre les multiples opérateurs de l'audiovisuel public. Cette étude plus « personnalisée » est indispensable, car elle nous permet de nous prémunir contre toute généralisation et de saisir les contraintes particulières de chacune des sociétés : entre l'Institut national de l'audiovisuel (INA), dont les ressources propres financent 30 % du budget, et Arte qui dépend à plus de 95 % du produit de la CAP, on comprend bien que les contraintes et le modèle économique ne sont pas les mêmes.
Le rapport d'information formule plusieurs propositions qui doivent amener à refonder le ou les modèles économiques de l'audiovisuel public.
La première partie du rapport aborde la question de la gouvernance et du financement de l'audiovisuel public.
Dans le cadre des contrats d'objectifs et de moyens (COM) qui régissent la stratégie des opérateurs de l'audiovisuel public, nous avons pu constater que les engagements financiers n'étaient pas toujours respectés. Les objectifs imposés aux sociétés sont imparfaitement corrélés aux moyens attribués. Autrement dit, l'audiovisuel public n'a pas toujours les moyens de ses ambitions. Par ailleurs, les efforts de restructuration nécessaires dans un contexte de finances publiques contraintes ont tardé à se mettre en place et se confrontent aujourd'hui à d'importantes rigidités de gestion.
Nous proposons en conséquence une gouvernance renforcée à l'échelle de l'ensemble de l'audiovisuel public, par la mise en place rapide d'un comité regroupant l'ensemble des présidents de l'audiovisuel public et d'un document contractuel commun à l'ensemble des sociétés. Cette gouvernance transversale devrait prendre une forme relativement souple : il ne s'agit pas de modifier les structures existantes, comme un récent rapport d'information du Sénat propose de le faire, mais de renforcer la coopération. La mission se prononce également en faveur d'une disparition rapide des crédits budgétaires, incompatibles avec une ressource sécurisée, car trop soumis à la régulation infra-annuelle.
L'évolution de la CAP doit faire l'objet quant à elle d'une clé de répartition prévisible sur la totalité de la période des différents contrats objectifs et de moyens. Il s'agit d'une condition préalable pour que chaque opérateur puisse adopter une stratégie de long terme, a minima à l'échelle d'une présidence. Le recours à la CAP, qui constitue une ressource publique, doit être étroitement conditionné à la poursuite d'objectifs d'économies structurelles et de maîtrise des dépenses. Cette discipline est indispensable quand il s'agit de deniers publics. Elle doit faire l'objet d'un contrôle renforcé de l'ensemble des opérateurs.
Le rapport d'information formule aussi des propositions sur la réforme de la CAP. L'évolution même du produit de cette taxe est aujourd'hui remise en cause du fait de la révolution numérique et de la modification des usages en matière audiovisuelle : de manière irréversible, le téléviseur n'a plus le monopole de la télévision. La réforme de l'assiette apparaît donc comme une nécessité pour sécuriser et pérenniser la ressource première de l'audiovisuel public.
Depuis le premier semestre 2013, le taux d'équipement en téléviseurs de la population française connaît une baisse tendancielle qui s'est poursuivie en 2014, passant de 98,1 % au troisième trimestre 2013 à 96,2 % au troisième trimestre 2014. Ce mouvement semble irréversible. S'il n'est pas pris en compte par les pouvoirs publics, il entraînera immanquablement la sortie d'un certain nombre de contribuables de l'assiette de la CAP, dont l'érosion provoquera inéluctablement une hausse de son montant afin de garantir son rendement, ce qui ne serait pas compatible avec l'objectif de stabilité fiscale.
Je propose donc d'étendre l'assiette à tous les supports permettant la réception de la télévision en illimité. Chaque foyer ne serait évidemment assujetti qu'au paiement d'une seule contribution quel que soit son niveau d'équipement. Cette mesure aurait pour conséquence d'assujettir 720 000 foyers supplémentaires à la CAP. Dans le même temps, je propose d'instaurer un demi-tarif pour les jeunes de moins de 25 ans. Aujourd'hui, un million de jeunes, non rattachés au foyer fiscal de leurs parents, payent la CAP à taux plein. Cette mesure représenterait une économie de 68 euros par an pour ce million de jeunes. L'effet combiné de ces deux mesures générerait un produit supplémentaire de CAP d'environ 30 millions d'euros, soit un rendement quasi constant mais durable. Cette pérennisation constitue l'intérêt de la réforme proposée.
La seconde partie du rapport traite de la principale ressource propre de l'audiovisuel public que constitue la recette publicitaire.
Cette problématique concerne en premier lieu France Télévisions, car la publicité représente actuellement 11 % de ses ressources. Outre le débat, justifié par ailleurs, sur les conséquences en termes de programmation, il s'agit également d'une question économique forte : au vu de la dégradation du marché publicitaire de la télévision, pour des raisons conjoncturelles certes, mais également du fait de modifications structurelles, comme par exemple la montée en charge d'internet ou la multiplication des chaînes gratuites, la recette publicitaire ne constitue plus une recette pérenne, prévisible et dynamique. Pour France Télévisions, le problème est accentué par l'interdiction de vendre des espaces publicitaires sur la tranche la plus rémunératrice du prime time.
