Intervention de Véronique Massonneau

Séance en hémicycle du 5 octobre 2015 à 16h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Massonneau :

…la médecine, malgré tous ses progrès, ne permet pas de soulager toutes les souffrances. Quand le choix s’impose, lorsqu’une personne sait qu’elle va mourir, il n’y a bien entendu pas de bonne solution ; il s’agit seulement d’accepter la moins mauvaise : celle que la personne aura choisie. Vous me direz que la sédation profonde et terminale est une réponse aux souffrances inapaisables. C’est vrai en partie, je le reconnais, et je rappelle que cette pratique est déjà autorisée par notre législation, et ce texte a le mérite de généraliser cette possibilité qui n’est pratiquée aujourd’hui qu’à l’appréciation du médecin. Mais qu’en est-il du choix de la personne concernée ? Est-ce à notre assemblée de choisir pour elle les conditions de sa propre mort ? Je ne le crois pas. Acceptons que nos choix de fin de vie puissent être différents de ceux des autres. Certains ne veulent pas d’une sédation profonde et terminale qui impose au patient de partir sans conscience de son départ, qui impose à ses proches l’attente insupportable du moment inéluctable de sa mort.

Ce n’est peut-être pas votre choix, monsieur Leonetti, mais vous ne pouvez ignorer qu’il est celui de citoyens que nous représentons ici et qui ont espoir que nous le leur reconnaissions aujourd’hui. J’ai reçu une pétition d’initiative citoyenne qui a recueilli plus de 100 000 signatures ! 100 000 concitoyens qui demandent que ce texte aille plus loin et leur permette de choisir l’assistance médicale au suicide. Nous ne pouvons ignorer ces Françaises et ces Français, nous ne pouvons affirmer que nous, députés de la nation, savons mieux qu’eux-mêmes comment devrait se terminer leur propre vie. N’ignorons pas non plus les nombreux Français qui partent mourir à l’étranger car leur propre pays refuse d’accéder à leur demande. Il est de notre responsabilité d’apporter des réponses à ces personnes, à ces situations douloureuses. Les malades en fin de vie témoignent souvent d’une certaine dépossession d’eux-mêmes, livrés à des procédures médicales et juridiques qu’ils ne maîtrisent plus. Ces personnes, qui savent qu’elles vont mourir, ne leur devons-nous pas la liberté de se réapproprier leur propre vie pour les moments qu’il leur reste à vivre ? Je ne me résous pas à l’idée que notre pays n’accorde pas encore aux Françaises et aux Français cette ultime liberté, une liberté individuelle que l’on ne peut balayer d’un revers de main.

Nous avons donc l’occasion à présent d’améliorer ce texte tout en tirant les leçons des discussions que nous avons déjà eues sur ce sujet, que ce soit lors de l’examen de ma proposition de loi en janvier, à l’occasion du débat sans vote que nous avons également tenu dans l’hémicycle, et bien sûr lors de la première lecture du texte que nous examinons à nouveau aujourd’hui. Si je souhaite tirer les leçons de nos débats précédents, comme je l’ai fait la semaine dernière en commission, je ne vous proposerai cependant pas d’amendement visant à légaliser l’euthanasie : non pas que ce n’est plus ma conviction, mais parce que j’entends privilégier un débat apaisé et proposer à notre Assemblée d’étudier sérieusement un amendement qui pourrait nous rassembler.

Ainsi, je défendrai ici une proposition visant seulement à légaliser l’assistance médicale au suicide, dans le plus clair respect des préconisations du Conseil consultatif national d’éthique, le CCNE. L’assistance médicale au suicide est une demande clairement exprimée par une partie des membres de la conférence des citoyens sur la fin de vie organisée par le CCNE en décembre 2013. Il n’est alors pas question de permettre à un professionnel de santé de pratiquer le geste létal, pas plus de mettre en doute la décision du patient qui pratique alors lui-même le geste ou de lui opposer les soins palliatifs puisque j’y ai introduit, sur recommandation toujours du CCNE, de ne permettre cet acte si et seulement si « un réel accès à toutes les solutions alternatives d’accompagnement et de soulagement de la douleur physique et psychique » peut être proposé au patient. Je crois même que ce point précis confrontera notre modèle de santé et plus largement notre société entière au réel besoin de places en soins palliatifs qui fait gravement défaut en France. Les professionnels de santé ou les proches ne pourraient plus alors ignorer les appels au secours de ces malades qui souffrent dans nos hôpitaux et qui réclament à mourir. Ces demandes devront être étudiées, entendues, comprises, discutées avec le personnel soignant et les proches afin de mettre en oeuvre tout ce qui est possible pour proposer une alternative à ces malades.

Mes chers collègues, j’espère sincèrement que nous pourrons avoir un débat serein, un débat qui ne répète pas seulement celui de la première lecture avec les mêmes effets, et que nous trouverons enfin un terrain d’entente. C’est tout le sens de ma démarche aujourd’hui.

Je tiens à rappeler qu’en première lecture, un amendement de notre collègue Jean-Louis Touraine, soutenu par un grand nombre de députés SRC ainsi que par les groupes RRDP et écologiste, et visant à légaliser l’assistance médicalisée active à mourir, avait été repoussé à quelques voix près avec le secours de celles de l’opposition. Cet amendement, largement soutenu sur les bancs de la majorité, me laisse espérer que ma proposition plus consensuelle, celle de l’assistance médicale au suicide avec des garanties fermes quant à l’accès aux soins palliatifs, va apaiser certaines craintes et ainsi trouver au sein de notre assemblée une majorité pour la voter.

Je terminerai mon propos en rappelant que ma proposition de loi avait été renvoyée en commission au motif qu’elle abordait prématurément un sujet qui serait débattu à l’occasion de la proposition de loi Claeys-Leonetti. Or, plusieurs de mes collègues, de la majorité comme de l’opposition, y compris les rapporteurs, me rétorquent aujourd’hui que mes amendements déséquilibreraient le cadre de cette proposition de loi. Mais j’aimerais, par souci de cohérence, que ce débat ne soit pas verrouillé pour ce motif incompréhensible et que nous ayons un véritable débat de fond pour aborder en toute responsabilité la possibilité d’offrir à chacun le choix de sa propre fin de vie.

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