Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 5 octobre 2015 à 16h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui en seconde lecture concerne la fin de vie, dont nous avons déjà plusieurs fois débattu ici.

Face à un tel sujet, le Président de la République a engagé une démarche visant à trouver un consensus, en confiant à deux députés de sensibilités différentes, nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti, la rédaction d’un rapport et de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui.

Ce nouveau texte ne marque pas de rupture fondamentale. Il est dans la continuité de la première loi sur les soins palliatifs de 1999, de celle sur les droits des malades de 2002 et de celle sur la fin de vie de 2005, mais il marque un indiscutable progrès dans la liberté de choix de chacun de nos concitoyens.

Il s’agit en effet, essentiellement, d’inscrire dans la loi le droit à une sédation profonde et continue en cas de douleur réfractaire à tout traitement et de renforcer auprès du corps médical le droit des patients en rendant leurs directives anticipées opposables aux médecins et en renforçant la place de la personne de confiance par eux désignée.

En première lecture, et, avant cela, lors de la présentation du rapport, j’avais, en mon nom propre et au nom de la majorité des députés du groupe GDR, mais pas de la totalité, approuvé à la fois la démarche consensuelle, qui s’appuie sur les nombreux travaux réalisés en amont, notamment par le comité consultatif national d’éthique, et le contenu de ce texte.

Je m’étais également inquiétée de l’état des soins palliatifs dans notre pays car la politique suivie par ce gouvernement comme par ses prédécesseurs concernant la santé en général et les hôpitaux publics en particulier contredit les déclarations sur leur nécessaire développement. Comment peut-on en effet annoncer vouloir supprimer 22 000 postes de travail dans les hôpitaux d’ici à 2017 et prétendre développer les soins palliatifs ?

J’avais enfin déploré la quasi-inexistence de soins palliatifs dignes de ce nom en ville, hors de l’hôpital, et dans les EPHAD.

Le texte adopté par la commission et présenté aujourd’hui est le même que celui que nous avons adopté à une large majorité en mars dernier. En dépit de la complexité et du sérieux du sujet traité, le Sénat a malheureusement été le lieu d’une médiocre bataille politicienne le conduisant à n’adopter aucun texte.

En effet, après avoir, par voie d’amendements, remis en cause le caractère continu de la sédation profonde et le fait que l’hydratation et la nutrition soient considérées comme un traitement et tenté de diminuer la portée des directives anticipées, la majorité des sénateurs ont finalement repoussé le texte qu’ils avaient pourtant amendé, mais profondément dénaturé, privant ainsi le Sénat d’expression sur un sujet aussi capital.

On peut dire que les sénateurs responsables de cette situation ont agi non pas au nom de l’intérêt supérieur du patient en veillant au respect des différentes approches et sensibilités de nos concitoyens, mais au nom de considérations idéologiques et partisanes. Comme l’a très justement résumé la sénatrice Françoise Gatel, le Sénat a manqué à son devoir de fraternité et d’humanité.

Ces sénateurs ont notamment dénoncé ce qu’ils appellent le « flou » qui entoure d’après eux la notion de sédation profonde et continue, y voyant la porte ouverte à une certaine forme d’euthanasie. Ce qui ici est qualifié de flou est la marge laissée à l’appréciation du patient en fin de vie, de sa famille qui l’entoure et des soignants qui l’accompagnent.

Notre travail de législateur consiste précisément à encadrer les pratiques humaines au nom de principes que nous jugeons supérieurs. Les pratiques humaines sont la façon de terminer sa vie. Les principes sont à la fois le respect de la liberté individuelle et le respect de la vie.

Autant dire que nous ne parviendrons pas à légiférer sur ces questions en embrassant la totalité des situations envisageables. Tout au plus pouvons-nous espérer trouver un point d’équilibre acceptable par tous, équilibre évidemment fragile et appelé à évoluer au rythme des évolutions de la société et des connaissances.

Je considère qu’à cette étape, l’objectif est atteint dans la mesure où ce texte permet à la fois d’accompagner le patient en douceur jusqu’à la fin, sans acharnement thérapeutique, et de refuser tout acte médical qui viserait à administrer délibérément la mort.

Il permet de répondre à l’immense majorité des cas. Nous devons cependant admettre que la loi, par définition générale, ne peut pas répondre à la totalité des situations envisageables, pour lesquelles il faut accepter de s’en remettre à la liberté des personnes en fin de vie, à l’amour de leurs proches, au professionnalisme et à l’éthique de l’équipe médicale, voire, dans quelques cas et en toute dernière instance, à l’intelligence de la justice.

Si le contenu du texte nous convient, autre chose est son application dans la vraie vie car, dix ans après la loi de 2005, on meurt toujours mal en France.

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