Cette instabilité a des conséquences pour l'ensemble des opérateurs, puisqu'un choc de recettes sur France Télévisions amènera nécessairement une régulation pour les autres acteurs.
Je ne propose pas aujourd'hui une solution, mais une alternative qui doit pousser les pouvoirs publics à assumer le modèle économique qu'ils choisissent.
Il est possible de faire le choix d'une solution de court terme risquée pour le marché publicitaire : le retour partiel de la publicité de 20h00 à 21h00 pour un gain d'environ 100 millions d'euros. Cette première option permettait à France Télévisions de redevenir concurrentiel en assumant la recette publicitaire comme composante à part entière du financement de l'audiovisuel public.
Mais nous pouvons adopter une autre solution plus durable impliquant un changement de modèle économique : la suppression progressive de la publicité. Elle se traduirait par un manque à gagner d'environ 250 millions d'euros, qui pourrait être comblé par la poursuite de la réduction des coûts, par l'affectation d'une partie de la taxe sur les opérateurs de communication électronique plafonnée à hauteur de 160 millions d'euros, montant équivalent à la dotation budgétaire de France Télévisions dans le budget pour 2015, et par la diversification des autres ressources propres.
Dans les deux cas, il s'agit d'affirmer un choix clair du modèle économique souhaité pour l'audiovisuel public, avec les impacts que cela suppose sur la programmation qui demeure étroitement dépendante des exigences de son financement. La situation actuelle est un entre-deux qui fragilise l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel public.
La dernière partie du rapport porte sur la diversification des ressources propres et plus particulièrement sur la valorisation possible des investissements des diffuseurs en faveur de la production audiovisuelle indépendante.
Les textes législatifs et réglementaires qui encadrent les interactions entre les acteurs de l'audiovisuel ne sont plus adaptés aux évolutions technologiques, économiques et aux modes de consommation de l'audiovisuel.
La relation entre les producteurs et les diffuseurs, la valorisation économique de la production audiovisuelle, mais aussi son rayonnement à l'international doivent être repensés avec un logiciel du XXIe siècle. Par exemple, dans le système hérité des « décrets Tasca », une anomalie économique perdure puisque les investissements en faveur de la production audiovisuelle, soit 400 millions d'euros par an pour France Télévisions, ne font l'objet d'aucun « retour sur investissement » ni d'aucun actif, et s'apparente en fait à une subvention
La valorisation de la production audiovisuelle est un sujet très complexe dans un secteur qui de surcroît est encore débutant dans l'exercice de la transparence, ce qui rend tout chiffrage difficile. Cette adaptation ne pourra se faire que dans la plus grande concertation et dans le dialogue entre tutelle, distributeurs, diffuseurs, auteurs et producteurs des secteurs public et privé.
La mission d'information présente plusieurs axes d'évolutions qui ne sont pas nécessairement cumulatifs et qui nécessitent des études d'impact plus approfondies. Ils représentent néanmoins des opportunités de valorisation économique de l'ensemble de la filière et donc de ressources complémentaires pour l'audiovisuel public.
Nous proposons de réformer le décret du 27 avril 2015 afin de permettre aux diffuseurs de détenir des parts de coproduction à partir d'un financement à hauteur de 50 %. Nous souhaitons aussi que se développe la maîtrise des mandats de commercialisation par les diffuseurs, en favorisant la mise en concurrence entre diffuseurs et producteurs. Aujourd'hui, de nombreuses oeuvres ne sont jamais commercialisées après leur première diffusion parce que personne n'a d'intérêt économique à le faire. Nous proposons enfin d'assouplir les obligations en faveur de la production indépendante, notamment en abaissant le taux d'investissement obligatoire en sa faveur de 95 % à 70 % pour France Télévisions. Pour les 30 % restants, la mission propose une obligation de 15 % dans la production dépendante et une « fenêtre de mise en concurrence » entre production dépendante et indépendante de 15 %, sur le modèle qui fonctionne aujourd'hui assez bien à la BBC.
Il s'agit pour nous d'une réforme ambitieuse et globale visant à remplacer un financement incertain, imprévisible et peu pérenne par des ressources sécurisées à la trajectoire dynamique et pilotées de manière efficace, le tout en faveur d'un service public audiovisuel rénové, capable de s'imposer sur la scène internationale.
L'audiovisuel public est à la croisée des chemins. Les évolutions sont naissantes mais inéluctables. Plus l'érosion de l'assiette de la CAP sera forte, plus la réforme sera difficile. Le choix concernant la publicité sur France Télévisions doit s'inscrire dans une perspective d'avenir pour le service public, compatible avec son éthique et ses obligations. Enfin la valorisation et la répartition des recettes issues de l'évolution du modèle économique de l'audiovisuel sont d'autant plus faciles à réaliser aujourd'hui que nous ne sommes qu'au début d'une nouvelle ère.
Sans urgence absolue, mais avec la volonté d'être au rendez-vous des transformations en cours, nous devons, avec détermination et responsabilité, assurer stabilité et perspectives à l'audiovisuel public français. C'est un enjeu économique et culturel majeur.